Faillite de Icesave : qui paiera pour le non des Islandais ?

Le 20 avril 2011

Les Islandais sont salués pour leur courage de contester l'accord entre leur gouvernement et le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Mais cela signifie-t-il qu'ils ne paieront pas ?

Le 9 avril dernier, les Islandais ont rejeté à 59% l’accord prévoyant le remboursement des gouvernements britannique et néerlandais dans le cadre de la faillite de la banque en ligne Icesave.

De nombreuses voix se sont félicitées du refus des Islandais de payer pour les erreurs des banquiers. Certains allant même jusqu’à qualifier la victoire du “non” au référendum de “rébellion contre la finance internationale” ou de “victoire contre les banksters”. Une analyse un peu rapide.

La garantie des dépôts, éternel talon d’Achille du système bancaire

Dans la plupart des pays la protection des déposants n’est que purement théorique. En effet, comme le soulignent plusieurs rapports de banque centrale et autres économistes, les fonds de garantie sont en réalité largement sous-capitalisés, de sorte que le système ne peut en aucun cas subvenir à une faillite systémique.

En France, par exemple, notre fonds de garantie des dépôts ne dispose que de 1 à 2 milliards d’euros tandis que de son coté, le fonds de garantie islandais, le tryggingarsjodur n’était doté que de 47 millions d’euros en 2008, notamment en raison du fait qu’il n’était pas conçu pour faire face à une augmentation aussi extensive du montant des dépôts des banques islandaises. Mais comme le précise la directive européenne, c’est aux États d’accueil des banques étrangères (par exemple les autorités hollandaises et anglaise dans l’affaire islandaise) de s’assurer de la conformité du système de garantie des dépôts des banques étrangères agissant sur leur territoire. Torts partagés sur ce point, donc.

Le recours de cet affaire devant une cour de justice devrait donc permettre d’y voir plus clair sur la signification exacte des traités. Néanmoins, il n’y a que peu de chances que l’Islande ne paie pas. La question est plutôt de savoir : qui paiera entre la banque (nationalisée) Landsbanki par la vente de ses avoirs, et le gouvernement islandais (c’est à dire les contribuables) ? La nuance est lourde de conséquences, en Islande comme dans le reste de l’Europe.

L’affaire Icesave

L’histoire d’Icesave débute en 2006. Filiale de la banque islandaise Landsbanki, c’est un établissement bancaire en ligne créé pour s’adresser à une clientèle européenne. Avec de hauts rendements proposés aux déposants, Icesave capitalise plus de 700 millions d’euros en quelques mois et gagne rapidement les faveurs de 320.000 clients anglais et néerlandais, et ouvre des succursales en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, donc avec l’accord des autorités bancaires locales.

Mais la crise financière de septembre 2008 emporte Icesave – comme 85% banques islandaises. Icesave est en banqueroute et doit plus de 3,8 milliards d’euros de dépôts. Or, le 6 octobre 2008, la banque est nationalisée, reportant indirectement le poids de cette colossale dette (40% du PNB du pays) sur l’État islandais.

Il faut dire que nous étions à cette époque là au plus fort de la crise : Lehman Brothers venait de tomber le 30 septembre, et toutes les banques européennes étaient sous pression de fuite des dépôts. Un non-remboursement des clients d’Icesave aurait donc pu créer un dangereux précédent en Europe, et précipiter le secteur bancaire dans la banqueroute généralisée.

Du coup, les États néerlandais et britannique se sont empressés de garantir les déposants de Icesave (jusqu’à 50.000 £ en Angleterre, et 100.000 euros en Hollande) en utilisant leur propre fonds de garantie, avant de se retourner vers l’état islandais pour obtenir le remboursement de ces sommes.

