Journalisme et réseaux sociaux: 11 tendances pour 2011

Le 21 décembre 2010

Rétrospective non exhaustive des idées qui ont été discutées ces derniers temps sur les blogs et dans les conférences sur le blog de Citizenside.

Bon, c’est vrai, le titre est facile, mais vous connaissez un titre davantage Google-Facebook-Twitter-friendly pour cette fin d’année ?

Ni prédictions, ni révélations ici, mais une synthèse non exhaustive des idées lues, vues, entendues en cette fin d’année sur les blogs et dans les conférences (notamment Rencontres RSLN, LeWeb, news:rewired), par Citizenside

On aurait pu titrer en parlant de “mots-clés”, mais c’est so 2008.

1/ SEO journalism, ou le journalisme d’autocomplétion

Écrire et titrer pour Google ? Oui, plus que jamais. Google reste le premier réflexe du public pour chercher des infos.

Des spécialistes interviennent dans les rédactions pour aider les journalistes à mieux référencer leurs articles, comme Masha Rigin de TheDailyBeast.com, invitée par l’École de Journalisme de Sciences Po (merci à Alice Antheaume pour son récit de la journée).

La production d’infos va croissante – 600 nouvelles entrées par jour pour le Huffington Post – d’où la nécessité d’apparaître dans les premiers résultats des moteurs de recherche.

Les journalistes peaufinent le titre que vous avez envie de lire. Rien de plus facile avec Google Instant.

Exemple : un site britannique cherche comment traiter la mort du comédien Leslie Nielsen. Malcolm Coles de Digital Sparkles explique la stratégie employée pour attirer le plus grand nombre de visiteurs [en].

Premier réflexe : chercher quels sont les mots-clés les plus recherchés dans Google par les internautes autour de la mort de Leslie Nielsen à ce moment précis.


Les mots-clés les plus recherchés par les internautes sont bien sûr “Leslie Nielsen dies, Leslie Nielsen dead”, mais le troisième est plus intéressant : Leslie Nielsen quotes.

Les journalistes décident alors de titrer et d’angler un article : “Leslie Nielsen dies, his 10 best quotes”. Il a reçu des milliers de visites.

On pourrait qualifier ces pratiques de journalisme d’autocomplétion. Vous cherchez une info ? Les journalistes ont déjà la réponse.

De nouveaux outils [en] apparaissent pour aider les journalistes à mesurer les tendances en temps réel sur les réseaux sociaux, comme Surchur.

En France, les brillants ingénieurs de The Metrics Factory annoncent le lancement imminent d’un outil de mesure de la recommandation sociale sur Facebook.

Faut-il s’alarmer de cette vision éditoriale très marketing (l’offre doit correspondre à la demande), cette “content farmisation des contenus”, ou se réjouir de pouvoir apporter la bonne info au bon moment ? Le débat est ouvert.

2/ Analyse des données pour mieux comprendre ses visiteurs, ou reader-centered journalism

“Connaissez mieux vos lecteurs !” C’est l’une des injonctions entendues le plus souvent à la conférence news:rewired [en], organisé par Journalism.co.uk

Des tonnes de données sont disponibles pour mieux comprendre le parcours d’un visiteur [en], ses habitudes, ses centres d’intérêt.

“Utilisez ces chiffres pour fidéliser votre lectorat et le faire revenir”, déclarait en substance Joanna Geary, chef de projet et community manager au Times à la conférence news:rewired.

Les algorithmes – très efficaces – d’Amazon étaient pris en exemple. On pourrait envoyer des notifications au lecteur pour lui suggérer de lire tel ou tel article, en se fondant sur ses lectures passées, celles de ses amis, celles de profils similaires au sien.

Au passage, les journalistes de NewsCorp se sont évertués à défendre la stratégie du modèle payant entreprise par leur patron, Rupert Murdoch. Avec des arguments plus ou moins pertinents – “Quand vous achetez une bouteille de lait, on ne dit pas que le magasin a érigé un mur payant ?”. Mais imagine-t-on un commerce faisant fuir 99% [en] de ses clients ?

Cependant, du point de vue de la communauté, le Times a gagné en qualité ce que le site a perdu en audience. Selon Joanna Geary, de l’autre côté du mur (payant), les lecteurs du Times sont heureux. Ils participent, commentent, ont le sentiment d’appartenir à une élite, à un club. Une petite mais belle communauté, déjà évoquée par Benoît Raphaël.

Les sites doivent s’en inspirer pour “chouchouter” leurs lecteurs les plus fidèles, les plus attachés au titre. Les journalistes doivent-ils se soucier de marketing ? Oui, leur marque, leur titre n’a qu’un seul actif : sa réputation, et l’affection qu’on lui porte.

3/ Valorisation des lecteurs

Les médias doivent fournir les meilleures infos à leurs lecteurs, les meilleurs services à leurs fans.

Il faut s’appuyer sur le noyau dur de votre communauté pour faire remonter les alertes, tester de nouvelles fonctionnalités, recueillir leurs impressions. En retour, ces ambassadeurs reviendront encore plus souvent sur le site, parleront de votre titre autour d’eux, vous défendront en situation de crise.

