Les minerais de terres rares, nouvelle arme diplomatique de la Chine

Le 31 octobre 2010

Profitant de son quasi monopole sur l'exploitation des terres rares, essentielles à l'industrie électronique, la Chine a montré des velléités d'utiliser cet atout comme instrument de pression internationale, notamment vis-à-vis du Japon.

Ce billet a été originellement publié sur Global Voices, écrit par Oiwan Lam et traduit par Suzanne Lehn.

Les terres rares sont indispensables à la fabrication des appareils de haute technologie, comme les téléphones portables, batteries, écrans de téléviseurs et d’ordinateurs et bien d’autres. Selon des chiffres de 2009, la Chine possède 36% des réserves mondiales de terres rares (36 millions de tonnes), mais assure 97% de leur extraction totale.

Depuis septembre, lorsque la Chine a temporairement suspendu l’exportation des métaux de terres rares vers le Japon du fait de la dispute territoriale sur les îles Diaoyu, la tension sur l’offre des terres rares a monté et d’autres pays ont rejoint la discussion. La Fédération des Industries Allemandes a affirmé que les terres rares devenaient une question géopolitique, malgré la proclamation du gouvernement chinois qu’elles ne serviraient pas d’instrument de marchandage”. Dernier développement dans l’affaire, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a dit hier dans une conférence de presse espérer que la Chine poursuivrait un commerce sans entraves des terres rares.

Fragment d'yttrium pur à 99,9% (l'un des métaux extraits des terres rares).

Voilà pour la scène internationale. Dans le pays, avec la montée du sentiment nationaliste, une majorité de Chinois du continent est favorable à la restriction par le gouvernement de l’exportation des terres rares.

Histoire de l’exportation des terres rares

Le débat sur les terres rares a en fait commencé l’an dernier. Déjà à ce moment, le blogueur SMPB y voyait une question de sécurité nationale. Le blogueur rappelait l’historique des exportations de terres rares par la Chine :

En 2002, après son entrée à l’OMC, la Chine ne connaissait pas grand chose à l’importance des terres rares et publia un rapport sur les six tendances majeures de ce secteur. Le rapport endossait les principes de l’OMC et se donnait pour but de faire des profits en contrôlant les prix et en construisant les canaux d’exportation, faisant de la Chine la puissance dominante dans le commerce des terres rares.

Mais en avril 2009, le ministère des Ressources minières de la République populaire de Chine annonça un système de quotas dans l’extraction des terres rares. Cette décision a réduit le volume de la production des terres rares et a suspendu les autorisations de nouveaux projets miniers. Qui plus est, le gouvernement chinois a aussi imposé des restrictions aux exportations par une taxation. Cette nouvelle politique a alarmé l’Union européenne, les États-Unis, le Japon et la Corée. Le 22 juin 2009, l’Union européenne et les États-Unis décidèrent de négocier avec le gouvernement chinois. En cas d’échec des négociations, ils porteraient le différend devant l’OMC. Des sources de l’UE ont déclaré que “la taxe à l’exportation chinoise sur les matières premières provoquait une distorsion du marché mondial et nuisait aux entreprises européennes et américaines”.

Le blogueur est convaincu que les restrictions sont une affaire de sécurité nationale :

Les vingt matières premières industrielles mises sur la table de l’OMC par l’UE et les USA ont une signification plus profonde : la sécurité nationale. Les terres rares sont l’élément essentiel de la production d’armements high tech. Les exportations antérieures de la Chine ont mis en danger sa propre sécurité nationale en aidant les pays étrangers à développer les armements de haute technologie. Cet enjeu stratégique est le non-dit du débat.

Intimidation internationale ?

Au nouveau stade de la discussion, ce blogueur, ancien militaire, voit aussi dans l’affaire une pression internationale sur la Chine. Le titre de son blog est “Les puissances étrangères font pression  sur la Chine pour qu’elle exporte les terres rares”. Le blogueur cite un rapport, Éléments terres rares : la chaîne d’approvisionnement mondiale (pdf [en anglais]), écrit par Marc Humphries, un analyste de politique énergétique, et souligne :

Si on considère les réserves par habitant, celles de terres rares sont plus importantes aux États-Unis et en Russie qu’en Chine. Cependant, comme la Chine est à l’échelon le plus bas de la chaîne de production, elle produit 97% des éléments terres rares du monde. Le ratio réserves –  production est totalement déséquilibré. Les États-Unis ont 13% des réserves mondiales de terres rares mais n’extraient rien et dépendent à 100% des importations. Il n’est donc pas vrai de dire que les restrictions chinoises sur les exportations de terres rares ont conduit à la pénurie de l’approvisionnement. Il n’y a nullement pénurie de terres rares, mais uniquement des terres rares bon marché chinoises.

La rhétorique nationaliste trouve un écho sur les forums internet. Sur Baidu Tieba, beaucoup accusent les trafiquants de terres rares de trahison. Réagissant à des informations récentes sur de la contrebande de terres rares, Dandelion a écrit :

Pour votre intérêt personnel vous pouvez mettre le pays en vente ? La Chine est un pays en développement et il y a encore beaucoup à faire. Le problème-clé est évidemment l’économie. Lorsque les pays riches disent que les Chinois aiment à prendre un petit profit, ils manquent tellement de respect au peuple chinois. Ils ont pris un gros profit sur nous ! Ils ne veulent pas perdre leurs propres réserves de matières premières, ils ne veulent pas détruire l’environnement de leur pays. C’est pour cela qu’ils viennent acheter les terres rares chinoises. Bien que les terres rares soient chères et fructueuses, leur valeur est très supérieure à leur prix. En fait, nous vendons de l’or au prix des légumes. Même si vous êtes riches à présent, vous ne signifiez rien pour eux. Ce n’est que lorsque notre pays sera fort et que notre économie continuera à croître que nous pourrons marcher sans baisser la tête et dire fièrement : nous sommes Chinois ! Ne ruinons pas la politique du pays pour notre gain personnel. Notre 1,3 milliard doit être uni pour l’avenir brillant de la Chine. (D’ailleurs, méprisons les Américains, les Japonais…. méprisons ceux qui trafiquent des terres rares pour leur gain personnel. Ce que vous vendez n’est pas des terres rares, mais la dignité des Chinois et l’avenir de la Chine. Le trafiquant de Tsingtao est un malade. Il a oublié le massacre de Nankin. Il ose même en vendre aux Japonais. Vous ne craignez pas que la prochaine bombe atomique soit pour vous ?)

Mais qui donc a pris au départ la décision de vendre les terres rares ? YierYier Wei s’en prend au décideur sur Baidu Teiba et les sentiments nationalistes ne tardent pas à viser les officiels corrompus :

YierYierWei : Administration chinoise, tu ne comprendras jamais l’importance des terres rares.
124.231.90.* : Tout ce qu’ils savent, c’est où manger et profiter de la vie, et s’en mettre plein les poches chaque fois qu’ils peuvent.
Missing szy : Les fonctionnaires du gouvernement ne sont pas élus. L’opinion des gens ne compte pas.
Aukulisi : Quand ils auront vendu toutes nos terres rares, ils émigreront dans d’autres pays. Peu leur importera que nous soyons vivants ou morts. En plus de l’embargo sur les terres rares, il faut empêcher les fonctionnaires du gouvernement d’émigrer.

Photo FlickR CC : xiuamingThorius ; vfowler.

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