Pour cela, ils vont utiliser tous les moyens possibles : de l’utilisation de la loi anti-terroriste par le gouvernement britannique pour geler les actifs de Landsbanki, aux pressions diplomatiques anglaises et hollandaises pour bloquer le renflouement du pays prévu par le FMI. C’est dans ces circonstances particulières que le gouvernement islandais donne finalement en novembre 2008 son accord de principe pour que les dépôts soient remboursés, à hauteur de 20.000 euros par client, le montant des garanties fixé par le système de garantie des dépôts irlandais.

Les négociations commencent alors entre les gouvernements islandais, britannique et néerlandais, et aboutissent en juin 2009 à un accord demandant à l’Islande de rembourser 3,8 milliards d’euros, sous la forme d’un emprunt à 5,5% de taux d’intérêt à rembourser sous 15 ans.

Mais, poussé par une pétition recueillant plus de 50.000 signatures, Ólafur Ragnar Grímsson, le président islandais, refuse de ratifier le texte et provoque un référendum qui se concrétise le 6 mars 2010 par un rejet de l’accord par 93% des suffrages.

L’Islande reprend donc les négociations avec l’Angleterre et les Pays-Bas et obtient cette fois-ci un accord beaucoup plus avantageux, que le parlement adopte le 16 février dernier. C’est cet accord qui a été rejeté lors du dernier référendum, renvoyant probablement l’affaire devant une cour de justice européenne.

L’issue d’une telle procédure est justement assez incertaine. Car la question qui se posera au parquet européen n’est pas tant d’ordre morale, comme l’a été dans une certaine mesure l’objet du référendum, que d’ordre légal.

Une improvisation coupable ?

En tant que branche (et non filiale) de Landsbanki, Icesave était soumis au système de garantie des dépôts islandais, et non britannique ou néerlandais. Or, aucun texte de loi n’oblige un Etat à se substituer au fonds de garantie des dépôts d’un autre pays comme l’ont fait Londres et Amsterdam. C’était donc au fonds islandais de rembourser directement les clients, et les gouvernements néerlandais et britanniques auraient a priori dépassé leurs prérogatives en prenant les devant.

De même, l’Etat islandais n’avait pas nécessairement à avancer sa garantie souveraine puisqu’en principe, le fonds de garantie des dépôts est le premier exposé à la défaillance d’une banque. Les traités européens et de l’Alliance européenne de libre-échange (AELE) à laquelle appartient l’Islande le stipulent d’ailleurs très bien. Ce que l’EFTA, l’autorité financière de l’AELE n’a pas manqué de rappeler en mai dernier :

L’autorité de surveillance a la tâche de s’assurer que l’Islande, la Norvège, et le Liechtenstein se conforment aux termes de l’accord européen de libre échange. La directive [94/19/EC, ndlr] sur la garantie des dépots fait partie de ces termes. Selon cette directive, l’Islande était obligée de garantir – après Landsbanki – les déposants des branches néerlandaises et britanniques de la banque Icesave, à hauteur de 20.000 euros.

Mais, même si l’Islande doit concourir à son fonds de garantie en dernier ressort, le gouvernement islandais, en promettant son soutien direct aux clients de Icesave, a offert aux Pays-Bas et à l’Angleterre un mauvais prétexte de traiter directement avec lui, plutôt qu’avec le fonds de garantie islandais, ou mieux : la banque Landsbanki !

Ce qui est plutôt étrange, vu que le gouvernement assure depuis toujours – et le répète aujourd’hui – que les actifs de la banque permettraient de rembourser au moins 90% des dépôts des anciens clients de Icesave. C’est bien à eux que devraient revenir les gains de la vente de ces actifs si la procédure avait été normalement suivie.

Ce sont donc en partie à cause de décisions précipitées dans un contexte de panique que l’on se retrouve dans cette situation absurde : une dette privée de Landsbanki envers des clients européens se transforme en dette souveraine de l’Islande envers le gouvernement britannique et néerlandais.


Photo flickr Courtesy InDefence ; CC Artyvee ; CC Helgi Hall

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés