OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le problème jeune, cache miséreux de la société française http://owni.fr/2011/01/10/le-%c2%ab%c2%a0probleme-jeune%c2%a0%c2%bb-cache-misereux-de-la-societe-francaise-precarite-jeuness/ http://owni.fr/2011/01/10/le-%c2%ab%c2%a0probleme-jeune%c2%a0%c2%bb-cache-misereux-de-la-societe-francaise-precarite-jeuness/#comments Mon, 10 Jan 2011 15:53:05 +0000 CSP (Comité de salut public) http://owni.fr/?p=37553 Moitié-moitié : c’est ce qu’on se dit après la lecture de cette tribune du sociologue Louis Chauvel sur la jeunesse sacrifiée. Moitié diagnostic juste, moitié à côté de la plaque concernant les responsables réels de ce sacrifice et quant aux solutions proposées. Comme si le chercheur avait commencé à voir juste sans aller jusqu’au bout de sa propre logique, en reculant en quelque sorte sur les pistes de réflexion pourtant évidentes pour sortir et le d’jeunz et les autres aussi de l’effroyable merdier dans lequel nous ont précipité trente années de délire néolibéral.

Quels sont les symptômes de ce mal-être collectif ? Les plus visibles relèvent des difficultés de la jeunesse. Nous le savons, trente-cinq ans après l’extension du chômage de masse, la jeunesse a servi de variable d’ajustement. Chômage record, baisse des salaires et des niveaux de vie, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit (stages, piges, free-lance, exonération de charges, etc.), nouvelle pauvreté de la jeunesse, état de santé problématique et faible recours aux soins, absence d’horizon lisible.

Pourtant, il semble bel et bien que ce ne sont pas des gouvernements de gauche – ou en tout cas de vraie gauche, s’entend bien – qui ont construit ce drame collectif, mais des « élites » toutes massivement converties à l’économie de marché ; Louis Chauvel n’en parle pourtant pas, ou en tout cas n’adopte pas cet angle et trouve à déplacer le centre du problème non sur la réalité d’une classe exerçant une férule sans partage ni pitié sur une autre, mais construit une opposition générationnelle jeunes Vs. vieux qui déplace complètement la question.

Le « jeune » est partout… et donc nulle part!

Puisque ce n’est pas seulement pour les jeunes que l’avenir est sombre, mais pour ainsi dire tout le monde, exceptés bien entendu ceux qui profiteront largement de l’aliénation généralisée en chantier actuellement. Le sociologue choisit de se focaliser sur une classe d’âge spécifique, les « jeunes », pauvres, et les oppose à des « vieux » baby-boomers censés êtres nantis et doté d’un patrimoine conséquent notamment immobilier en ayant l’air d’oublier qu’avant que d’être une histoire d’âge, la domination se construit d’abord par rapport au statut social : un « jeune » précaire et un « vieux » à retraite minable ont plus en commun qu’un « jeune » sorti de grandes écoles et qui bénéficiera du réseau des « vieux » – ses parents et leurs connaissances – pour se placer à un poste valorisé et valorisant.

La construction de l’objet « jeunes » est de plus, outre son caractère spécifiquement occidental – au Pakistan, on a pas le temps d’être « jeune », on est à l’usine à 10 ans pour fabriquer des ballons de foot -, m’a toujours posé souci dans la mesure où précisément, quand on y regarde de plus près elle n’est que cela : une construction générique fallacieuse recouvrant des réalités et des vécus extrêmement disparates. Le « jeune », en fait, ça n’existe pas. La « jeunesse », si elle est une tranche d’âge commune à une multitude ne rassemble pas pour autant ni les mêmes personnes ni les mêmes destins sociaux.

Le seul vécu commun des jeunes : subir le pire que la société a à offrir

Non pas cependant qu’il ne faille pas se préoccuper du sort de cette classe d’âge qui fait partie, c’est incontestable, de ceux qui sont et seront les plus durement frappés par la saloperie en cours et sur ce point aussi Louis Chauvel tape juste.

