Les fab labs, incubateurs de futur

Le 22 octobre 2011

FabLab Toulouse Conference a réuni la semaine dernière un très beau plateau d'intervenants gravitant autour des fab labs, ces mini-usines citoyennes collaboratives de fabrication à la demande. Rencontres.


Tomas Diez est directeur de projet Fab Lab Barcelona à l’IAAC (Institute for Advanced Architecture of Catalonia). L’idée est de faire de Barcelone une grande Fab City composée d’une communauté interconnectée de fab labs implantée dans les quartiers.

Comment est venue l’idée de mettre en place une Fab City à Barcelone ?

Le Barcelone d’aujourd’hui est le produit de grands évènements tels que les jeux olympiques de 1992 et le forum universel des cultures en 2004. Une ville construite sur des évènements, de la spéculation, du tourisme et du spectacle. La réflexion sur le Barcelone du futur a commencé à ce moment là avec des personnes issues de l’IAAC comme Vincente Guallart, ancien directeur de l’IAAC et chef architecte de Barcelone, et Antoni Vives, député maire chargé de l’urbanisme et des technologies de l’information. Nous avons maintenant les moyens de construire Barcelone 5.0.

Justement, quels sont les objectifs de Barcelone 5.0 ?

Nous voulons retrouver l’esprit de production et d’invention de Barcelone tout au long des siècles passés mais avec de nouveaux outils et les nouvelles plateformes que sont les fab labs. La première expérience avec de l’électricité au siècle dernier a été faite à Barcelone par exemple, sur les Ramblas. Les fab labs sont les vecteurs de ces nouveaux concepts. Nous avons deux fab labs pour le moment. Un dans le Musée du design qui sera déplacé à l’est de la ville et un autre dans la vieille ville. Nous en préparons deux autres pour l’été 2012. Un green fab lab dans le nord de l’agglomération de Barcelone et un second dans le quartier défavorisé de Ciutat Meridiana. C’est un challenge. Nous voulons montrer que ce modèle peut changer les modes production, changer le lien social.

Quels sont vos moyens pour mettre ce projet en place ?

Nous allons créer une fondation et nous sommes en train de développer un label appelé FabCity. Nous pensons à un financement à la fois public et privé pour promouvoir ce projet qui sera également générateur d’une nouvelle économie. A moyen terme, nous pensons monter un fab lab par quartier. Ils seront gérés à terme par les habitants. Nous les formeront, et ils formeront à leur tour d’autres personnes. Dans quelques mois à Ciutata Meridiana, nous allons lancer le premier fab lab de quartier. Nous aurons toujours un pôle recherche et éducation mais le but est de produire des objets qui apportent du sens localement à la communauté. Des générateurs d’énergie, des antennes Internet. Tout cet argent investit générera de la productivité et de nouveaux modèles économiques, les gens fabriqueront leurs objets, des prototypes qu’ils pourront vendre à des compagnies. Même les compagnies pourront utiliser les fab labs pour tester des prototypes.

Et ces objets seront-ils gratuits ?

Je ne pense pas qu’il faut aller vers le tout gratuit. Toutes les choses ont de la valeur, ce peut-être du temps, ou le fait de donner quelque chose en échange. Vous utilisez une machine pour construire votre projet et en retour vous pouvez faire un site, ou réparer un ordinateur par exemple. Payer un abonnement à l’année peut aussi être une solution. Par exemple, vous dessinez un meuble et vous créez votre start up pour le commercialiser. Vous pourrez utiliser le fab lab pour faire vos prototypes et mettre en place votre production. Et vous versez un pourcentage au fab lab. C’est réellement un atelier de production par et pour la communauté, un partenaire de projets également. La réflexion est toujours en cours sur comment rendre les fab labs viables économiquement. Ce n’est pas facile mais nous n’en sommes qu’au début.

Les hackers parlent déjà de retour aux petites communautés reliées entre elles, les fab labs sont dans cette même continuité. C’est un retour vers un modèle coopératif local ?

Quand vous êtes sur Facebook ou YouTube, vous pensez que vous formez une communauté mais ce n’est pas le cas. Ici, il s’agit de créer des objets qui auront une utilité locale, sociale, environnementale, pour la société. Nous sommes clairement en train de changer de modèle de revenir vers le local, de fabriquer des choses utiles pour le bien commun. Nous avons tous les outils en main. Les imprimantes 3D, les machines de découpe laser même Internet. Les fab labs sont une opportunité pour connecter tous ces outils ensemble. Nous avons atteint le point où nous avons des outils puissants qui permettent de créer d’autres outils. Nous devons prendre tout cela au sérieux.

Trois étudiants en informatique et robotique, Gaétan Séverac, Aymeric Barthes et Vincent Boucher, développent un projet de robot pour aider l’agriculture durable. Gaétan, qui n’a rien à voir avec le milieu agricole, a eu cette idée en discutant avec des exploitants à la fête des asperges de Pontonx-sur-l’Adour en 2010 : ils lui ont fait part du manque de main d’œuvre pour effectuer certaines tâches. C’est grâce à Artilect, le fab lab toulousain, que le trio a pu développer une première maquette.

Présentez-nous votre concept.

Naïo technologies développe un projet de petit robot autonome, compagnon des maraîchers qui les aidera dans les tâches quotidiennes répétitives et coûteuses, en temps et en argent. Pour l’instant, nous avons identifié une application : désherbage. Cela servira aussi pour l’entretien, la récolte et l’identification des besoins pour le suivi des cultures (monitoring et aide à la décision). Par exemple, quand mettre des intrants (pesticides, engrais, etc ), pour cibler au plus juste et éviter le gaspillage en traiter uniquement la parcelle qui a besoin. Nous voulons rapprocher l’agriculture des nouvelles technologies, entre le tout bio et l’agriculture intensive, sans passer par des machines très chères, comme celles qui existent actuellement et sont rentables uniquement pour de grosses exploitations. Nous visons un produit intermédiaire. Actuellement on importe des oignons de Chine, notre projet permettrait de relocaliser.