À nos plus fidèles lecteurs, le pouvoir.

Celui de pouvoir participer librement sans modération a posteriori, comme le fait Reuters [en]. Celui de modérer eux-mêmes la communauté, d’alerter les journalistes sur les meilleures contributions, de signaler des problèmes [en], d’apporter des URL et créer du lien.

Ingénieurs et journalistes doivent confectionner de nouveaux outils pour identifier les lecteurs les plus assidus, aux contributions de qualité – bref, ceux qui apportent le plus à votre site. Il faut ensuite leur bâtir un club sur mesure (je pense notamment au club de Mediapart), au sein du site – et non à l’extérieur.

Au tout début était le mythe – celui du journalisme citoyen. Le lecteur ? Potentiellement un dangereux concurrent. Tout le monde allait participer, l’info serait faite par tous. La presse tremblait.

C’était en 2005, YouTube naissait.

En 2010, j’ai entendu un responsable d’un gros site d’infos rappeler que 98% des visiteurs ne laissaient jamais de commentaires. Concentrons-nous sur les 2% restants et valorisons-les à hauteur de leur apport. 2%, ce n’est pas énorme en terme de ratio, c’est bien souvent immense en volume.

4/ Le social gaming pour valoriser sa communauté

En quoi les jeux vidéos et des services comme Foursquare peuvent-ils aider les médias ? A priori, aucun rapport. Sauf pour mieux dialoguer, comprendre, fidéliser, valoriser et parler le même langage que ses lecteurs, habitués à ces nouveaux codes. Des fonctionnalités a priori indispensables pour des sites participatifs.

Le HuffingtonPost a ainsi instauré un système de badges [en] pour distinguer ses lecteurs les plus actifs – en partageant notamment les billets et articles du site avec leur entourage.

À Citizenside, nous travaillons également sur un nouveau système pour distinguer les meilleurs contributeurs – et au final leur donner davantage de pouvoirs et privilèges concernant l’administration du site et l’animation de la communauté.

Les jeux en réseaux, boostés par Facebook, amorcent une vraie révolution. Autant s’inspirer dans ce nouveau monde des meilleurs exemples [en] pour fidéliser, valoriser sa communauté, voire dans le futur vendre ses contenus/abonnements.

5/ News + social Gaming, ou le jeu informatif

“Stop telling stories !” Le cri du cœur vient de Philip Trippenbach, de la BBC. “Une manifestation, ça se raconte. Pas le changement climatique. Le changement climatique, ça se comprend”, déclamait Trippenbach lors d’une superbe présentation [vidéo, en] à news:rewired.

L’homme se définit à la fois comme journaliste, “interactive producer” et créateur de jeux.

Comment faire comprendre les enjeux d’une crise financière autrement que par une série d’articles techniques ? En impliquant le lecteur. En le faisant jouer avec le système [en], comme on jouerait avec un roulement à billes pour en comprendre le mécanisme. En piquant sa curiosité, en lui permettant de s’approprier progressivement toutes les notions.

Dans les tuyaux du labo de la BBC [en] : un vaste jeu pour comprendre les classes sociales au Royaume-Uni mêlant sondage, étude [en] épaulée par des sociologues, reportages, récit interactif et surtout une visualisation – annoncée comme inédite – de la masse de données recueillies.

Autre exemple de “jeu informatif” cette année, celui du Guardian, qui vous mettait dans la peau d’un ministre du Budget [en] chargé de coupes claires dans les comptes de la nation.

6/ La recommandation pour diffuser l’info et interagir avec le lecteur

Plus que jamais, la recommandation est mère de viralité.

Avant on envoyait un article à un ou deux amis. Puis le “like button” de Facebook est apparu. Un clic, et vos 130 amis sont ravis d’apprendre que vous recommandez cet article incontournable [en].

Pour les sites, il s’agit de passer d’une stratégie “Google-friendly” (SEO, Search engine optimization) à une stratégie Facebook-friendly, facilitant la recommandation (SMO, Social media optimization). Jusqu’à l’overdose ?

CNN a produit une étude passionnante [en] pour démontrer le pouvoir de la recommandation concernant les sites d’infos, comme l’évoquait Gilles Bruno.

Les internautes ont plus tendances à cliquer sur les liens suggérés par leurs amis – pour certains reportages diffusés en ligne, 80% du trafic vient des réseaux sociaux. Un seul lecteur a amené 5.000 visiteurs à visionner une vidéo sur le site de CNN.

Dingue. Et ce n’est qu’un début : on annonce la télé connectée à Facebook [en], pour voir ce que vos amis recommandent de regarder.

Facebook recommande les médias, Facebook aime les médias.

De leur côté, les médias doivent imaginer de nouvelles formes d’écriture, interagir davantage avec les lecteurs (une page sans like ni commentaire est contre-productive pour Facebook), créer de nouveaux postes (social media manager, par exemple), utiliser de nouveaux outils et applications de veille/animation sur les réseaux (Hootsuite, TweetDeck, Seesmic, mais aussi Tigerlily [en]…).