Par-dessus tout, une frustration générale envahit les esprits devant l’accumulation des promesses non tenues : celle du retour au plein-emploi grâce au départ à la retraite des premiers-nés du baby-boom (rapport Teulade de 1999), de meilleurs emplois par la croissance scolaire, dans un contexte où le travail seul ne permet plus de se loger. Il s’ensuit une colère, voire une haine, qui se détecte clairement dans la jeunesse de 2010 et que le mouvement sur les retraites a paradoxalement canalisée.

Haine qui malheureusement, devant l’absence de débouché progressiste, peut très bien décider de se canaliser électoralement vers ceux et spécifiquement celle qui leur fournira les réponses les plus simplistes. Puisque comme le dit Eric Coquerel du Parti de gauche, on ne peut effectivement qu’être « inquiet de voir «des gens touchés par la crise, aspirant à des ruptures et des bouleversements» mais «qui ne font plus la distinction entre la gauche et la droite». «Ils peuvent, dit-il, être séduits par une alternative cauchemardesque»
(J’aurais évidemment préféré trouver cette phrase dans la bouche d’une personne du NPA, mais il est vrai que nous sommes terriblement occupés actuellement à débattre démocratiquement dans le respect de la parole de chacun afin que toutes les tendances puissent s’exprimer…)

Là où Louis Chauvel se plante, et sévèrement, c’est par la construction de son opposition entre « jeunes » et « vieux », car même si le poids démographique d’une population vieillissante pèse de plus en plus lourd politiquement parlant, et contribue, de fait, au « caractère profondément conservateur, rentier, de la société française dans son entier » – l’ambiance de conservatisme réactionnaire qui traverse tout le corps social trouve là une grande partie de son explication : les vieux regardent TF1 et flippent et ils votent en fonction de ce ressenti…-, les grands coupables de cette situation ne sont au final pas tous les « vieux » mais certains « vieux » : ceux qui possèdent le plus de patrimoine, immobilier entre autres, et comme par hasard possèdent aussi les moyens de productions.

Quand taxerons-nous les vieux rentiers ?

Quoi de commun entre Liliane Bettencourt (88 ans), Ernest-Antoine Sellière (73 ans), Serge Dassault (85 ans), et leur équivalents en âge qui croupissent dans ces mouroirs que son les maisons de retraites ? Et si vous voulez voir une belle brochette de baby-boomers et autres sémillants quinquas – sexas pas vraiment inquiets pour leurs retraites, c’est très simple : regardez les dates de naissance du conseil exécutif du MEDEF

La véritable opposition, le noeud du conflit, il se trouve dans des vieux bourgeois contre des jeunes déclassés ET tous les autres aussi…

Du coup, cette analyse déplace également les propositions à faire pour rééquilibrer la balance puisque si on ne peut nier l’urgente nécessité d’une politique du logement ambitieuse et particulièrement volontariste – allant jusqu’à confisquer les logements inoccupés à ceux qui refusent de les mettre sur le marché en préférant spéculer dessus (oui, ça sera une atteinte atroce au droit de propriété, en effet, le totalitarisme vous dis-je), il ne semble pas sot de se dire que ces vieux là, qui effectivement possèdent tout et refusent catégoriquement désormais de même laisser des miettes – rupture du « contrat fordiste » et recherche frénétique de la maximisation des profits -, il ne semble donc pas complètement aberrant que de vouloir les mettre à contribution et ce, disons, lourdement…

C’est en ce sens que Louis Chauvel, malgré des prémisses intéressantes, se trompe d’objets de défiance, mais il est vrai que tout ce qui précède est en effet quelque peu « marxiste » en effet ; et n’est-ce pas, le marxisme et ces 15 milliards de morts, on aura pas la vulgarité de l’employer en sociologie.

Billet initialement publié sur le blog Comité de salut sous le titre Le problème n’est pas là.

Photo FlickR CC slworking2 ; The US National Archives.

