Contenus : l’heure du Cloud a sonné

Le 5 octobre 2010

Benoît Darcy se penche sur l'une des révolutions dans le domaine de l'accès aux contenus, notamment musicaux : le cloud.

Nous assistons aujourd’hui à un paradoxe étonnant : le dynamisme le plus fort de l’industrie musicale est ces dernières années observé dans son secteur le plus volatil. Les concerts. Il s’agit presque d’un retour aux sources. On accorde désormais une plus grande valeur à l’écoute de musique reproduite par des humains, sans enregistrement. C’est pourtant bien l’enregistrement de la musique qui a depuis des décennies façonné son histoire. Tout au moins son évolution.

Une histoire jalonnée de révolutions

Selon Wikipedia, La première invention permettant l’enregistrement sonore fut réalisée par le français Édouard-Léon Scott de Martinville qui mis au point et breveta en 1857 le phonautographe, appareil qui enregistre le son sans toutefois pouvoir le restituer. Le phonautographe se compose d’un pavillon relié à un diaphragme qui recueille les vibrations acoustiques transmises à un stylet qui les grave sur une feuille de papier enduite de noir de fumée (laquelle est enroulée autour d’un cylindre rotatif). Un exemplaire d’un enregistrement papier retrouvé en 2008 et dont la réalisation date de 1860, a été traité numériquement pour pouvoir être réécouté aujourd’hui. L’enregistrement d’une dizaine de secondes d’un au clair de la lune d’une voix féminine est la plus ancienne reproduction sonore de l’humanité.

Mais c’est à Thomas Edison que nous devons le plus connu des moyens d’enregistrement du 19ème siècle : le phonographe. Edison dépose un brevet sur son phonographe en 1877. Le principe est simple : une membrane de mica solidaire d’un stylet est mue par les ondes sonores et grave directement ces vibrations sur une kipa en vinyl en mouvement rotatif, laissant un sillon s’enroulant sur le pourtour de la kipa. La particularité du phonographe est qu’il est réversible : le même mécanisme sert à la fois à enregistrer et à reproduire les sons. Une évolution du phonographe, toujours basée sur un enregistrement direct mécanique aboutira au disque et au gramophone.

Le vinyle fera une bien belle carrière dans l’industrie de la musique. Il est même encore utilisé de nos jours par des passionnés, des audiophiles et même des DJs. Cent ans après l’invention d’Édouard-Léon Scott, dans les années 60, la cassette fera sa percée et apportera son lot d’innovations : enregistrement plus facile, plus accessible, possibilité d’étendre la durée de musique enregistrée, résistance aux chocs et copie possible.

Dans les années 80, arrive le numérique. La technologie permet de convertir des sources analogiques en données numériques, c’est l’arrivée du CD. Jusqu’alors chaque changement de technologie s’accompagnait d’une variation positive d’un paramètre essentiel pour l’auditeur : la qualité d’écoute. Le CD, en plus de la qualité, a amené bien plus. Il a révolutionné – une première fois – la manière dont la musique pouvait se transporter, s’échanger. Lorsqu’il est devenu Recordable, le CD a continué sa mutation des pratiques d’échange. Il est alors devenu plus simple de copier, couper, coller, compiler, playlister. Mais cette révolution n’était rien par rapport à celle qui allait suivre, celle du MP3 et de la dématérialisation. Pour la première fois, il ne s’agissait pas de créer de l’innovation technologique pour améliorer la qualité de reproduction de la musique. Mais de remettre en question la manière dont la musique se consommait.

La musique est aujourd’hui devenue pervasive. Et si ce ce terme n’est pas reconnu officiellement dans l’usage en langue française nous précise le Wiktionnaire, c’est bien au sens latin que ce terme s’applique à la musique. Pervasif est ainsi synonyme de « aller de toute part, s’insinuer, se propager, se pénétrer dans, s’étendre, imprégner, se répandre, faire répandre, envahir ».

Le Cloud Computing appliqué aux loisirs numériques

Connaissez-vous le Cloud Computing ? Il s’agit d’un concept majeur de l’informatique moderne. Ce concept a redéfini les axes de pouvoir dans le business des logiciels et du hardware depuis le début des années 2000. Des sociétés comme Google ou SalesForce.com en ont largement tiré parti. Wikipedia en donne une définition assez simple et synthétique : dans la pratique, avec une solution de Cloud Computing, les applications et les données ne se trouvent plus sur l’ordinateur local, mais – métaphoriquement parlant – dans un nuage (le CLOUD) composé d’un certain nombre de serveurs distants inter-connectés au moyen d’une excellente bande passante indispensable à la fluidité du système. L’accès au service se fait par une application standard facilement disponible, la plupart du temps un navigateur Web.

Déporter le stockage des contenus, en assurer l’accès partout, tout le temps

Si le Cloud Computing permet de déporter les calculs, l’intelligence logicielle, il faut également déporter le stockage. La musique, la vidéo, les jeux sont grands consommateurs d’espace. Mieux, il faut en assurer l’accès à tout moment, avec ou sans connexion Internet. Si vous êtes un power-user de Gmail, vous connaissez surement Google Gears, qui permet notamment via un système de cache d’accéder à son Webmail même en étant déconnecté du « nuage ». Le modèle est applicable à la musique. Des solutions existent déjà. Spotify par exemple permet via son système de peer-to-peer de s’affranchir des dépendance par rapport à un serveur centralisé où se trouve la musique (= le modèle de Deezer basé sur du streaming). Dès lors, il est aisément imaginable qu’un tel service puisse, à l’aide d’un système de cache, être utilisable sur un téléphone mobile.

L’usage sera très simple : le téléphone mobile, grâce à sa connexion internet pourra se connecter au CLOUD partout et tout le temps et ainsi diffuser la musique à la demande. Si jamais la connexion venait à s’interrompre, le système de mémoire cache pourrait prendre le relais. Et comment assurer la pertinence de la musique stockée dans le cache, pour être à peu près certain de répondre à la demande d’écoute de l’utilisateur même si la connexion est coupé ? C’est simple : en exploitant intelligemment les données de services monitorant les habitudes d’écoutes. C’est tout l’objet d’un service comme Last.fm, premier sur le secteur, et qui a une énorme carte à jouer dans le domaine ces 2 ou 3 prochaines années.

Avec un tel système, le téléchargement n’a plus sa place. Ou peut être pour les paranos de l’archivage, ou bien pour transmettre de la musique à une personne ne disposant pas d’un CLOUD. Dans tous les cas, le téléchargement légal comme illégal deviendra un usage en baisse de régime, puis deviendra minoritaire, avant de s’éteindre définitivement. Pascal Nègre ne sera peut être plus de ce monde pour vivre cette révolution à laquelle il aura tant rêvé pendant les 10 dernières années de sa carrière. Reste que la jeune génération n’aura alors connu que ça. Le CLOUD. Ce mode de consommation constituera leur usage principal. Et cela ne sera pas uniquement restreint à la musique…

La vidéo, la musique et le jeu-vidéo, en un mot : l’entertainment

Nous venons de le voir. La musique n’est pas le seul domaine où la révolution du CLOUD est en train de s’opérer. Les grandes manœuvres sont en marche dans bien d’autres domaines.

En TV par exemple, la majorité des grandes chaînes se sont maintenant dotées de services de Vidéo à la demande et de catch-up TV. Il est maintenant possible de regarder à peu près n’importe quelle émission, à peu près à n’importe quel moment. Ajoutez à cela les progrès réalisés par les boxes des FAI (un phénomène très français) et des progrès réalisés sur le marché des télévision Internet. Jusqu’à aujourd’hui, les tentatives de TV Internet avaient toutes échoués (vous souvenez vous de l’échec cuisant de la Thomson TAK ? voir cet article de 2001 sur 01net). Les constructeurs remettent sur le marché des TV connecté à Internet, avec encore une fois des arguments marketing fumeux (comme si l’accès à des widgets météo, news, etc. pouvaient révolutionner l’usage…), mais qui laisseront rapidement place à de vrais modèles d’innovation et de rentabilité. VOD et Catch up TV en sont.

Dans le jeu vidéo, certaines initiatives allant dans le sens du Cloud verront peut-être même le jour cette année. Ainsi, le service OnLive.com permettra de « streamer » des jeux vidéo. Pas besoin de console, pas besoin de DVD, encore moins de cartouche. Une TV et une box suffiront. Je vous encourage vivement à aller regarder la vidéo de présentation du service sur le site OnLive. Ca ne marchera peut être pas de manière optimale au début (lire des détails sur Gamekult). Cela demandera probablement une bande passante hallucinante, mais OnLive permet d’entrevoir la façon dont l’industrie du jeu vidéo peut tirer parti du CLOUD. Nul doute que les constructeurs de console feront tout pour empêcher cette révolution… [...]

Recommencer à gagner de l’argent avec les contenus

Si le Cloud redéfinit la façon dont on consomme les contenus et annule la valeur du téléchargement, il ne règle pas plus qu’un autre système le problème de la rentabilité de tout ce petit univers. A mon sens, pour que le CLOUD trouve la pérénité et assure des revenus à la filière musicale, nous devrons passer par une étape indispensable : redéfinir la manière dont est calculé la rémunération des droits d’auteurs. Il faudra baser les analyses sur de nouvelles grandeurs à mesurer : le nombre d’écoutes, le nombre de téléchargement… Il faudra enfin utiliser à bon escient les méta-données. Ce sont ces métas qui structureront la rémunération et la répartition des revenus entre les différents intermédiaires et les producteurs de contenus.

Vous l’aurez compris, à l’heure où la loi Hadopi occupe les esprits, tout cela paraît bien loin. Nul doute que cette révolution prendra du temps. J’emprunterai la dernière phrase de ce long post (merci de m’avoir lu jusqu’ici !) à Linus Torvalds, le créateur du système Linux : « les backups c’est pour les fillettes, les vrais hommes mettent leurs données sur un serveur FTP et laissent le reste du monde créer des miroirs ». C’était en 1995, dans une discussion sur comp.sys.linux. Une heureuse prémonition qui laisse songeur…

Article initialement publié sur zdar.net

Crédits photos : CC FlickR markhoekstra, gregory moine, tanakawho

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