#4 – Des nerds ont investi l’appareil politique du Parti Socialiste

Le 23 mars 2011

Rencontre avec Valerio Motta et Émile Josselin, qui gèrent la cellule numérique du Parti Socialiste. Une nouvelle "chronique de Rechi".

Mardi 15 mars 2011. Un doux soleil d’hiver, de ceux qu’on s’attend plus naturellement à trouver dans une ville comme Madrid que Paris, irradie la petite cour cloitrée qui se loge dans l’aile gauche du 10 rue de Solférino, le siège du Parti Socialiste. Un gobelet de plastique à demi-rempli de café dans une main, ma dernière Dunhill dans l’autre, je m’entretiens – comme on parle de la pluie et du beau temps – des modèles économiques alambiqués de la presse nationale en compagnie des deux responsables de la cellule numérique du Parti Socialiste, Valerio Motta, colonel en chef et Emile Josselin, précieux bras droit et ancien journaliste déjà croisé à une reprise ou deux, dans des conditions moins officielles. Au milieu de la discussion, Arnaud Montebourg, large sourire aux lèvres, l’oeil malicieux, fait irruption dans la cour de cet hôtel particulier qui a accueilli le ministère de l’Information chargé de la propagande du régime de Vichy en des temps plus troubles.

Dès l’instant où il aperçoit les deux compères, le candidat aux primaires socialistes ralentit le pas. Les poignées de main respectives entre les trois hommes sont chaleureuses. On s’appelle par les prénoms – on se taperait presque sur l’épaule – et on se marre quelques secondes à l’évocation d’un micro-événement lié à Twitter dont j’ai oublié toute la teneur. Mais qu’importent les détails, Arnaud Montebourg doit une fière chandelle à ces deux-là !

Sept mois plus tôt, l’université d’été de la Rochelle s’ouvre non sans une odeur nauséabonde. Subrepticement, sans que personne ne l’ait vu venir, un compte Twitter répondant au nom de Solférinien accapare l’attention, se présentant comme celui d’un cadre du PS consommé par l’envie de raconter tout le mal qu’il pense de sa formation politique. Distillant les piques plus ou moins bien senties sur des personnalités du parti, il finit par faire mouche en balançant que la journaliste Audrey Pulvar – compagne de Montebourg – devrait annoncer son départ d’iTélé et de France Inter, en conséquence de l’annonce de la candidature aux primaires de son tendre et cher.

Twitter a beau n’être qu’une goutte de d’eau dans une baignoire numérique le nombre de journalistes qui y sévissent accolés comme dans des wagons à bétail, ont le pouvoir d’en faire une goutte de sang, la rendant immanquable à l’Å“il du plus grand nombre. Et voilà comment la conférence de rentrée de France Inter – se tenant exactement au même moment – se retrouve parasitée par l’éventualité d’un conflit d’intérêt et de la démission d’une journaliste n’ayant pas même encore animé la moindre émission au profit de son nouvel employeur.

Solférinien peut alors se targuer d’un coup bien orchestré, dépassant probablement toutes ses espérances. Il fout d’un coup d’un seul Pulvar, Montebourg et tout son parti dans un vortex médiatique dont ils se seraient passés. C’est à ce moment que Valerio Motta et Emile Josselin, la doublette bicéphale de l’appareil web des socialistes, entrent en jeu avec une intention simple, piéger le corbeau. Avec le concours d’un programmeur de leur équipe, ils font miroiter à Solférinien des documents intéressants sur le parti, requérant toutefois de s’identifier par le biais d’un compte Google. Tel un poisson rouge, Solférinien mord à l’hameçon et réalise l’exploit incongru de se connecter à la plateforme via son adresse personnelle. Les socialos découvrent alors que c’est Baptiste Roynette, un permanent de l’UMP préposé à la veille numérique qui se cache derrière le compte. Montebourg peut jubiler, les boys lui ont rendu un fier service en redirigeant la patate chaude dans le camp opposé.

Motta et Josselin ne sont pourtant pas des enquêteurs numériques au service de la clique à Martine Aubry, loin de là même. Au quotidien, leur travail consiste surtout à assurer la présence numérique du parti de la rose, à travers le biais des outils plus ou moins traditionnels comme une page facebook, un compte twitter, un tumblr sarcastique, un réseau social pour sympathisants et militants (La Coopol) et bien entendu le site du parti, géré comme un véritable média, si ce n’est qu’on l’aurait dépourvu de toute objectivité politique. À seulement vingt-neuf ans – quand bien même s’ils s’en défendent timidement – ces deux-là occupent des postes très enviables de hauts-fonctionnaires, incarnent le rajeunissement d’un parti qui n’a pas souvent brillé par son jeunisme et démontrent le trust progressif des compartiments les plus élitistes de la société par une génération nerdisante.