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La France des rentiers 2, le retour http://owni.fr/2010/12/14/la-france-des-rentiers-2-le-retour/ http://owni.fr/2010/12/14/la-france-des-rentiers-2-le-retour/#comments Tue, 14 Dec 2010 11:35:30 +0000 Patrick Savidan (Observatoire des inégalités) http://owni.fr/?p=37429 Dans une société où le rapport à l’emploi – à des degrés variables selon les secteurs et les niveaux de qualification – devient plus instable, la question de l’épargne et du patrimoine est déterminante. Dans une étude récente, l’Insee a présenté un tableau des pratiques françaises à cet égard. Instructif, le rapport souligne que les Français jouent la sécurité. Finis les placements risqués ! En période de crise, on joue la carte des biens immobiliers, des livrets, des plans épargne-retraite et de l’assurance-vie. On apprend ainsi notamment qu’un cinquième des ménages détiennent des valeurs mobilières en 2010, contre un quart en 2004 et que le nombre de ménages possédant une assurance-vie ou une assurance décès volontaire est en augmentation : 41,8 % en possèdent au moins une en 2010, contre 35,3 % en 2004. Cette étude, qui montre aussi qu’une part croissante de la population dispose de produits financiers et immobiliers (92 % des ménages pour les premiers et 62 % pour les seconds), ne rend toutefois pas compte des inégalités qui persistent dans ce domaine, ni ne souligne le rôle majeur qu’elles joueront, entre héritages et donations, dans la production d’inégalités plus fortes encore dans les années à venir.

Retour au (dés)équilibre du début du XX e siècle

Les inégalités salariales restent certes préoccupantes : en France par exemple, sans tenir compte des avantages en nature, des primes, des stock options, l’échelle des salaires bruts est en effet déjà de 1 à 10 (1 400 euros environ pour un ouvrier non qualifié et 14 000 euros pour un cadre supérieur dans le secteur financier). Et ces chiffres ne reflètent qu’une partie du problème. Par le jeu des moyennes, ils dissimulent d’abord la très forte augmentation des hauts salaires entre 1996 et 2006 (+ 28% pour les 0.1% salariés les mieux rémunérés, alors que 90 % des salariés, sur la même période, ont dû se contenter d’une augmentation de 6,2%). Ces chiffres surtout ne prennent pas en compte la situation de celles et ceux qui ne perçoivent pas de salaires (ou très irrégulièrement), ou qui ne reçoivent que des fragments de salaire sur fond d’emploi en miettes (de ce point de vue, les femmes subissent, on le sait, des injustices profondes).

Dans des sociétés telles que les nôtres, ces inégalités jouent un rôle important dans la reproduction des inégalités de condition. On aurait tort pour autant d’en rester là. De fait, le travail et son salaire ne sont pas les seuls facteurs de différenciation sociale. Il faudrait encore se rappeler qu’il existe une autre manière de devenir riche : l’héritage, anticipé ou à terme.

Dans les sociétés d’Ancien régime et encore au XIXe siècle, c’est ainsi que l’on devenait riches. Au XXe siècle, la tendance s’est inversée et la baisse des inégalités de patrimoine a effectivement entraîné une baisse des inégalités. Comme les travaux de l’économiste Thomas Piketty l’ont montré pour la France, c’était en grande partie lié à la création de l’impôt sur le revenu et au renforcement de sa progressivité après la Seconde Guerre mondiale. En a résulté le sentiment que le rentier était en voie de disparition et que désormais il appartiendrait à chacun de tracer sa propre route, d’assumer par le travail la responsabilité de sa situation sociale, de se « faire soi-même ». L’heure était à la méritocratie !