Comment est-il reçu dans le milieu des agriculteurs ?

La problématique les intéresse mais ils sont incrédules sur la faisabilité technique. Ils voient ça comme une économie de main d’œuvre, qu’ils pourront utiliser pour optimiser le temps de travail et la gestion de la main d’œuvre, et se libérer du temps libre mais ils veulent voir un prototype avant. Il y a aussi une méfiance par rapport à l’autonomie, ils aiment garder le contrôle.

Quelles sont les prochaines étapes, quels obstacles devrez-vous passer ?

Nous avons validé la preuve de concept, nous allons ensuite fabriquer un prototype fonctionnel, soutenu par l’Icam, une école d’ingénieur toulousaine et pour la partie déplacement autonome et analyse d’image par le LAAS-CNRS à Toulouse aussi. Il devrait être prêt mi-2012 pour le tester pendant la saison des cultures.
L’autonomie dans un milieu ouvert, le champ, ce qu’on appelle la gestion des aléas, est un des principaux problèmes. Nous voulons aussi maîtriser le coût de la technologie pour que le produit reste accessible, on vise moins de 20.000 euros.

Existe-t-il des projets dans le même état d’esprit ?

[Un temps de réflexion] Aux États-Unis, un des fondateurs du ménager robot ménager Roomba prépare des robots pour le transport de charge [en]1.

Que pensez-vous de l’explosion des fab labs ?

C’est génial pour combler les lacunes ! Chez Artilect, nous avons trouvé des experts gratuitement pour faire un premier projet, sans argent.

Makus Kayser et son projet Solar Sinter

L’Allemand Markus Kayser s’est fait connaître avec Solar Sinter, un superbe projet d’impression 3D avec du sable. Diplômé du Royal College of Art, il vient de monter le Markus Kayser Studio à Londres, où science, art et ingénierie se rencontrent, par-delà les barrières disciplinaires.

Présentez-nous votre projet.

Le Solar Sinter2 est un projet qui parle de l’abondance. C’est une imprimante 3D gratuite qui utilise la lumière et le sable pour fabriquer des objets en verre dans le désert. Le but est réellement de montrer le potentiel porté par cette idée. Quand nous parlons de matières premières aujourd’hui on parle de rareté, quand on parle d’énergie, c’est pour évoquer les nombreux problèmes liés à l’environnement. Ce projet fait rêver les gens. Et c’est rare aujourd’hui.

Des personnes s’intéressent-elles déjà à ce projet ?

Nous avons eu des retours incroyables sur le Net, des milliers de gens ont vu la vidéo sur Vimeo. Je ne m’attendais pas non plus à voir des papiers de thèse déjà publiés qui explorent le développement de cette technologie sur Mars ou sur la Lune. Beaucoup de gens m’écrivent et me racontent leurs idées sur le futur de ce projet. Où cela pourrait nous mener. Cela fait rêver les gens et c’est important pour moi de continuer à le développer. Les gens pourraient s’emparer de ces idées, faire des machines similaires qui combinent technologie et nature.

Cette technologie pourrait-elle être mise en place en Afrique ?

Nous en sommes à un stade très expérimental. Nous avons besoin de plus de développement pour rendre le projet viable et donc d’argent. Par exemple, les architectes s’intéressent de très près au développement de ce projet sur une grande échelle pour imprimer directement des immeubles. Enrico Dini a déjà commencé en Italie à imprimer des structures à grande échelle. Donc, pour répondre à votre question, ce projet pourrait potentiellement venir en aide à des populations en imprimant des abris par exemple. Mais il est encore trop tôt. Tout dépend vraiment du financement !

Vous parliez d’Enrico Dini, quels sont les autres projets d’impression 3D similaires ?

En terme d’impression 3D d’ensembles architecturaux, Enrico Dini est celui qui est allé le plus loin. Beaucoup de projets existent, dont celui de l’Université de Loughborough en Angleterre, où ils utilisent du béton à la place du sable. Dini utilise du sable mais aussi un liant biologique qu’il a inventé3.

Que pensez-vous du développement du réseau des fab lab à travers le monde ?

C’est un réseau fantastique. Je n’en fais pas partie directement, mais j’utilise beaucoup leurs logiciels libres, ceux des Reprap et de la Makerbot. J’espère collaborer de plus en plus à l’avenir avec eux.

Pensez-vous que nous vivons une révolution dans notre manière de produire les choses ?

Je pense que c’est ce qui se passe en ce moment même. C’est une technologie (l’impression 3D) qui devient plus efficace et qui rentre en production, mais en restant loin de la production de masse. Je ne sais pas si c’est une bonne idée que tout le monde ait une imprimante 3D mais des technologies qui permettent de réutiliser des vieux objets ou matières sont développées tous les jours. J’espère que la loi de Moore s’appliquera à cette technologie. J’y crois vraiment.

Flickr Video
Interviews réalisées à Toulouse par Sabine Blanc et Ophelia Noor

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Le Grand Emprunt booste les fab labs

Imprimer le réel à portée de main

Image de une par Ophelia Noor pour Owni /-)
Captures d’écran de la vidéo de Markus Kayser, Solar Sinter Project, CC Flickr Paternité KevinLallier

  1. Plus de robots agricoles sur cette page Wikipedia [en] []
  2. Sinter signifier fritter en français : http://www.cnrtl.fr/definition/fritter []
  3. un liant est une substance utilisée en construction pour agglomérer les autres composants d’une matière []

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