Valerio Motta est probablement celui qui charrie le bagage politique le plus impressionnant des deux. Successivement secrétaire national des Jeunesses Socialistes, membre de l’équipe web de campagne de Jospin en 2002 puis fondateur de l’agence Partisans du Net, conseil numérique externe du parti, cet imposant gaillard d’origine italienne a hérité du poste de responsable web du parti. Militant de longue date, Émile Josselin, le responsable des contenus web, présente un profil légèrement plus atypique mais tire assurément parti de son expérience de journaliste web glanée dans les rédactions de titres comme la Voix du Nord ou 20minutes où il a d’ailleurs exercé avec certaines têtes de nÅ“uds que je retrouve parfois à l’heure de poser le coude sur le bar.

À eux deux, ils façonnent depuis plus d’un an et demi l’attirail numérique qui est censé préparer l’opération 2012. Aussi impalpable soit cette machine de guerre numérique, elle ne sert qu’un but, transformer tout clic nonchalant en actes physiques, une logique qui n’est pas sans rappeler le dispositif qui a contribué à porter le dénommé Barack Obama sur les cimes de l’État le plus puissant au monde. Selon une logique concentrique que Valerio Motta se plait probablement à schématiser chaque fois qu’il en a l’occasion, le but de toute l’action numérique consiste à transformer l’indécis en votant, le votant en militant et le militant en super-militant. A la différence des journaux ou des sites de vente, l’audience pour eux n’a qu’une finalité, transformer le pêcheur en prêcheur.

Au quotidien, le travail de ces deux là et de la petite dizaine d’individus – développeur, designers, community managers et rédacteurs – consiste à mettre à disposition des militants des outils censés les aider à échanger, s’organiser, prospecter et tracter intelligemment, notamment avec des google maps très détaillées sur les tendances politiques par zones géographiques, notamment celles susceptibles de passer l’arme à gauche. Humeurs de tendances numériques, ils s’impliquent conséquemment sur le web, gèrent tous un compte twitter personnel et ne manquent pas de checker chaque mois les évolutions en nombre d’abonnés twitter et fans facebook de la concurrence. Et puis comme tout organe politique d’opposition, une autre part de leur temps est évidemment investie à taper sur la droite de manière ludique, en tirant profit des outils numériques pour pointer les incohérences de la droite et souligner les manquements aux promesses du petit Nicolas. Nerds ou pas, à l’heure de débattre rhétoriquement de politique, on ne se refait pas.

Coincés dans un sombre open-space qui rappelle plus l’agence web que le local politique de quartier, les jeunes de la cellule web du parti socialiste illustrent assez bien la politique de rajeunissement des cadres souhaitée par celle qu’ils ont l’habitude d’appeler Martine. Avec leurs jeans et leurs chemises décontractés, ces types contrastent avec les politicards vêtus des sacro-saints costards-cravates. Pour autant, ils n’échappent pas complétement aux codes qui siéent à la politique. Le discours est décontracté mais il ne manque pas de suivre une ligne. Pas question de servir un candidat aux primaires plutôt qu’un autre, l’armada web est au service du parti, et du parti uniquement. Inutile de tenter de leur arracher leur favori, ces mecs sont muets comme des tombes sur le sujet, ou feignent en tout cas de l’être devant la vermine journalistique.

Alors que Montebourg les abandonne et prend le chemin de la sortie, attendu tel un bout de viande par les charognes munies de micro de RTL et Europe1, voilà que débarquent dans la petite cour toutes les huiles du parti. Hamon, qui a lui aussi un petit mot pour eux, suivi de près par Martine, Emmanuelli ou encore Peillon, des dossiers plein les bras, l’air grave, tous très absorbés dans de vagues considérations politiciennes. Le parti socialiste a beau avoir réussi à enfin développer un appareil numérique qui trace sa route, personne n’oublie qu’il y a une élection primaire, bien physique celle-là, à préparer au 10 rue de Solférino.

Crédits Photo FlickR CC : mallix /Parti Socialiste / ntr23

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