OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sol, ou quand l’impossible ne peut qu’advenir http://owni.fr/2011/05/31/sol-ou-quand-l%e2%80%99impossible-ne-peut-qu%e2%80%99advenir/ http://owni.fr/2011/05/31/sol-ou-quand-l%e2%80%99impossible-ne-peut-qu%e2%80%99advenir/#comments Tue, 31 May 2011 15:44:27 +0000 Marta Malo de Molina http://owni.fr/?p=65466

23/05 19H05 : Peu importe l'heure et l'affluence, le campement continue de grandir à chaque minute.

Ce texte de Marta Malo de Molina a été publié le 24 mai sur le site d’information Madrilonia.org. Il revient sur les évènements de Sol à Madrid au lendemain des élections municipales et régionales, remportées par le PP et marquées par un taux d’abstention record.

Depuis sa publication, l’assemblée de Sol [acampadasol] a décidé dimanche 29 mai dans la nuit, de prolonger la durée du campement jusqu’à la fin de cette semaine. Le mouvement ¡Democracia Real Ya! a pour sa part donné une conférence de presse lundi 30 mai [es] annonçant notamment un grand rassemblement international pour le 15 octobre 2011.

Owni se déplace à Madrid dans les jours qui viennent et vous rendra compte des suites du mouvement en direct de Sol et des assemblées de quartier.

Ecrire pour s’orienter, à la vitesse qu’impose le moment. Entre la poétique et la théorie, écrire pour apporter sa pierre à l’écriture collective du monde, pour contribuer, de l’intérieur, à la création de la place, pour prolonger cet événement qu’est Sol. Car oui, Sol a été un événement, l’un de ces surgissements inattendus qui redessinent la carte et ouvrent à nouveau l’horizon des possibles.

Le 15 mai, débordante de joie par le nombre des manifestants et la fraîcheur de l’atmosphère, une équipe de radio mobile interviewait quelques personnes : « Comment voyez-vous l’avenir ? » Beaucoup de réponses, en dépit de l’énergie ambiante, sont pessimistes : « sombre ». Lundi dernier [23 mai], quand la nouvelle du campement de Sol s’est répandue comme une traînée de poudre dans les réseaux sociaux, un participant d’une liste d’échanges de biens et services a écrit : « A quoi ça sert d’occuper la place, tant qu’il y en a qui continuent de faire leurs courses au Cortes Ingles à côté ? » Ca sert, car il ne s’agit pas de n’importe quelle occupation : le geste hardi de certains est devenu un signal pour beaucoup ; c’était « maintenant ou jamais », et la faim d’action a explosé, la faim de paroles.

23/05 04H25: "Cultive toi, toi aussi" peut-on lire sur le potager planté par les manifestants autour de la fontaine.

Graffiti : “l’impossible ne peut qu’advenir”


C’est la meilleure description de l’événement Sol. Partout la générosité, les sourires, des groupes d’amis qui décident « d’aller sur la place ensemble ». D’autres, l’instant d’avant étrangers,  sont devenus des compagnons à l’intérieur d’un mouvement, la place comme un aimant irrésistible… Un après-midi, le fils d’amis âgé d’un an et demi, s’est mis à crier « Sol ! Sol ! » ; nous nous étions éloignés et il réclamait ce Sol qui comptait tellement pour nous. Il y a dix jours personne n’aurait pu imaginer que Sol puisse représenter autre chose que le centre commercial et touristique d’une capitale européenne.

Sol, non comme lieu géographique mais comme événement inattendu, est venu ébranler deux des piliers de l’ordre des choses : d’un côté, il a brisé le consensus établi après la Transition, selon lequel l’actuel système de partis est le meilleur des systèmes de gouvernement et le remettre en question c’est ouvrir les vannes du chaos et de la dictature. Quand la journaliste Àngels Barceló [es] dit « nous ne devons pas céder à la tentation de mettre en cause l’actuel système démocratique », le mouvement insiste : « ce qu’ils appellent démocratie n’en n’est pas une». De l’autre, il rejette l’idée que la crise ne serait qu’un accident météorologique, et que la seule solution face à elle, serait de nous serrer la ceinture. Contre la gestion politique de la crise économique, Sol hurle « C’est du chantage, pas du sauvetage! » et désigne les responsables, politiciens au pouvoir et banquiers.

22/05 17H15: "Il ne nous représentent pas."

Ahuris, incapables de réaliser que « quelque chose est en train de bouger », acharnés à discréditer pour empêcher la contagion, les politiciens n’ont d’autre réponse  que le chantage des « alternatives » : « vous dites non, mais vous n’avez rien à proposer ». Ce qu’ils ignorent, c’est que, pour les générations sans avenir, l’incertitude face au lendemain est un vécu quotidien, et Sol nous permet, à tout le moins, de vivre collectivement cette incertitude. Il semblait évident que l’événement-Sol, et plus généralement le mouvement du 15 mai, ne pouvait qu’accentuer les tendances électorales ; et de fait la débâcle du Parti socialiste a été retentissante, y compris dans des villes, comme Madrid, déjà dirigées par le PP. Et maintenant ?

Les campements, celui de Sol et ceux des autres villes, continuent. Un ami dit : « Il ne s’agit plus d’aller dans la rue, il faut créer les places ». Sur la base de cette intuition, j’hasarderai l’hypothèse que la place ne se crée que si l’on insiste, si l’on approfondit les éléments qui l’ont rendue possible : en dénominateurs communs minimaux la critique du pouvoir politique, « Une vraie démocratie maintenant ! », et de sa gestion du pouvoir économique, « La crise doit être payée par ceux qui en sont responsables ! » ; la coopération du plus grand nombre comme force pratique qui rend la place réelle et tangible, qui rend le dénominateur commun minimal non seulement habitable mais délicieux, quelque chose qui vaut qu’on en fasse le pari. Contre l’auto-représentation des milliers de collectifs et de luttes qui existaient déjà, avec le risque de balkaniser les lieux, l’événement-Sol nous invite à chercher le  point de connexion, le lieu d’où contribuer à ce commun, en partant, bien sûr, de ce que nous sommes mais aussi de ce qui nous rassemble.

23/05 02H30: Lors de toutes les assemblées des traducteurs sourds-muets sont présents pour que tous puissent comprendre et participer.

“¡Pásalo!”

Et ce n’est pas tout. Le 15 mai a confirmé la force de cet acteur imprévisible que nous pouvons appeler « Faites passer ! » [¡pásalo!] . Le mouvement s’est auto-organisé avec cette exclamation simple et proliférante, dont la généalogie remonte aux mobilisations contre la guerre en Irak (en 2003), aux concentrations silencieuses du 13 mars 2004, pour exhorter le Parti populaire à dire la vérité sur les attentats de l’avant-veille à Madrid, ou encore la formation de V de vivienda en 2006.

Tout cela sans autre organisation que celle des réseaux d’amis et de coopération sociale, sans sigles ni programmes, avec des slogans simples et efficaces, en réaction contre un événement extérieur qui a fonctionné comme un rassembleur, un repère temporel, imposant l’urgence de sortir dans la rue (la guerre, les attentats du 11 mars, les élections…). Dès sa première apparition, beaucoup ont essayé de s’en emparer, faisant circuler des dates sur internet ; mais « Faites passer ! » [¡pásalo!] est un acteur méfiant, tout particulièrement des groupes organisés. Né de décennies de démobilisation politique, il insiste sur le pouvoir des « gens » des « personnes », du « peuple » ; il ne s’intéresse, en quelque sorte, qu’aux mobilisations peer-to-peer.

23/05 15H05: Au stand bibliothèque on trouve livres et journaux de tous bords. S'y cotoient "El Pais" et le très à droite "La Razon".

On a demandé à un garçon, arrivé de Bilbao à Sol après avoir suivi avec fascination ce qui s’y passait : « Et maintenant ? » Il a répondu :

Il ne faut pas avoir peur d’un épuisement du campement. Parfois les activistes, quand ils s’excitent sur quelque chose, s’y dévouent et l’étouffent, comme une mère hyper protectrice avec son enfant. Je ne suis pas un activiste, je vais m’en aller et retourner à ma vie, et quand quelque chose d’autre se passera je réapparaîtrai.

« Faites passer ! » [¡pásalo!] apparaît et disparaît. Comment contribuer sans étouffer. Comment habiter la (prévisible) diastole du mouvement sans angoisse. Comment apprendre à se rassembler en tant que partie prenante, certes infime, de l’acteur imprévisible. Ce sont toutes ces questions que Sol pose sur la table.

