OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Anonymous démasque la fachosphère http://owni.fr/2012/02/08/anonymous-demasque-la-fachosphere/ http://owni.fr/2012/02/08/anonymous-demasque-la-fachosphere/#comments Wed, 08 Feb 2012 18:41:43 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=97767

Anonymous s’est lancé dans une nouvelle bataille, après le soutien symbolique aux révoltes arabes et les protestations contre la fermeture du site de téléchargement MegaUpload. Le collectif informel a attaqué des sites d’organisations d’extrême-droite en Europe et aux Etats-Unis. En France, l’opération Blitzkrieg a donné lieu à un curieux chassé-croisé. Les piratages de cinq sites d’extrême-droite et d’un site se réclamant anti-fasciste ont tous été revendiqués par des Anonymous.

Un message laissé sur antifasciste.info prétend que le site a été piraté et le contenu modifié (défacé) par les Anonymous. Ils auraient ainsi agi en représailles des actions menées contre les sites d’extrême-droite :

Début Janvier 2012, plusieurs sites appartenant à la mouvance d’extrême droite ont été piratés.
Ces actes ont été signés par Anonymous antifa ou Antifanonymous et n’ont aucun rapport avec notre mouvance.
Nous condamnons ces actes là. En agissant ainsi les script kiddies qui ont réussi à détourner des sites de débutant ont agit contre la liberté d’expression pour laquelle Anonymous se bat à travers le Monde et ne valent pas mieux que les dictatures qui exercent un pouvoir totalitaire et une censure sur l’opinion du peuple.

Une accusation étonnante au vue de l’éthique, certes fluctuante, du groupe éthéré et décentralisé que constituent les Anonymous. Le collectif n’a pas de colonne vertébrale, mais un socle de valeurs communes, au sommet duquel trône la liberté d’expression. Lors de l’opération contre les sites officiels des autorités iraniennes, de longues discussions avaient eu lieu pour déterminer si le site d’une agence de presse pouvait être pris pour cible. Celui-ci diffusait les photos de manifestants et appelait les lecteurs à la délation. Cet outrage le privait de sa qualité de média, qualité qui le prémunissait jusqu’alors des attaques des Anonymous.

Un label sans monopole

Iraient-ils jusqu’à défendre la liberté d’expression de sites de droite radicale ? Probablement pas, mais personne n’a le monopole du label Anonymous. Pour pallier les difficultés rencontrées, notamment dans les relations avec les médias, certains Anonymous ont structuré la prise de parole publique. Des règles sont à l’essai pour “réaliser des interviews dont les réponses sont écrites collectivement”, ce afin d’éviter “la course à l’échalote dans le choix des intervenants” lorsque les médias manifestent de l’intérêt.

Anonymous, du lulz à l’action collective

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L'anthropologue Gabriella Coleman, spécialiste reconnue des Anonymous, a été la première à suivre le phénomène. Dans ...


Reste qu’Anonymous, par définition, ne communique pas uniquement par ce biais. En réponse au prétendu défacement du site antifasciste.info, une vidéo a été brièvement mise en ligne. Sur La jeunesse emmerde le Front national des Bérurier Noir défilaient des images du parti d’extrême-droite français et des montages apposant le visage d’Hitler sur le corps de Marine Le Pen. La vidéo n’est plus accessible, car “c’était un pavé dans la marre” nous a expliqué la personne qui a posté la vidéo.

Le blog Fafwatch, connu pour surveiller et parfois révéler des informations personnelles sur des militants d’extrême-droite, s’est fait l’écho d’une autre interprétation. Un article paru sur le blog affirme que le site antifasciste.info appartient au Groupe Union Défense (GUD), un mouvement d’extrême-droite. Ils auraient procédé à un faux défacement du site pour prétendre que les Anonymous étaient de leur côté. Au terme de recherches en ligne approfondies, Fafwatch affirme avoir identifié l’auteur du piratage de antifasciste.info et qu’il s’agit bien d’un militant d’extrême-droite, irrité par l’opération Lyon Propre lancée en janvier contre la fachosphère française.

