Les anciens-modernes

Le 29 juin 2009

Hadopi a pour effet secondaire de révéler un clivage naissant mais net entre anciens et modernes (les nouveaux-anciens et les nouveaux-modernes, si j’ose dire). Les télés d’info en continu constituent un bon terrain d’observation des tendances générales. On est obligé de regarder les télés pour avoir l’avis des nouveaux-anciens qui ne semblent pas connaître l’existence du web. D’autant [...]

Hadopi a pour effet secondaire de révéler un clivage naissant mais net entre anciens et modernes (les nouveaux-anciens et les nouveaux-modernes, si j’ose dire).
Les télés d’info en continu constituent un bon terrain d’observation des tendances générales.
On est obligé de regarder les télés pour avoir l’avis des nouveaux-anciens qui ne semblent pas connaître l’existence du web.
D’autant que lorsqu’ils daignent parler d’internet, c’est avec un rictus de mépris. Ces nouveaux-anciens qui se recrutent surtout chez les tenants des sciences humaines et les artistes arrivés, semblent considérer le numérique comme une excroissance vulgaire et incongrue du progrès technologique, en lui-même très suspect.

Les vieux jeunes
Des artistes patentés, des intellectuels professionnels, des penseurs de magazines réputés être dans la modernité vous surprennent par des positions parfaitement réactionnaires, Hadopi est un révélateur de leur méconnaissance confondante des médias numériques.
Ils surprennent d’autant plus que beaucoup ont bâti leur carrière (souvent brillante) sur la défense des libertés et contre les autoritarismes. Et tout à coup, les voilà complaisants avec une loi qui les arrangent et les confortent dans leurs intérêts. C’est, par exemple, tel ancien ministre de l’éducation nationale qui prend position pour Hadopi avec un ton et des arguments qui font furieusement penser aux badernes conservatrices des années 1965/67 (on connait la suite…) Comme elles, l’ancien ministre semble avoir décroché de la réalité, ou la voir à travers des lunettes datant de la 3eme république, voir de Louis-Philippe (1830-1848).

Des modernes…tiens !
Artistes, politiques, là encore, il y a des surprises, tel leader d’un parti classé vraiment à droite  se révèle un ardent défenseur de la liberté d’accès, du Creative Common et contre Hadopi. Bien entendu les libertaires, en général, restent cohérents ainsi que les libéraux.

Les grands-prêtres
Hadopi clive la société française en transcendant et rebattant les cartes des anciennes catégories. Pour l’instant ceci est très ténu, mais il est bien possible que ce clivage devienne de plus en plus opérant.
Il y a à cela une raison, je crois, Hadopi est le symptôme fiévreux du point de rupture économique, social, culturel produite par le numérique et ses usages. J’ai nommé : le droit d’auteur.
Le droit d’auteur moral et patrimonial est, à mon sens, le vrai sujet de la bagarre. Cette bagarre est portée par des questions de gros sous, voire de très gros sous.
Mais au-delà c’est toute la philosophie de la propriété artistique, intellectuelle, scientifique qui est mise en cause.
L’ancienne conception, celle qui se défend à travers Hadopi a pris naissance aux alentours du 16eme pour se développer jusqu’à aujourd’hui.
Ne voir que la question de la Phynance (comme dirait le Père Ubu) serait réducteur et faux. Autre chose se joue de plus important encore.
C’est le pouvoir, le pouvoir des détenteurs du savoir qui se vivent comme seuls propagateurs autorisés et sérieux de ce savoir.
Ils ne contrôlent pas Internet, il n’y prennent pas leur place (par choix de leur part de ne pas s’y investir ou par déni de modernité).
Et soudain, ils se trouvent dépassés et menacés dans leur position d’absolus dispensateurs de la parole juste, bonne et vraie.
Perdre des sous, c’est une chose, mais perdre le pouvoir c’est insupportable.
Comment supporter que n’importe qui puisse commenter vos écrits, voire -comble de l’horreur- les reprendre, les remixer. Aux yeux des anciens-modernes leurs Å“uvres sont sacrées, ils en sont les uniques créateurs.
Ce sont des génies de la création individuelle, inspirés par des forces connues d’eux seuls et détenteurs d’un verbe et de conceptions dont ils sont l’alpha et l’oméga.
Ils sont les parangons de la philosophie individualiste  dont ils déterminent les dogmes, des légalistes gardiens des temples d’une modernité usée et croulante.

Pourtant l’histoire marche vite et somme toute positivement, elle laisse derrière elle les grincheux.

Mais qu’il ne s’inquiètent pas, les grincheux. Bientôt, les enfants iront dans les musées voir leurs portraits avantageux. Entre la salle des momies égyptiennes et celle des presses à papier.

Dominique Nugues édite : Le Présent de Dieu

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