7/ “Plus mon réseau sera vaste, mieux je serai informé”

Dans la vie de tous les jours, c’est une évidence. En ligne, aussi. Quand je cherchais une info, je demandais à la grande pythie, un algorithme me répondait.

Aujourd’hui de nouveaux moteurs de recherche vont propulser en premier les résultats déjà trouvés, recommandés par votre communauté, vos contacts plus ou moins proches.

Prenons LinkedIn. Le réseau social professionnel permet de chercher des contacts dans votre deuxième cercle (les contacts de contacts), le troisième… encore faut-il que votre premier réseau soit le plus étendu possible.

Le social graph vu par Facebook n’a pas fini de bouleverser notre accès à l’information ; l’association de Bing avec Facebook [vidéo, en] s’avère prometteuse. Comme le tout nouveau Quora.

Ceux qui ont le plus grand réseau [en] seront avantagés dans la recherche d’information, d’angles et de contacts. Le fossé risque de se creuser dans les rédactions entre les networked journalists et les rétifs aux réseaux, en ce qui concerne notamment le fact-checking.

Le journaliste doit aujourd’hui maîtriser les réseaux, demain naviguer entre les communautés. Des moteurs nouvelle génération permettront de scanner les niches et trouver plus facilement ceux qui font autorité dans leur microcosme.

À voir : Research.ly, qui permet d’affiner sa recherche par communautés et conversations en temps réel. Après le graphe social, Brian Solis annonce l’arrivée du graphe d’intérêts.

8/ Tous curators

Réduire le bruit et sélectionner, trier, des milliers de nouveaux liens tous les jours, les recontextualiser, tel est l’enjeu de ce nouveau sport en vogue aux États-Unis.

Pour les journalistes comme pour les blogueurs et lecteurs éclairés, cela passera par de nouveaux outils comme Storify [vidéo, en], ou encore Scoop.it. Voir le résumé éclairant de la conférence de Brian Solis par Éric Scherer.

9/ Socialiser le live-blogging

Au nom de la langue française, je m’excuse pour ce titre. Le récit d’événements en temps réel fonctionne bien avec des applications comme CoveritLive, largement utilisée en 2010.

L’étape d’après ? Peut-être à chercher du côté d’applications comme ScribbleitLive. Souple, personnalisable, ergonomique, ce service a par exemple permis à une rédaction à Bangkok de couvrir en un clin d’œil les émeutes des chemises rouges, aux fans d’une chaîne de sport de commenter un match en direct. Pour les sites sportifs, ce genre d’application est une aubaine (fidélisation, temps passé, etc.)

Par ailleurs, les créateurs de ScribbleitLive annoncent le lancement d’une plateforme de syndication des articles en temps réel et un outil “d’article vivant”, aidant le journaliste à diffuser du contenu entre le moment où l’angle est défini et le moment où l’article est diffusé.

10/ L’hyperlocal, enfin ?

2011, l’année de l’hyperlocal ? Comme on l’annonçait déjà en décembre 2006, 2007, etc. ?

Un seul bémol : le site Patch.com, qui commence à mettre tout le monde d’accord aux États-Unis, surtout en embauchant 30 journalistes par semaine, à des tarifs beaucoup plus élevés que les “fermes à contenus”.

Le modèle ? S’installer uniquement au sein de communautés déjà constituées, dans des quartiers à l’identité forte, des journalistes travaillant le réseau de fidèles, des infos en temps réel, des bons plans et des pages jaunes éditorialisées.

Déjà 600 sites locaux créés, qui s’articulent au niveau régional et national.

Voir l’article très complet d’Emma Heald [en] sur Editors Weblog.

11/ Journalisme de données : ce n’est qu’un début

Une abondante littérature a déjà été écrite sur le sujet. Vous me direz : pourquoi écrire sur ce thème ? Parce que j’avais promis onze tendances.

En bref :

- À news:rewired, on évoquait le “linked data” [en, 3e paragraphe] : recontextualiser les données, les rendre encore davantage intelligibles pour mieux comprendre un système. Le travail d’OWNI sur les Iraq Warlogs a bien sûr été souvent cité [en].

- Autre constat : les datajournalists au Royaume-Uni semblent à première vue plus nombreux qu’en France, et commencent à ressembler à une petite confrérie, avec ses rencontres, ses événements, et sont en poste dans de nombreux titres. Il n’existe pas encore de formation ad hoc – tout comme en France – les journalistes interrogés se sont tous révélés des autodidactes.

- Le nombre d’applications développées par le Guardian autour du datajournalism cette année donne le tournis. Le site vient d’ailleurs de lancer une section dédiée au datajournalism [en]. La participation et la curation sont bien sûr dans l’ADN de cet espace.

On ne peut que constater un décalage croissant entre le rythme des innovations au sein des sites de news britanniques et l’Hexagone….

Sinon, en terme de tendances dans l’air du temps, vous avez remarqué quoi ?

Écrire court ? Oui, je sais.

Billet initialement publié sur Citizenside blog

Image CC Flickr Matthew Burpee et Mike Licht, NotionsCapital.com

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