[dossier] Nanotechnologies : on en est où ?

Le 7 novembre 2009

A peine lancé, le débat public sur les nanotechnologies, intitulé Je m’informe, je m’exprime, censé éclairer l’Etat sur “l’organisation du contrôle et du suivi des nanomatériaux, la caractérisation de l’exposition et l’évaluation de la toxicité sur l’homme et les écosystèmes, l’information et la protection du travailleur et du consommateur, les modalités de soutien à la [...]

A peine lancé, le débat public sur les nanotechnologies, intitulé Je m’informe, je m’exprime, censé éclairer l’Etat sur “l’organisation du contrôle et du suivi des nanomatériaux, la caractérisation de l’exposition et l’évaluation de la toxicité sur l’homme et les écosystèmes, l’information et la protection du travailleur et du consommateur, les modalités de soutien à la recherche et aux innovations dans ce domaine“, fait déjà polémique.

Le collectif Pièces et Mains d’Oeuvre, connu pour ses enquêtes, analyses, ses actions d’éclat et son refus critiques des nanotechnologies, refuse ainsi de participer à ce qu’il qualifie de campagne nationale d’acceptabilité des nanotechnologies destinée à “vaincre la méfiance de citoyens- consommateurs échaudés par trop de scandales techno-industriels : amiante, vache folle, OGM” (voir aussi Aujourd’hui le nanomonde, site qu’ils consacrent à cette opération).

Débat public sur les nanotechnologies

Rappelant avec ironie que pour Paul Valéry “La politique est un mécanisme qui sert à empêcher les gens de prendre part à ce qui les concerne directement“, Dorothée Benoit-Browayes, déléguée générale de l’association Vivagora et auteure de Le Meilleur des nanomondes, estime pour sa part qu’il s’agit là d’un “vaste chantier dans un paysage pourtant déjà bien construit“, et d’ores et déjà financé, à concurrence de plusieurs centaines de millions d’euros, par le gouvernement français :

“Alors que les dés sont largement lancés en France comme dans le monde, un tel processus de discussions sera-t-il en mesure de faire changer d’opinion les sceptiques qui sont légions ?

De quoi sera-t-il question tout au long de ces débats ? De technique ou de politique ? On peut craindre que l’explication cache la forêt, la plupart des Français n’ayant jamais entendu parler de ces nanoobjets. Difficile de débattre sur un tsunami resté invisible. Les nanotechnologies – qui désignent les interventions sur la matière pour réarranger ses briques élémentaires ou atomes – déferlent en effet depuis dix ans sur le marché sans crier gare.”

Un débat mort-né ?

Dimitri Granger, professionnel des relations publiques et blogueur sur Pr2Peer, blog consacré à “la communication corporate à l’âge de la mise en réseau des hommes et des idées” se demande quant à lui si, à peine lancé, le débat public ne serait pas mort-né :

“Si l’initiative semble louable et pleine de bonnes intentions, les objectifs paraissent un peu flous (et) on comprend assez rapidement que le débat est orienté dans un sens précis. Si l’internaute curieux souhaite s’informer et se faire un avis, le site du débat public propose une “base de connaissance” impressionnante de plusieurs centaines de pages entièrement consacrées à valoriser l’énorme potentiel des nanos et dans laquelle on trouve à peine … dix lignes sur les risques liés à ces technologies !

En réalité, et en dehors de toute considération sur le fond (risque/opportunité des nanos, principe de précaution/principe de réalité économique), il est clair que ce débat risque d’être mort-né, en tout cas sur le site officiel. Assez complexe pour freiner les ardeurs du grand public, ce “débat” sera trusté par deux blocs qui s’opposeront, souvent sans nuance, en copiant des argumentaires pré-existants.”

On a ainsi vu, à Toulouse, des opposants au débat distribuer des tracts estampillés Pièces et mains d’oeuvre (tout en jurant ne pas connaître le collectif PMO), “simples citoyens” interrompant le débat et faisant évacuer la salle après y avoir jeter une bouteille d’ammoniac (voir le compte-rendu, désopilant, sur Nanostelia, et celui, en forme de dialogue de sourds, de deux opposants sur Nanomonde).