22/05 01H45 : Pelleteuse géante dans la nuit

Des amis argentins nous disent : « Tout ça est très intéressant, mais ce n’est pas l’Argentine en 2001. En 2001 ce sont ceux qui avaient été dépossédés par la crise qui ont pris la ville. Ici ce n’est pas le cas, on ne voit pas les signes de la crise ». Penser un mouvement en terme de « ce qui manque » n’a pas d’intérêt, ce qui importe c’est de penser à ce qu’apporte Sol à ceux qui ont été le plus touchés par la crise économique : ceux qui ont perdu leur maison, les chômeurs de longue durée, ceux qui sont en marge et ne peuvent plus participer à la consommation de biens de tous les jours, ceux qui, sans papiers, n’ont aucun espoir de régulariser leur situation parce qu’ils n’ont pas de contrat de travail, ou ceux qui ont des papiers mais qui les ont perdus parce qu’ils ne pouvaient pas cotiser suffisamment…

C’est ainsi que les zones sociales les plus concernées par « l’intervention sociale » sont les plus marquées par la désaffection politique… Ce sont les grandes inconnues de cette nouvelle ère inaugurée par les évènements de Sol. Comment tous ceux-là vont-ils s’(auto)-investir ? Le chemin sera long, mais le temps de la paralysie est derrière nous. Nous pouvons sourire.


Publié initialement sur Madrilonia.org
Photos de Lucas Deve pour Owni /-)
Traduction Isabelle St Saens Traduction additionnelle : Ophelia Noor



Marta Malo deMolina est une activiste espagnole. Elle participe à la revue internationale et transdisciplinaire Subjectivity et ces textes sont également disponibles sur le site de l’Université nomade de Madrid et l’institut européen pour des politiques culturelles progressistes.

Retrouvez tous les articles de notre précédente Une sur les mouvements sociaux espagnols et tous les articles sur l’Espagne.

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Écologie: la terra incognita est juste sous nos pieds http://owni.fr/2010/10/25/ecologie-la-terra-incognita-est-juste-sous-nos-pieds/ http://owni.fr/2010/10/25/ecologie-la-terra-incognita-est-juste-sous-nos-pieds/#comments Mon, 25 Oct 2010 15:49:26 +0000 Timothée Poisot http://owni.fr/?p=33054 On attribue à Léonard de Vinci d’avoir dit qu’on connaît mieux le fonctionnement de l’espace que celui du sol sous nos pieds. Est-ce toujours vrai en 2010 ? Presque ! Pour les chercheurs en écologie microbienne, comprendre le rôle des communautés microbiennes du sol est la nouvelle terra incognita.

Y mettre pied pourrait sans doute changer notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes, ce qui explique la quantité de résultats récents sur ce thème. Alors que nous commençons à peine à apprécier la mesure de cette diversité, en utilisant des méthodes de biologie moléculaire récentes, nous comprenons à quel point elle est nécessaire pour la vie des autres organismes, au premier rang desquels on trouve les plantes.

Un monde de bactéries

Qu’est-ce qu’une bactérie ? Un organisme unicellulaire, dépourvu de noyau, capable de doubler sa population en quelques heures. Mais surtout : un organisme qui évolue rapidement et dont les capacités d’improvisation dépassent l’entendement.

Une bactérie, c’est un grand transformateur de matière. Pour une molécule qui rentre, qui sait prédire (à part en regardant le génome !) ce qui sortira ? Ces transformations, du domaine de la biochimie, modifient l’environnement et permettent à toute un cortège d’espèces de se développer. Et ce raisonnement est tout aussi valable pour les différentes espèces de champignons qui coexistent avec les bactéries.

Une bactérie, c’est aussi dans le sol un organisme qui protège. En tapissant les racines des plantes, les bactéries bloquent l’accès des champignons phytopathogènes, qui par conséquent sont incapables de démarrer une infection.

Cette année, une équipe néerlandaise a publié dans la revue Ecology Letters (la plus prestigieuse des revues d’écologie) des résultats saisissants . En manipulant expérimentalement la diversité et la quantité de bactéries dans un sol, on observe que les interactions entre les plantes et leurs herbivores sont modifiées.

Non seulement les migro-organismes peuvent modifier la quantité et la nature des ressources disponibles par leur activité biochimique, mais ils vont aussi établir des interactions indirectes avec des organismes qui sont à des niveaux trophiques beaucoup plus élevés.