Un ressort profond de l’inégalité sociale

Nous savons bien que l’égalité des chances, dans les faits, dissimule mal les déterminants sociaux et culturels de la « réussite » sociale. Mais l’injustice ne s’arrête pas là. L’héritage et la rente n’ont nullement dit leur dernier mot ! On s’y intéresse peu et c’est pourtant à ce niveau aussi que se joueront les inégalités abyssales de demain, c’est au creuset de cette injustice que se forgera la société de rentiers qui renaît sous nos yeux aveuglés. Les chiffres sont éloquents, comme le montre une étude récente menée par Thomas Piketty. La part de l’héritage, par donation ou au décès, représentait environ 20 à 25 % du produit intérieur brut au début du XXe siècle. Dans les années 1920-1930, s’est amorcée une baisse, portant celle-ci dans les 1950 à 5% du PIB. Depuis, cette part de l’héritage s’est réorientée à la hausse, lentement tout d’abord, puis de manière rapide depuis trente ans, atteignant 15 % en 2008, avec un horizon, en 2050, estimé à 20-25 %. Si l’on repart de plus loin dans le temps, l’augmentation est encore plus frappante. Et si l’on prend comme point de référence, non plus le PIB, mais le revenu disponible (voir le graphique ci-dessous), nous constatons que la part de l’héritage est aujourd’hui revenue à 20 % du total, soit le niveau qui caractérisait le fonctionnement du capitalisme au tout début du XXe siècle.

L’affaire est grave, et pourtant rien ne bouge. On s’agite sur la question de l’insertion (importante), on promeut l’égalité hommes-femmes (et il faut le faire), on s’inquiète des discriminations (à juste titre), on veut promouvoir « l’égalité des chances », mais pourquoi cette cécité sur ces ressorts profonds de l’injustice sociale ? Il est en effet crucial que tous les individus d’une société donnée puissent, sur un pied d’égalité, entrer et évoluer sur le marché du travail, mais qu’est-ce que cela changera au fond si la société de ce marché du travail est profondément inégalitaire et injuste ? Comment ne pas prendre conscience que, si rien n’est fait au niveau le plus fondamental, les réussites en matière d’insertion, les progrès dans l’égalité salariale, la disparition des discriminations, la prise en compte des conditions de l’égalité des chances, resteront marginales dans les effets produits. On pourra affirmer qu’il y a une valeur éthique de l’accumulation (comme l’avait montré Max Weber dans son “Ethique protestante et esprit du capitalisme”, voir ci-dessous), qu’il y a aussi sans doute une moralité intrinsèque à l’acte de transmission, mais cela doit-il pour autant suspendre tout jugement critique sur les usages et la répartition de cette accumulation du capital et sur la portée et la destination de la transmission ?

On aura senti, sans qu’il soit nécessaire peut-être de prolonger l’analyse, que l’injustice sociale ici n’est pas une abstraction, ni même un risque. Elle existe, elle s’avance. Faut-il alors que nous restions indifférents au prodigieux décalage qui s’annonce ? Ce type de questions devrait nous encourager à aborder le problème des inégalités au niveau de radicalité qui est le sien. Réduire les inégalités, c’est s’attaquer aussi à cette question de l’héritage.

Patrick Savidan, président de l’Observatoire des inégalités. Auteur notamment de Repenser l’égalité des chances, édition poche, février 2010, édition Hachette Littératures, collection Pluriel, 325 pages. Lire l’avant propos.

L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme
Dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme – 1904 pour la première édition -, Max Weber écrivait : “L’idée que l’homme a des devoirs à l’égard des richesses qui lui ont été confiées et auxquelles il se subordonne comme un régisseur obéissant, voire comme une “machine à acquérir”, pèse de tout son poids sur une vie qu’elle glace. Plus grandes seront les possessions, plus lourd, si le sentiment ascétique résiste à l’épreuve, le sentiment de responsabilité à leur égard, [Le devoir] de les conserver intactes pour la gloire de Dieu, et [même, si faire se peut] de les multiplier par un travail sans relâche. Comme tant d’éléments de l’esprit du capitalisme moderne, par certaines de ses racines, l’origine de ce style de vie remonte au Moyen Age. Mais ce n’est que dans l’éthique du protestantisme ascétique qu’il a trouvé son principe moral conséquent. Sa signification pour le développement du capitalisme est évidente. (p.208, édition Plon 1967)”. L’accumulation ne se fait peut-être plus aussi nettement pour la “gloire de Dieu”, mais le pli est pris et justifié, pour d’autres usages, comportant un fort degré de légitimité aussi : “transmettre aux siens”…

Article publié initialement sur le site de l’Observatoire des inégalités sous le titre Les rentiers : chronique d’un retour amorcé.

Photo FlickR CC : The Library of Virginia ; State Library of New South Wales collection.

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