Les éclats des écrans Numériflash

Le 21 octobre 2010

Alors que les écrans Numériflash tendent à se banaliser dans les couloirs du métro parisien, Erwan François s'inquiète de la gêne qu'ils représentent et s'interroge sur la prégnance publicitaire.

Il a été beaucoup question des panneaux Numériflash, dont le déploiement a repris et s’intensifie actuellement à Paris, à cause de leurs caméras espionnes et de leur utilisation des ondes Bluetooth. Mais leur prégnance dans les couloirs du métro et du RER, liée à leur taille, à leur grande luminosité et aux animations affichées, a été un peu vite oubliée. Pourtant, elle peut se montrer fort gênante, elle aussi.

Sur son “dernier blog”, Jean-Noël Lafargue a déjà évoqué à plusieurs reprises cette année les dispositifs publicitaires “Numériflash”, ces écrans de 90 × 160 cm posés à la verticale, comarqués Samsung et Metrobus, et capables de diffuser des publicités animées (lire ses billets ici, , et ). J’aborde ce sujet à mon tour au moment où le déploiement de ces écrans, qui a repris en avril dans les couloirs du métro et du RER à Paris, semble passer à la vitesse supérieure. C’est pour moi l’occasion de prendre mieux conscience de leur nuisance.

L’accélération était flagrante cette semaine à République, une grande station parisienne que je fréquente une à deux fois par jour en semaine. Ce weekend, en repassant par cette même station, j’ai compté pas moins de six écrans Numériflash sur mon trajet. Si République a fait l’objet d’un équipement particulièrement rapide et abondant, sans doute est-ce parce que ces écrans sont ainsi présentés aux annonceurs:

Communiquez sur le 1er réseau numérique en France. Une présence sur un écran LCD full HD 70’’ dans des stations à fort trafic. Des emplacements ultra qualitatifs 100 % isolés pour une meilleure visibilité de votre campagne.

La fiche produit (PDF) d’où je tire ce passage indique aussi qu’entre septembre 2010 et janvier 2011, le nombre de “faces” Numériflash doit passer de 295 à 350. Début juin, il n’y en avait encore que 140 en place. Le nombre total annoncé d’écrans Numériflash appelés à composer le “Réseau Nouvelles Technologies” de Metrobus, l’actuelle régie publicitaire de la RATP (filiale de Publicis et JC Decaux), est de 400 dans 90 stations de métro et de RER, principalement à l’intérieur de Paris. Selon certaines sources, ce chiffre de 400 écrans en place serait à atteindre dès la fin de l’année, moment d’une possible passation du rôle de régie [1]. Par ailleurs, il est question d’en installer 800 de mieux dans les gares SNCF.

Minority Report

Il faut se mettre un instant à la place de Metrobus (et du GIE dont elle est membre, Media Transports): grâce à Numériflash, on peut se passer de tout colleur d’affiches, en faisant malgré tout preuve de bien plus de souplesse et d’efficacité dans le ciblage. Avec l’informatisation, l’alternance des publicités au fil de la journée devient d’une simplicité déconcertante. Il devient envisageable d’”accompagner” les cibles dans leurs déplacements (voir les tranches-horaire “Business”, “Conso” ou “Loisirs” proposées par l’exploitant sur la fiche mentionnée plus haut) dont on sait aujourd’hui qu’ils sont fort prévisibles. En outre, j’imagine sans peine qu’on peu retoucher une affiche, je veux dire une animation qui n’aurait pas suffisamment d’impact et la rediffuser immédiatement, à grande échelle [2].

Avec des possibilités déjà si prometteuses, le dispositif Numériflash complet, incluant avec chaque écran deux caméras traquant le comportement des passants et le recours aux ondes Bluetooth, pour leur glisser quelques offres promotionnelles directement dans le terminal, prend tout son sens. Après l’avis défavorable aux associations rendu par la Cnil, le dispositif sera mis en place dans son intégralité. Il avait simplement été « décidé de ne pas intégrer tout de suite dans les écrans les capteurs, ni le module permettant d’envoyer des messages, “pour calmer les esprits”, selon Norbert Maire, directeur de l’innovation de Métrobus » (Leparisien.fr). Ainsi, tandis que sur nos ordinateurs portables, nos tablettes et autres smartphones, nous « multitouchons » les images à l’envi, à l’instar de John Anderton (Tom Cruise) qui tripotait du bout des doigts les sinistres visions d’un trio de precogs, les afficheurs se « Minority Reportent », eux aussi. C’est à croire que des precogs étaient déjà présents lors du brainstorming de Santa Monica, organisé par Steven Spielberg en 1999 dans le cadre de la préparation de son film… [3].