Qui se serait douté que les insectes devraient se soucier des bactéries ? On commence donc a réaliser que la clé vers une meilleur exploitation des sols n’est sans doute pas cachée au fond d’un bidon de pesticides, mais qu’elle pourrait être déjà contenue dans le sol lui même !

Une diversité utile

Cette diversité ne sert pas seulement à maintenir l’écosystème en service. Les industriels ont réalisé dans les dernières années que les bactéries étaient tout à fait capables de dégrader certaines molécules, comme les hyrocarbures, les pesticides et certains engrais. On peut donc exploiter cette capacité pour dépolluer des sols, ou des eaux.

Ces applications potentielles font que récemment, le sol et les bactéries deviennent un sujet sexy ! La preuve, l’exposition «Biodiversités » du CNRS consacre une large surface à cette « biodiversité invisible ». L’occasion pour chacun de réaliser qu’une bactérie, ce n’est pas seulement une nuisance qui résiste aux antibiotiques mais avant tout un organisme invisible à l’œil nu qui porte sur ses frêles épaules le poids de tout un écosystème.

Alors les bactéries, grandes régulatrices de l’écosystème ? Probable, mais elles ne sont pas exemptées de régulations elles-mêmes. Par exemple, on sait que les pollutions brusques peuvent modifier la « structure » de la communauté bactérienne, c’est-à-dire changer les espèces présentes, mais aussi leur proportion dans l’écosystème . Et pour ne rien simplifier, ces perturbations abiotiques sont en interaction avec les interactions biotiques qu’établissent les bactéries.

Ainsi, un résultat récent obtenu par une équipe de l’université d’Oxford montre comment, en fonction de la quantité de ressources disponibles, la présence de différents prédateurs (organismes qui consomment les bactéries, comme par exemple les protistes et certaines levures) aboutissent à des communautés composés d’espèces différentes, ce qui implique qu’elles ne rendent pas les mêmes services.

Les liens entre changement environnemental et interactions écologiques peuvent avoir des répercussions encore plus importantes. Dans un travail que nous avons réalisé à l’université Montpellier 2, et publié la semaine dernière dans Biology Letters , nous montrons que dans les milieux plus pauvres en ressources, les bactériophages (des virus qui s’attaquent aux bactéries) sont confrontés à un risque d’extinction plus important.

L’une des leçons de l’écologie des communautés de ces dernières années, c’est qu’un écosystème sans parasites fonctionne moins bien et risque de voir sa diversité diminuer : c’est un problème puisqu’on réalise que plus un écosystème est diversifié, plus il est fonctionnel.

Faire des prédictions dans un environnement changeant

Ces différents travaux ont en commun un point important. Les chercheurs commencent à rapporter les micro-organismes présents dans l’environnement au laboratoire. Après tout ce qu’on avait appris en écologie et en évolution expérimentale sur les systèmes microbiens, nous étions collectivement d’accord sur le fait que c’était la prochaine étape logique !
En ramenant dans un contexte contrôlé ces systèmes souvent complexes, nous avons la possibilité de suivre beaucoup plus en détail les différents mécanismes, et de placer ces communautés dans des « scénarios écologiques » différents. Quel meilleur cadre pour comprendre les conséquences des changements sur les communautés naturelles ? En dehors de l’aspect fondamental (la compréhension des mécanismes qui participent du fonctionnement de l’écosystème), les systèmes microbiens vont permettre de faire des prédictions sur l’évolution des interactions dans un environnement qui change.

Le sol, un nouvel horizon

Voilà la situation des chercheurs à l’heure actuelle. L’écologie est depuis quelques années en train de s’ouvrir à un nouvel horizon (le terme étant plus approprié que jamais, un horizon étant une couche du sol en pédologie). Pour assurer le maintien et le fonctionnement des plantes, des insectes, et de nos sociétés qui les exploitent, nous reposons sur les capacités d’une foule de micro-organismes, vivant par milliards dans un gramme de sol.

Il faut parier que dans les prochaines années, le déploiement de techniques de pointe utilisées pour comprendre ces interactions va s’intensifier. Mieux nous comprendrons la diversité du sol, comment elle apparaît, comment elle se maintient, et comment la préserver, et plus nous serons à même prévoir les impacts des changements environnementaux, et surtout de mettre à profit ce que la vie sait faire pour avoir de meilleurs pratiques dans notre exploitation des sols. En deux mots, l’écologie va vivre son grand retour à la terre…

Photos Flickr CC : Max Braun, estherase et pennstatelive.

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