Nanotechnos, gigamanips

Le 15 octobre dernier, jour du lancement de la consultation, un “community manager” de la société I&E Consultants, spécialisée dans les “stratégies d’opinion et chargée d’organiser le débat public, proposait aux lecteurs d’Agoravox d’y contribuer, afin de “couvrir les réunions publiques qui se dérouleront près de chez vous (et) faire connaître votre avis et vos arguments“.

Quinze jours plus tard, le “média citoyen” ne répertorie qu’une seule contribution évoquant les nanotechnologies, et pas sûr qu’elle calme ou tempère le débat : il s’agit en effet d’un panorama des programmes et investissements militaires en faveur des nanotechnologies. Et l’on y apprend entre autres qu’aux Etats-Unis le ministère de la défense est le principal bénéficiaire du programme national de développement des nanotechnologies : près du quart de ses fonds étant orienté vers la recherche de défense…

Quand le débat crée… du manque

En attendant de savoir ce que cette consultation entraînera (ou pas) en terme de débats, de gouvernance, de pistes de réflexions et d’actions, il est intéressant de voir ce qui, dans un autre pays – en l’occurrence, le Royaume-Uni – s’est passé (ou pas) suite à ce type de débat public.

Le Responsible Nano Forum, qui prône “une utilisation responsable de la nanotechnologie pour le bénéfice de la société” et réunit plusieurs autres réseaux de recherche impliqués dans les enjeux sanitaires et sociaux des nanos (PEN, SafeNano, SnIRC…), a ainsi proposé à 28 experts anglo-saxons de faire le point sur les “opportunités et incertitudes liées à la nanoscience et aux nanotechnologies“.

Le titre du rapport (.pdf), “5 years on – a beacon or just a landmark ? (5 ans après – un phare, ou juste une balise ?)” témoigne de ce que la plupart des questions posées à l’époque restent encore en suspens.

Les experts consultés se félicitent de la prise de conscience des questions et risques associés aux “nano“(matériaux & technologies), qui ne peut plus être contestés. A contrario, ils déplorent également, quasi unanimement, le manque de transparence des entreprises, le manque d’informations et de recherches sur les risques associés, mais aussi le manque de volonté des responsables politiques de les financer, en dépit, pourtant, d’une pléthore de consultations publiques et rapports qui, tous ou presque, relèvent précisément… ces mêmes manques.

Comme si le fait de parler des nanotechnologies se traduisait bien plus en discours, recommandations et propositions qu’en actes concrets et mesures d’(auto)régulations. Dans le même temps, plusieurs des auteurs constatent que les industriels n’ont toujours pas “tiré les leçons des OGM” : sans transparence, il est impossible d’avoir confiance !

OGM, gelée grise… le scénario catastrophe

En 2004, la Royal Society (l’académie des sciences britannique) et la Royal Academy of Engineering (qui fédère, elle, les ingénieurs) publiaient un rapport conjoint, Nanoscience et nanotechnologies : opportunités et incertitudes, qui allait faire date.

Anthony Seaton, professeur de médecine du travail et de l’environnement à l’Université d’Aberdeen et qui en fut l’un des auteurs, rappelle la perception que s’en faisaient les gens : “à l’époque, le Prince Charles avait apposé son sceau royal sur les craintes d’une planète menacée par la gelée grise“, du nom donné à ce scénario catastrophe popularisé dans le roman de science-fiction “La proie” de Michael Crichton, où l’on voyait des nanomachines autorépliquantes finir par absorber notre monde…

Des groupes de pression environnementaux attisaient les peurs sur les risques qu’encouraient tant les humains que l’environnement. Certains signes laissaient penser que le combat pourrait sérieusement entrâver le développement des nanotechnologies, comme cela était arrivé pour les modifications génétiques; certains en appelaient à un moratorium.

Et puis le rapport a été publié, il a été bien accueilli tant par le gouvernement que par la société; les principaux motifs d’anxiété du public et des chercheurs ont été calmés et le développement commercial a repris à un rythme soutenu.

On aurait tort, pourtant, de lire dans cette introduction une charge contre ceux qui s’inquiétaient, ou qui s’inquièteraient encore, des risques associés aux nanotechnologies : “je pense que l’effet le plus important et immédiat du rapport tenait au fait que nous reconnaissions des dangers potentiels, et que nous identifions les domaines nécessitant plus d’investigation“.

Le rapport de 2004 contribua en effet à révéler les liens entre nanoparticules et pollution de l’air d’une part, d’autre part que les nanotubes de carbone avaient une configuration similaire à celle des fibres d’amiante, et qu’ils pourraient s’avérer aussi nocifs. De plus, une bonne partie de ses recommandations portaient sur les risques sanitaires, et les enjeux en terme de régulation, ce qui incita notamment l’Union Européenne à financer plusieurs programmes de recherche axés sur les risques et dangers posés par les nano.

Andrew Maynard, conseiller scientifique du Project on Emerging Nanotechnologies (PEN) et de nombreux autres organismes (dont le Responsible Nano Forum), rappelle ainsi à quel point ce rapport a pu faire autorité, parce qu’il était scientifiquement fondé, qu’il envisageait les aspects tant sociaux, économiques que politiques, et qu’il expliquait, avec “la voix de la raison“, qu’il était urgent de se pencher sur les problèmes susceptibles de se poser, notamment, en terme de santé et d’environnement.

Attention : matériaux similaires à l’amiante

Pourtant, note Maynard, depuis cinq ans, on ne compte plus les discussions, ateliers, rapports et autres consultations au sujet du développement responsable des nanotechnologies qui, pour la plupart, témoigne d’une vision semblant faire fi du rapport de 2004, “comme si le rapport avait servi de balise, et non de phare : tout le monde en a entendu parler mais personne ne prend le temps de le (re)lire.”

Maynard s’étonne ainsi de voir que les autorités britanniques décident de lancer une nouvelle consultation publique afin d’informer les citoyens sur sa stratégie, et de recueillir leurs avis, alors qu’il n’a toujours pas mis en oeuvre l’intégralité des propositions du rapport de 2004.

La conclusion du professeur Seaton est à ce titre plutôt inquiétante, lorsque l’on sait ce qui se vend, aujourd’hui, dans le commerce, et basés sur les nanotechnologies et qui, pour une bonne part, relève de compléments alimentaires, de produits cosmétiques, ou antibactériens.

Il explique en effet qu’il ne se risquera pas, en l’état, à ingérer des nanoparticules antibactériennes (qui pourraient endommager nos systèmes digestifs), pas plus qu’à utiliser d’aérosol contenant des nanoparticules (susceptibles d’endommager le coeur et les poumons), ou encore d’appliquer sur sa peau des produits cosmétiques ou crèmes solaires comportant des nanoparticules (à cause des risques d’allergies et de photosensibilisation) :

En conclusion, j’exhorte les autorités en charge de la sécurité et de la santé à initier un audit et une analyse du cycle de vie de la fabrication et de l’utilisation des nanotubes afin de protéger ceux qui les fabriquent, et ceux qui en usent.

Si nécessaire, je mettrais un panneau d’indication : “Attention : utilisation de matériaux similaires à l’amiante”

NB: l’illustration en noir et blanc est un détournement d’une image illustrant des nanomanipulations biomédicales, republiée sur des dizaines de sites web, et utilisée par I&E pour illustrer son appel au débat public sur Agoravox

Pour approfondir la question :

» la deuxième partie de cet article
» le tag “nanotechnologies” sur Internetactu
» le tag “nanotechnologies” sur aaaliens

» Article initialement publié sur Internet Actu

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