Extrêmement sollicitants

L’un des autres “avantages” de ces écrans Numériflash, grands, lumineux et animés, est de tirer leur épingle du jeu dans des zones mal éclairées (quantitativement et/ou qualitativement) ou dans des lieux d’intense passage. C’est sur cette prégnance, un thème un peu délaissé me semble-t-il, que j’aimerais insister.

Telle que rapportée par de nombreux articles de presse, l’opposition à ces écrans aurait pour motifs centraux voire exclusifs des points qui, je l’ai dit, ont été temporairement retirés du dispositif. Sans doute car ce sont sur ces thèmes que les associations avaient assigné la RATP et Metrobus en justice. Cependant, je découvre qu’il y a d’autres objets de critique, dont précisément cette forte prégnance dans les sous-sols. Sur le site de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), l’un des reproches formulés est que « Les nouveaux écrans publicitaires des couloirs des métros et RER sont très agressifs (images animées, rythme relevé, forte luminosité…) ».

Il m’était difficile de prendre pleinement conscience de ce problème auparavant. Mais effectivement, même dépourvus d’yeux épieurs et de “dent bleue”, je trouve ces écrans Numériflash extrêmement sollicitants. À force de les croiser, un vif sentiment d’agression s’est emparé de moi. Je me souviens entre autres d’une publicité pour RTL, à la dominante écarlate, dont l’animation consistait en une série de rotations latérales, passant d’un visuel à un autre à un rythme soutenu. Il m’était à peu près aussi difficile que pénible d’emprunter les couloirs du métro en ignorant ces publicités. Je suis bien d’accord avec RAP lorsqu’elle estime que les écrans Numériflash semblent en partie conçus “pour mieux nous empêcher de laisser vagabonder notre esprit” (PDF). Objectif atteint?

Avec la mise en place de ces écrans, un sérieux coup de barre pro-marketing et à l’encontre de l’usager me semble avoir été réalisé. Ce dernier s’acquitte pourtant de son titre de transport et doit déjà supporter quelques 80 000 faces publicitaires dans les couloirs, sur les quais et dans les rames, qui rapportent moins de 2 % des recettes de la RATP. Parallèlement, le coût des titres de transport n’est pas à la baisse, bien au contraire, et la vétusté des transports en commun tarde à se résorber. Certes, des écrans interactifs comparables à ceux du réseau Numériflash sont déjà exploités à l’étranger depuis longtemps. Pour ma part, ces écrans sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Qu’en sera-t-il lorsque l’heure des publicités en 3D via écran Numériflash, évoquée dès 2008, aura sonné?

Vandalisme

Cette année, les usagers ont pu croiser à plusieurs reprises des écrans Numériflash dont la vitre de protection avait été brisée. Ces vitres font parfois l’objet de tags (“Aliénation”, “Stop pub”, “No pub”…). Selon Metrobus, de telles dégradations « ne viennent pas des banlieues puisqu’il n’y a pas de fautes d’orthographe » (!). Elles seraient le fait d’“activistes anti-pub” (pour les tags), sans être nécessairement celui d’associations telles que RAP, qui déclare préférer les voies de la négociation et de la légalité.

Sans aucunement cautionner les actes de vandalisme dont font l’objet ces écrans, quels qu’en soient les auteurs, je peux parfaitement comprendre qu’ils aient été commis. J’aimerais croire que “C’en est désormais fini d’une certaine impunité en matière d’agression publicitaire” et que “Ceux qui sont, à l’origine, simplement censés assurer nos déplacements quotidiens, vont devoir rendre des comptes sur leur politique de harcèlement publicitaire, menée à l’encontre des citoyens” (Challenges.fr). Mais j’en doute, ne serait-ce que parce que cette question de la prégnance publicitaire n’est pas suffisamment encadrée aujourd’hui.

Notes

  1. Lien ajouté le 11 octobre, merci à Didier. []
  2. Sur les raisons de la volontaire sous-utilisation des possibilités de ces écrans en termes de diffusion d’animation, lire cet article de 01net.com []
  3. Ça ne s’invente pas : la startup à l’origine du concept Numériflash a pour nom Majority Report (ajout du 11 octobre). []

Billet originellement publié sur Iconique, un blog de Culture Visuelle.

Crédits Photo CC Flickr: dan taylor

Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés