Hossein Derakhshan: la peine de mort plane sur “blogfather”

Le 24 septembre 2010

Hossein Derakhshan, bloggueur et journaliste irano-canadien est emprisonné en Iran depuis 2 ans. Il y a deux jours le procureur de Téhéran a requis la peine de mort à son encontre. Portrait Inédit.

Journaliste et bloggueur irano-canadien de 35 ans, Hossein Derakhshan est emprisonné à Téhéran depuis maintenant 2 ans. Son procès qui a finalement débuté en juin 2010 a connu un nouvel épisode avant-hier (le 22 septembre) lorsque le procureur de Téhéran a requis la peine de mort à l’encontre d’Hossein. La décision est désormais entre les mains du juge qui préside la court. Face à ce nouveau rebondissement dans le procès, sa compagne, Sandrine Murcia, a lancé un appel à la communauté internationale :

Je lance un appel à la communauté internationale pour la libération de mon compagnon, Hossein Derakhshan, bloggeur et journaliste irano-canadien, surnommé Blogfather, arrêté en novembre 2008 et détenu à la prison de Evin, Téhéran, Iran depuis lors. Nous venons d’apprendre hier que le procureur de Téhéran a requis la peine de mort. Les jours qui viennent pourraient voir cette sentence confirmée par les autorités iraniennes, alors même qu’il n’a fait qu’exercer son métier de journaliste.
L’urgence est donc totale.
A l’heure où toutes les grandes nations se réunissent à New York, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, c’est au Président Ahmadinejad et à toute la communauté internationale, que je souhaite m’adresser pour qu’Hossein retrouve très vite la liberté, au nom des droits de l’homme et de la liberté d’expression des journalistes.

Vous pourrez également trouver sur le web une pétition en ligne ainsi qu’un groupe Facebook demandant sa libération.

Hossein Derakhsan est plus connu sous le nom de “Hoder”, la signature qu’il utilisait lorsqu’il avait encore la possibilité d’écrire sur son blog. Passionné par les nouveaux médias, il a commencé sa carrière de journaliste en Iran en 1999 au sein du titre réformiste “Asr-e-Azadegan”, littéralement “le temps des hommes libres”, où il écrivait à propos d’Internet et les nouvelles technologies. Après l’interdiction du journal, il continue d’écrire sur le même sujet, cette fois-ci pour le quotidien “Hayat-e-No”, “la Nouvelle Vie” (titre également interdit en 2008). La colonne qu’il y tient, titrée “Panjere-i-roo be hayaat” (“fenêtre sur cour”) en référence à Alfred Hitchcock, se transforme vite en une pleine page hebdomadaire.

A 25 ans, Hossein vit au rythme du Téhéran underground. C’est une ville qu’il adore pour son énergie débordante et créatrice notamment dans le milieu culturel dans lequel il navigue. Les années 2000 sont propices à toutes sortes de projets, on se réuni rapidement à deux ou trois, une idée fuse et devient vite un fanzine. Des envies qui sont malheureusement presque systématiquement étouffées par la censure. A peine lancés, les fanzines disparaissent. Hossein accepte le constat : il doit quitter Téhéran pour continuer à faire ce qui lui plaît librement. Comme bon nombre d’iraniens, il choisit d’immigrer au Canada et s’installe en décembre 2000 à Toronto.

“Blogfather”

Son envie de créer un blog en persan est présente déjà depuis quelques temps quand arrive le 11 septembre 2001 et l’attentat contre les tours jumelles du World Trade Center. L’événement le touche profondément et le pousse à lancer son blog sous le titre : “Sardabir : khodam” (Éditeur : moi-même). Il poste ses premiers écrits le 25 septembre 2001. Tous les textes sont en farsi – c’est ainsi que l’on appelle le persan en Iran – utilisant donc un alphabet particulier qui s’affiche sur toutes les plateformes grâce à la norme Unicode. Il décide de partager son expérience dans le domaine et rédige un manuel à l’attention des Iraniens : comment faire son blog en persan. Le succès est immédiat et en un mois plus se 100 blogs en persan apparaissent sur la toile. D’où le surnom qui lui a été donné : “blogfather”.

Hossein écrit sur de nombreux sujets et défini lui-même son blog comme “pop-culture”. Ses posts posent bien évidemment souvent un regard critique sur le régime en place à Téhéran mais il met ses réflexions politiques en perspective à travers le cinéma, la musique et d’autres angles culturels. Son souhait est de montrer à ses compratriotes qu’Internet est un lieu de partage et d’échanges à leur portée.

Comme beaucoup d’autres blogs, celui d’Hossein est filtré par les autorités iraniennes et donc inaccessible à l’intérieur des frontières à partir de 2004. Peu importe, il continu de publier ses écrits, c’est bien pour garder cette liberté qu’il avait quitté Téhéran quatre années plus tôt. En parallèle, il collabore pour des journaux comme le Guardian, Newsweek ou encore le New-York Times et participe à de nombreuses conférences sur les nouveaux médias.

Première arrestation

En 2005, il retourne à Téhéran pour les élections présidentielles. Il a son passeport canadien en poche bien que l’Iran ne reconnaisse pas la double nationalité. Alors qu’il s’apprête à reprendre l’avion pour Toronto, il est arrêté et interrogé pendant plusieurs jours sur ses activités. Pour clore le dossier et le laisser repartir, les autorités iraniennes lui demandent de signer une déclaration dans laquelle il renie ce qu’il a écrit jusqu’ici et où il prête allégeance au régime en place. Le tout en promettant bien sûr de ne jamais divulguer ce qu’il a vécu pendant ces quelques jours de détention. Hossein signe et quitte le pays.

A peine la frontière franchie, il s’empresse de relater sur son blog l’épisode qu’il vient de vivre en précisant bien qu’il ne cautionne absolument pas le texte qu’il a signé pour retrouver sa liberté. Il reprend son activité de bloggueur et de journaliste et décide en 2006 de faire un voyage en Israël, une décision qui peut lui coûter cher. Téhéran ne reconnaît pas l’État d’Israël et, pour le régime, tout voyage vers ce pays est assimilé à un crime de haute trahison.

Hossein ne change pas d’avis pour autant et se rend à deux reprises en Israël, notamment à Tel-Aviv. Surnommée “la ville qui ne dort jamais”, il y règne selon lui la même énergie débordante qu’à Téhéran. L’idée est simple, il veut montrer, grâce à ses carnets de voyages postés sur son blog, qu’iraniens et israéliens ne sont pas si différents. Il cherche aussi à faire découvrir à ses compatriotes ce qu’ils n’ont jamais pu voir, toujours cette envie d’ouvrir grand les yeux. Il se rend par exemple sur l’esplanade des mosquée et se filme avec sa petite caméra, expliquant en persan ce qu’il y a autour de lui. Il partage ensuite la vidéo sur son blog. C’est bien sûr une chose inédite : beaucoup d’iraniens n’ont jamais vus ces lieux.

Le second retour

En 2008, il décide de retourner à nouveau à Téhéran, cette fois-ci pour les 30 ans de la révolution. Il arrive sur le sol iranien à la mi-octobre, deux semaines plus tard, le 1er novembre, il est arrêté. Il n’a pas été libéré depuis. Les faits qui lui sont reprochés restent assez vagues. Il est question de “collaboration avec des gouvernements hostiles” ou encore “d’insultes aux symboles religieux”.

Cela peut faire référence aussi bien à ses voyages en Israël qu’aux écrits sur son blog. Blog sur lequel il avait un style s’approchant du langage parlé. En persan, notamment à l’écrit, il existe des formulations très précises et des règles strictes pour évoquer certaines figures religieuses. Hossein ayant choisi d’utiliser une écriture plus directe n’a pas systématiquement suivi ces règles mais jamais il ne s’est montré insultant. Malgré cela, c’est sans doute en partie ce qui lui est reproché aujourd’hui.

Ses écrits ont d’ailleurs disparu. Holder.com son blog d’origine ainsi que holderiniran.com qu’il avait créé à l’automne 2008 pour raconter son retour à Téhéran, ne sont plus accessibles faute de renouvellement de l’hébergement. Malgré de nombreuses tentatives de la part de sa compagne Sabine Murcia pour préserver les deux blogs, l’hébergeur n’a rien voulu entendre et pour l’instant on ne sait pas si les archives ont été supprimées. Le mieux serait encore qu’Hossein retrouve sa liberté et puisse à nouveau écrire prochainement, à condition que la peine de mort qui pèse actuellement sur ses épaules soit écartée par le juge iranien qui rendra prochainement sa décision.

Photos et illustrations CC FlickR : lamthuyvo, kamshots, for-hossein

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