#OpBlitzkrieg

Le 14 janvier, la “Jeunesse nationaliste” avait défilé à Lyon derrière Alexandre Gabriac, exclu du FN pour avoir posé faisant le salut nazi, et Yvan Benedetti, chef du groupuscule d’extrême-droite “Oeuvre française”. Cinq sites de la fachosphère sont alors pris pour cibles par les Anonymous : oeuvrefrançaise.com, six-fevrier.com, yvan-benedetti.fr, jeune-nation.com et la-flamme.fr. Comme à l’accoutumé, une vidéo est mise en ligne pour revendiquer, signer et donner quelques informations supplémentaires sur l’opération.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le dernier coup d’éclat en date fut le piratage du compte email de Steven Bissuel, chef de la section lyonnaise du GUD. Parmi les documents figurent le compte-rendu d’une réunion interne qui confirme l’existence d’une branche étudiante, l’Union défense de la jeunesse. “Le combat nationaliste” détaille la liste des bonnes actions qu’un militant du GUD se doit d’effectuer chaque jour.

En Allemagne aussi, l’extrême-droite s’est fait déshabiller par les Anonymous, associant attaques par déni de service (saturation des serveurs sous les requêtes) et piratages de données, publiées ensuite sur des plateformes. Nommée avec ironie #OpBlitzkrieg, elle consistait à mettre hors-ligne puis récupérer et faire fuiter des données sur la blogosphère néo-nazie allemande. Des informations embarrassantes pour le parti d’extrême-droite allemand, le NPD, avait ainsi circulé : leur liste de donateurs, des emails internes, les identités de clients de boutiques néo-nazies entre autres.

Aux Etats-Unis, le collectif de hackers a découvert des liens entre le candidat à l’investiture républicaine Ron Paul et un réseau suprématiste blanc. Un portail permettant de faire des recherches par mot-clés dans les documents récupérés a été mis en ligne.


Illustration CC par Loguy pour Owni

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Internet: l’immigration réussie de l’extrême droite http://owni.fr/2011/05/17/internet-limmigration-reussie-de-lextreme-droite/ http://owni.fr/2011/05/17/internet-limmigration-reussie-de-lextreme-droite/#comments Tue, 17 May 2011 11:16:24 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=62959 Face à la stratégie de diabolisation qu’opèrent les médias grand public vis à vis de l’extrême droite, il est difficile pour ses leaders de se faire entendre, et de faire entendre leurs causes. C’est en substance le cadre de l’intervention de Jean-Yves Le Gallou le 25 octobre 2008. Ancien cadre du FN puis du MNR et fondateur du think-tank Polemia, il s’inspire du théoricien communiste Antonio Gramsci pour inciter les militants d’extrême-droite à investir massivement le web. Il développe son argumentaire en 12 thèses.

Les instruments utilisés pour influencer l’opinion n’ont jamais été aussi puissants [mais] ces moyens d’influence ont été utilisés par les élites dominantes pour imposer une idéologie de rupture avec les traditions du passé.

Raillant une idéologie du politiquement correct, il trouve en Internet “un instrument de mobilisation, un moyen de construire sa réflexion et son action de manière indépendante” et surtout “un moyen de contourner la diabolisation“. Il donne donc comme conseil aux militants d’extrême droite d’augmenter le contenu disponible.

Une présence historique

L’extrême droite n’avait pas attendu Jean-Yves Le Gallou pour asseoir sa présence sur Internet. Il avait été, en 1995, un des premiers partis à s’installer sur ce nouveau média. En 2004, Datops prétend que le Front National est le plus présent parmi les forums politiques de Usenet. Une page explique même en 2006 aux militants sur quels forums s’inscrire et comment s’y comporter. Le but est d’occuper le terrain pour “prendre la température sans le filtre des médias” et de prendre des contacts pour diffuser les idées. Un rédacteur de la Section Numérique du PS expliquait à l’époque comment, en observant les listes de discussion, on pouvait suivre les militants d’extrême droite se synchroniser pour lancer des discussions, se coordonner dans leurs réponses ou calmer l’ardeur des militants trop expansifs.

Des espaces libérés

En 2003, le MRAP avait sorti un rapport sur la Naissance d’une nouvelle extrême droite sur Internet pour “provoquer une prise de conscience sur la montée de cette islamophobie“. Principalement concentré sur SOS-Racailles, un forum reprenant la charte de SOS Racisme pour dénoncer le racisme anti-blanc et la “racaille” des banlieues, le rapport tente de démasquer les personnes tenant les différents sites pour alerter les autorités. Le réseau autour de SOS-Racailles se concentrait autour de l’hébergeur Liberty-web, basé aux USA. Selon Transfert.net, parmi les 26 sites visibles sur le portail de Liberty-web, 24 étaient “ouvertement racistes, nationalistes, catholiques intégristes, royalistes ou sionistes extrêmes“.

La réinformation

Face à ce qu’ils considèrent comme une idéologie dominante et une hégémonie culturelle, les militants d’extrême droite pratiquent sur Internet ce qu’ils qualifiient de “réinformation”. C’est notamment le rôle que veulent jouer l’agence de presse indépendante Novopress ou le site fdesouche. Ce site, démarré en 2005, présente tous les jours une revue de presse, légèrement biaisée. Célèbre pour de nombreux buzz, notamment une vidéo montrant un prof agressé à Porcheville. Il avait également servi de caisse de résonance dans l’histoire de l’agression d’un jeune dans un bus par des “racailles”.

Un des leviers à leur disposition pour essaimer leurs idées est leur présence sur les forums, notamment de jeunes. Ainsi, en 2008, Justine Brabant, du site Arrêt sur image, soulignait les stratégies d’installation des militants dans le forum 15-18 de JeuxVideo.com, et de la communauté noëliste, un groupe formé par les habitués du forum, qui se rassemble autour d’un smiley “Père Noël”. Les commentateurs de fdesouche estimaient que cette communauté, similaire dans l’esprit à 4chan, où les jeunes repoussent les limites du bon goût et le sens des valeurs, formerait un terrain favorable aux idées de fdesouche.

Investir les réseaux sociaux

Jean-Yves Le Gallou n’a fait que pointer du doigt un phénomène déjà bien en place. À la fin de sa déclaration, il le remarque en se félicitant :

Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre l’arrivée d’Internet dans les années 1995 et la montée progressive des mouvements populistes en Europe. [...] Ne boudons pas les bonnes nouvelles !

Aujourd’hui, les militants investissent les médias sociaux, faisant du Front National et du Parti Anti-Sioniste les deux partis les plus populaires sur Facebook. À l’heure où le FN souhaite se dédiaboliser, les militants assument de plus en plus facilement leurs positions. Et Internet permet une libération de la parole publique et sort les gens de leur isolement, trouvant des personnes similaires près de chez eux.

En avril 2010 d’ailleurs, Jean-Yves Le Gallou remet à jour ses thèses en parlant de la presse qui désinforme et d’Internet qui réinforme. L’occasion pour lui de reconnaître le travail accompli sur Internet et d’indiquer le nouveau terrain à conquérir pour l’extrême droite : l’humour.

A nous de nous réapproprier le rire et la dérision.


Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :

Les familles d’extrême-droite sur Internet

FN-Fdesouche les liaisons heureuses

Les cyber-cerbères de la fachosphère

Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper

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Les cyber-cerbères de la fachosphère http://owni.fr/2011/05/16/les-cyber-cerberes-de-la-fachosphere/ http://owni.fr/2011/05/16/les-cyber-cerberes-de-la-fachosphere/#comments Mon, 16 May 2011 17:54:24 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=62780 Alexandre Gabriac et Jean-Baptiste Cordier étaient tous les deux candidats FN aux cantonales. Tous les deux ont été photographiés en train de faire des saluts nazis (pour le premier) ou entourés de personnes au bras bien tendu (pour le second). L’affaire Alexandre Gabriac a été révélée par lenouvelobs.com le 29 mars. Elle a abouti à son exclusion du FN, décision prise par Marine Le Pen contre l’avis de son père et de Bruno Gollnish. Les photos de Jean-Baptiste Cordier ont, elles, été diffusées sur le blog de deux militants antifascistes, fafwatch.

Sorte de chasseurs de skins modernes, certains groupes antifascistes ont investi Internet pour lutter contre les mouvements d’extrême droite. Et fafwatch, avec ses révélations sur le candidat FN, est l’un des plus connus. Sur le modèle de copwatch qui surveille les agissements de la police, le blog entend diffuser des informations compromettantes pour les “fafs”, les militants d’extrême-droite. Plusieurs sites du genre existent aux États-Unis ou encore en Russie [ru] où les mouvements néo-nazi sont plus nombreux qu’en Europe de l’Ouest.

Geek antifasciste

“Fafwatch est une vitrine, presque un loisir” explique à OWNI l’un des deux tenanciers du blog – appelons-le Arnaud – qui préfère rester anonyme et flou pour éviter d’être identifié. Comme beaucoup, il prend des précautions avant d’accepter de nous parler. Plusieurs n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Arnaud se dit geek et militant antifasciste depuis de nombreuses années. Fafwatch réunit ces deux pratiques : il observe les activités de l’extrême-droite en ligne mais aussi IRL, et diffuse parfois les informations récoltées. Arnaud dit n’avoir recours qu’à des méthodes légales. Pas de piratages donc. Son principal terrain d’observation est le plus utilisé des réseaux sociaux, Facebook.

À la manière des quatre antifa qui ont créé un faux profil pour pénétrer les sphères d’extrême-droite, fafwatch investit largement le réseau social pour surveiller les militants d’extrême-droite :

On crée de faux comptes et on s’arrange pour qu’ils ressemblent à des profils de fafs. On like des pages proches de l’extrême-droite. Comme ça, on peut entrer dans leurs réseaux.

Une partie finit sur leur blog. “Une partie seulement” précise Arnaud qui dit refuser de diffuser des images très compromettantes pour des personnes visiblement mineures. “Facebook, c’est la jungle pour les jeunes. À se demander si ce n’est pas une mode” dit-il, affligé par le nombre de jeunes entre 15 et 20 ans qui n’hésitent pas à porter les insignes nazis.

Fafwatch ne fait pourtant pas partie de la stratégie de fond de lutte antifasciste selon Arnaud.

Fafwatch sert à rappeler aux militants d’extrême-droite que les antifascistes les regardent. Il sert aussi à alerter certains groupes antifa de ce qui se passe dans leur ville.

En publiant un billet sur un bar de Bourges, fréquenté selon fafwatch par des identitaires, le blog incite les militants antifa de Bourges à se pencher sur la question. “Nous n’avions aucun contact avec les groupes antifa du coin, donc on a utilisé le blog pour les alerter” explique Arnaud. Fafwatch n’est pas vraiment l’oeuvre de franc-tireurs, il est géré en concertation avec des antifa de la région et d’ailleurs.

Cyber-guérilla de l’information

Internet est le nouvel avatar de la rue que les militants se disputent. Novofuck.info, instrument d’“activisme virtuel”, se veut le pendant antifasciste de l’agence de presse du Bloc Identaire novopress. Le site diffuse des informations sur les militants d’extrême-droite bordelais et sur les actions des militants locaux antifascites.

Autre initiative locale, Désouchons la désouchière s’est créé en opposition à La Désouchière, une communauté de “Français de souche” que des identitaires ont créée dans le Morvan. Désouchons la Découchière a révélé son emplacement précis et croit connaître les desseins plus ou moins avoués des néo-ruraux identitaires. Entre autre : noyauter le monde associatif local, installer une communauté suffisamment nombreuse pour peser dans le jeu électoral.

Le web antifa s’appuie aussi sur les sites des organisations antifa classiques, dont le réseau No Passaran/SCALP (Section Carrément Anti-Le Pen). Reflexes et selon les régions indymedia informent les lecteurs des activités de l’extrême-droite et des antifascistes.

La lutte entre l’extrême droite et les militants antifascistes dépasse parfois la diffusion d’information. Deux sites antifa ont été piratés par un militant d’extrême-droite, que fafwatch affirme avoir démasqué. Un blog antifasciste est devenu “un site anti-antifa” (soit un site d’extrême-droite) après piratage. De même que le site du SCALP de Besançon, piraté et défacé. Selon offensive libertaire, “le thème avait été changé par un fond de croix celtiques et quelques article modifiés avec des phrases injurieuses”. Pour Arnaud, le piratage des sites liés à l’extrême-droite n’est pas très utile :

Ca permet de se faire plaisir, mais il n’y a aucun message politique fort.

Il affirme ne procéder qu’à une surveillance approfondie, quitte à mettre “le nez dans le code” pour en savoir plus sur un site ou un individu. Il alerte ensuite les hébergeurs des sites pour qu’ils soient retirés. Une de leur cible favorite : les sites des Nationalistes Autonomes, des groupes de militants identitaires informels.

On a fait sauter des dizaines de leurs sites, y compris certains qui étaient hébergés au Mexique. On a l’habitude maintenant.

Ce qui n’est pas diffusé sur fafwatch vient nourrir leur base de données. Arnaud nous explique connaître l’identité des webmasters de plusieurs sites d’extrême-droite, notamment un site clairement néo-nazi dont ils surveillent les agissements. Sur d’autres sites généralistes, la présence de l’extrême-droite semble plus difficile à combattre en partie parce qu’elle ne tombe pas sous le coup de la loi. Notamment sur le forum de jeuxvidéos.com, terrain de jeu de certains lecteurs prosélytes de fdesouches. Arnaud soupire : “C’est un problème, mais on ne peut pas faire grand chose”.


Crédits Photo FlickR by-nc-nd *FataNera*, by antmoose


Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :

Les familles d’extrême-droite sur Internet

Internet: l’immigration réussie de l’extrême droite

FN-Fdesouche: les liaisons heureuses

Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper

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FN-Fdesouche: les liaisons heureuses http://owni.fr/2011/05/16/fn-fdesouche-les-liaisons-heureuses/ http://owni.fr/2011/05/16/fn-fdesouche-les-liaisons-heureuses/#comments Mon, 16 May 2011 17:39:54 +0000 David Doucet http://owni.fr/?p=62880 « Fdesouche, c’est un média à part entière » confiait Marine Le Pen en début de semaine. Et pour cause : en cinq ans, ce blog est devenu une véritable institution du Front National…

En arrière-plan de cette tête de gondole de la réacosphère française, une histoire fantasmée (de Vercingétorix le Gaulois à Brigitte Bardot) et une réécriture vindicative du présent. Les cyber-Français « de souche » ne se contentent pas d’investir la toile : ils cherchent à imposer leur « vision du monde »…

On ne présente plus François de Souche. C’est la vedette. L’étoile. La star.

Lorsqu’Emmanuel Ratier accueille le blogueur à Radio Courtoisie, il n’est pas avare de compliments. L’essayiste et animateur proche des milieux nationalistes n’est pas le seul à tenir en haute estime le cyber-gaulois. De Marine Le Pen à Bruno Gollnisch, tous les ténors de la droite nationale s’y référent.

Une institution

Rien ne prédestinait pourtant Fdesouche à devenir une institution de la mouvance nationale. Dans l’une de ses premières interviews, accordée à la RBN (webradio nationaliste), le blogueur explique qu’il s’agissait au départ d’un espace personnel, censé narrer « les pérégrinations d’un Français de souche dans le Paris occupé ». (Écoutez le fichier audio)

Le tournant a lieu en 2006, lorsque le blog s’attaque au « décryptage de l’actualité ». Au fil des années, son rythme élevé de publication et l’utilisation intensive de la vidéo font grimper en flèche l’audience du site (300.000 utilisateurs/mois selon Google Adplanner). Fdesouche devient une plateforme participative, dans laquelle tous les lecteurs sont amenés à devenir « acteurs de la ré-information ».

Multipliant ses relais sur le terrain, Fdesouche parvient à sortir plusieurs vidéos polémiques qui cristallisent l’attention des médias : l’agression d’un professeur à Porcheville, des vidéos d’incidents à la Techno Parade et surtout une scène d’agression dans un bus parisien en avril 2009. « Avec cette séquence, Fdesouche a forcé la porte des médias traditionnels » selon Bruno Larebière, directeur de publication de Novopress, l’autre gros site d’information de la blogosphère identitaire.

Fdesouche devient alors un catalyseur de buzz sur la toile, mais également une source d’inspiration pour les dirigeants du FN. Caroline Monnot, journaliste au Monde qui gère le blog Droite(s) extrême(s), explique que « Marine Le Pen utilise Fdesouche pour capter ce qui interpelle son électorat ». La preuve en est donnée en septembre 2009 lors de l’affaire Frédéric Mitterrand : Marine Le Pen réalise un gros coup médiatique grâce aux informations divulguées six jours auparavant par Fdesouche.

Capture d'écran de fdesouche.com

Qui se cache derrière ce blog ? La question continue d’agiter les médias, même si les enquêtes de Rue89 puis du Post ont en partie dissipé le mystère. Trentenaire et patron d’une entreprise de communication, cet ancien militant du Front National qui vit en région parisienne tient à conserver son anonymat. Je suis malgré tout parvenu à entrer en contact avec lui par téléphone. Visiblement surpris et plutôt inquiet, “François” m’invite à lui écrire un mail et m’indique qu’il ne souhaite pas « répondre aux questions personnelles, (…) Fdesouche étant un site collectif, participatif. (…) A  l’inverse des thèmes que nous traitons,  nos personnalités n’ont pas de raison de présenter un quelconque intérêt pour vous ».

Jean-Yves Camus, politologue et chercheur associé à l’IRIS, abonde dans ce sens :

Ce qui est intéressant sur Fdesouche, c’est moins son origine que les raisons de son succès.

Pour avoir écouté la totalité des émissions auxquelles il a participé sur Radio Courtoisie, je ne peux que souscrire à ce constat. “François” n’est pas un grand théoricien. Plutôt fier de son audience, il se contente de répéter en boucle l’histoire de son blog. Roule t-il pour le Front National ? Il serait bien difficile d’y répondre, même si, comme il le reconnaît en 2008, sa sympathie va en premier lieu vers le FN. (Écoutez le fichier audio)

Au Front National, le sujet est d’ailleurs tabou, et on dément tout « lien de filiation » avec le héraut nationaliste. Au téléphone avec Julien Sanchez, webmaster du site du Front National, ce dernier est plutôt gêné par mes questions et « refuse de commenter » l’éventuel passé de militant de “François”. Il reconnaît toutefois que « le Front lui envoie parfois des articles par mail qui peuvent l’intéresser ». Georges Moreau, membre du comité central du FN en charge de la communication interne, préfère quant à lui parler d’une « impersonnalité active et indépendante, qui diffuse la bonne parole nationale ».

Pour les primaires du parti, Marine Le Pen et Bruno Gollnisch passeront devant la caméra du blogueur, devenu incontournable. Plusieurs sources indiquent par ailleurs que François est souvent sollicité par des personnalités du FN, en raison de son expertise sur le web. Difficile d’obtenir plus de précisions, mais au fond l’important n’est pas tant de savoir si Fdesouche est téléguidé par le FN que de comprendre comment il a réutilisé les recettes du FN pour devenir le « premier blog de la diaspora des descendants de gaulois…»

Le tour de force politique de Jean-Marie Le Pen est d’avoir réussi à fédérer un ensemble hétéroclite de groupuscules nationalistes, autour d’une promesse simple : « celle d’un retour hyperbolique, celui du passé dans le futur. Donner à voir un changement possible, un refus à l’œuvre, un combat en cours » comme l’explique brillamment le sociologue Erwan Lecœur dans son livre consacré au Front National.

« Identité, insécurité, immigration »

Fdesouche emploie la même tactique en récitant une partition monochromatique : Identité, Insécurité et Immigration. Comme il le dit lui-même dans une interview accordée à Radio Courtoisie : « nous avons évité les sujets qui clivent ». Malgré la vision ethno-différencialiste qu’il développe, le blogueur ne prend jamais parti entre les différents courants de la mouvance nationale, et se contente de relayer les différentes tribunes des uns et des autres. Face à une droite nationale divisée sur le terrain politique comme sur la toile, Fdesouche a compris que l’islam était le  dénominateur commun le plus efficace pour faire de sa gazette le navire amiral de la blogosphère identitaire et nationaliste. Sur d’autres sujets obsessionnels de l’extrême-droite, comme celui du sionisme, Fdesouche ne prend pas le risque de froisser son lectorat et préfère botter en touche, quitte à recevoir les foudres d’un Alain Soral qui juge le blog trop timoré.

À l’image du Front, qui représente aux yeux de nombreux militants frontistes une véritable famille d’adoption, Fdesouche n’est pas un simple blog : c’est une plateforme communautaire et participative. Le coté défouloir raciste mis à part, les commentaires sont l’occasion pour les visiteurs de retrouver leurs semblables, délivrés par la magie du réseau de tout sentiment de culpabilité. Quentin, lecteur assidu du blog, déclare ainsi :

Je suis arrivé sur Fdesouche non sans quelques réticences, voire avec de la culpabilité au début. Je suis aujourd’hui satisfait de constater que j’ai brisé les dogmes qui m’empêchaient de voir la réalité telle qu’elle est.

Le facteur d’émulation est très fort sur Fdesouche. Selon Bruno Larebière, ce blog répond à un besoin : il « sert de soupape de sécurité ». Il observe ainsi « beaucoup de discussions la nuit, beaucoup d’ennui aussi. Ils se lâchent dans les commentaires et les espaces de discussion. Ils pourraient le faire ailleurs ». Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite, aboutit à la même conclusion lorsqu’il parle de « soupape de compensation ». Les différents animateurs du blog jouent de ce sentiment d’appartenance pour faire réagir la communauté. Depuis plus de deux ans, il n’y a quasiment plus de tribunes libres, l’éditorial a disparu, au profit d’une revue de presse biaisée et axée sur le triptyque : immigration-islam-insécurité. Il n’y a bien entendu aucune hiérarchie de l’information : une dépêche concernant une personne d’origine maghrébine suspectée de braquage sera par exemple traitée au même niveau qu’un débat sur le multiculturalisme allemand. (Écoutez le fichier audio)

Dans son déballage de faits bruts, Fdesouche cherche à se dé-responsabiliser, mais surtout à promouvoir sa pseudo-objectivité. C’est pour cette raison que le site recourt systématiquement au format vidéo, l’une des clés de sa réussite. François de Souche l’explique assez bien lors d’une émission à Radio Courtoisie :

Nous avons été les premiers à nous en servir politiquement à ce point là. (…) Les personnes rentrent du boulot, elles n’ont pas envie de lire des textes très compliqués ou de grandes thèses. Elles arrivent sur notre site et peuvent en dix minutes regarder les différentes vidéos. (Écoutez le fichier audio)

Fdesouche fait ainsi office d’observatoire de toutes les séquences concernant l’immigration ou l’islam, surfant sur la pensée « zapping » de sa communauté et sur ses vieux réflexes pulsionnels. L’objectif  ? Formater  les consciences, les doter d’une « nouvelle grille de lecture » afin qu’ils soient capables « de relire l’actualité autrement ». (Écoutez le fichier audio)

Comme l’explique dans son livre l’historien Marc Ferro, la vidéo est un « format idéal pour s’adonner à une contre-analyse de la société, puisqu’elle a pour effet de déstructurer ce que plusieurs générations d’hommes d’État, de penseurs avaient réussi à ordonner en un bel équilibre. (…) La caméra révèle le fonctionnement réel de ceux-là, elle dit plus sur chacun qu’il n’en voudrait montrer. Elle dévoile le secret, elle montre l’envers d’une société, ses lapsus. » Et si cela ne suffisait pas, Fdesouche tronque parfois les séquences vidéos comme pour mieux les formater. Le journaliste John-Paul Lepers avec son documentaire sur « la peur de l’Islam » en a récemment fait l’amère expérience.

Révéler la vérité dissimulée

Les médias justement, parlons-en. À défaut de pouvoir défiler dans les rues à l’instar du GUD, Fdesouche s’emploie à intimider des journalistes pour donner de la consistance à son action militante. Par mail, l’intéressé s’en défend :

Nous n’avons pas vocation à être des justiciers, et nous nous contentons de présenter à nos lecteurs des faits bruts.

Pourtant, l’adresse d’une journaliste a été jetée en pâture il y a encore quelques semaines, occasionnant des menaces téléphoniques.

Dans la novlangue « desouchienne », les médias sont les ennemis auto-désignés puisqu’ils n’ont de cesse de « cacher la vérité aux Français » (alors que Fdesouche la leur révélerait). Dans les faits, les blogueurs de Fdesouche tirent habilement parti de la frilosité des médias à s’emparer d’affaires qu’ils ont parfois eux-mêmes dénichées. L’affaire du bus en avril 2009 met ainsi plus de six jours à éclater dans les médias traditionnels. Pour celle concernant Frédéric Mitterrand, il faudra compter trois jours. Les blogueurs nationalistes profitent de ce « malaise médiatique » pour mettre en scène leur hagiographie. En réalité, comme l’explique Jean-Yves Camus :

Il n’y a pas de problème d’autocensure sur les thèmes touchant à l’immigration ou à l’islam. La campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 et les débats sur le voile ou sur l’identité nationale ont fait sauter les derniers tabous qui pouvaient subsister.

Le problème tient plus selon lui à « la représentation scientifique à la télévision, dans la mesure où les médias ont dû mal à retranscrire des analyses fines, qui en raison de leur complexité demandent du temps, comme sur les questions touchant à l’islam ou à l’intégration. »

Volontairement ou non, consciemment ou pas, Fdesouche est devenu un ballon sonde pour le FN. Ayant réussi à fédérer la mouvance nationale sur la toile, l’objectif est désormais de la dépasser. De proposer leur identité collective et communautariste comme une réponse à la « crise du sens qui touche notre société ».

Lors d’une interview accordée à RadioCourtoisie, François Desouche défend et justifie cette stratégie de normalisation devant un Emmanuel Ratier quelque peu déboussolé :

Nous, on ne se définit pas idéologiquement, on est dans un principe de revue de presse, de mise à disposition de l’information (…) On veut que ce soit nos lecteurs qui se fassent leur propre opinion. Donc plus ça va, moins on se définit idéologiquement. (Écoutez le fichier audio)

Dans une émission enregistrée un an plus tôt, le discours très policé du blogueur avait déjà fait pousser des cris d’orfraie au président du Club de l’Horloge Henry de Lesquen, qui avait eu cette phrase assez révélatrice :

Décidément, vous avez intégré le politiquement correct, vous !

Passage obligé pour « devenir un média capable de concurrencer les autres sites d’information » ?

En 2008, lors d’une soirée organisée par Fdesouche à laquelle assistait Marine Le Pen, le blogueur confiait vouloir transformer son blog en « Rue89 de droite ». Ce n’était pas une phrase en l’air puisque Fdesouche s’est beaucoup inspiré du « site d’information à trois voix » – approche participative, fidélisation de la communauté, essaimage : à l’instar d’Eco 89, Fdesouche possède également son site consacré à l’actualité économique, Fortune.

Quand elle est invitée à en parler, Marine Le Pen ne cache désormais plus son admiration. Selon Georges Moreau, membre du comité central du FN, le site a pris tellement d’importance que c’est désormais Marine Le Pen qui tente de séduire Fdesouche et non l’inverse.

Elle est habile, elle cite souvent Fdesouche à la télévision pour être reprise sur le blog et améliorer son capital sympathie.

Selon lui, Fdesouche est devenu un enjeu majeur pour le Front, « aujourd’hui, il n’y a pas un adhérent du FN qui ne va pas sur Fdesouche. (…) Le succès du Front et celui du blog sont intimement liés…»


Article initialement publié sur Reversus sous le titre : “Fdesouche, la tête chercheuse du Front National”

Sources audio : Radio Courtoisie (2009-2010)

Crédits photo FlickR by-nc-sa louisa_catlover / by-nc-sa cfarivar


Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :

Les familles d’extrême-droite sur Internet

Internet: l’immigration réussie de l’extrême droite

Les cyber-cerbères de la fachosphère

Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper

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http://owni.fr/2011/05/16/fn-fdesouche-les-liaisons-heureuses/feed/ 23
Les familles d’extrême droite sur Internet http://owni.fr/2011/05/16/les-familles-dextreme-droite-sur-internet/ http://owni.fr/2011/05/16/les-familles-dextreme-droite-sur-internet/#comments Mon, 16 May 2011 16:05:04 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=62721 Jean-Marie Le Pen était un prophète selon de nombreux militants d’extrême droite. Il avait réussi avec le Front National à recomposer à la droite de la droite un parti rassemblant de nombreux groupuscules aux points de vue divers, voire contradictoires. Le web a été un libérateur de la parole publique pour ces militants et les extrêmes droites sont non seulement actives mais efficaces sur la Toile.

Nous avons souhaité explorer ces différentes familles d’extrême droite et les liens qu’ils échangent les uns avec les autres sur Internet. Nous sommes partis du travail d’Olivier Clairouin pour Trans Europe Extrêmes, un site des étudiants de l’ESJ sur les extrêmes en Europe, et publié sur Mediapart qui a cartographié les sites de ce mouvement et ceux gravitant autour grâce aux liens hypertextes. De ces connexions ont émergé 5 catégories très actives.

Cartographie des réseaux d’influence de la blogosphère d’extrême droite

5 familles très liées

Ce qui frappe dans cette infographie animée, c’est l’importance des liens entre les différentes familles. La plus importante en nombre de sites est la réacosphère, ces blogs de réactionnaires qui développent les thèses déclinistes et conservatrices, très liés entre eux et fédérés autour de Fromage Plus, et citant régulièrement Causeur.fr (absent de la carte car n’échangeant pas de liens).

Ensuite, viennent les identitaires, menés par l’”agence de presse indépendanteNovopress, le site le plus connecté de cette sphère. Véritable relais d’une information identitaire, il est la tête de pont et la référence des sites des mouvances régionales des Identitaires.

Autre site hyperconnecté de cette cartographie : François Desouche. Depuis quelques années maintenant, dans un souci de “réinformation“, François Desouche met en lumière les nouvelles recoupant sa vision du monde. Il est l’oeuvre d’un ancien webmaster du Front National. Son objectif : toucher les gens là où ils cherchent de l’information, c’est à dire Internet. Miroir quelque peu déformant de l’actualité, le site dispose de nombreuses ramifications dans les différentes communautés et parvient à faire émerger régulièrement des “buzz” qui remontent parfois jusqu’aux pages de la presse “traditionnelle”.

Le Front National en tant que tel n’est pas très présent sur Internet. Marine le Pen déclarait s’informer régulièrement sur FDesouche et il semble que le parti laisse carte blanche aux initiatives non-officielles pour s’exprimer. Dès 2006, le Front National donnait à ses militants des conseils pour être présent sur le plus grand nombre d’espaces possibles.

Ces familles, ainsi que les catholiques intégristes réunis autour du Salon Beige et de nombreux groupuscules radicaux aux idées pas forcément complémentaires ont su créer un réseau assez solide pour relayer rapidement leurs informations. Aujourd’hui, il se rejoignent régulièrement autour de questions transversales, comme la défense de la liberté d’expression qui a fait apparaître Eric Zemmour sur tous ces sites ou comme l’anti-islamisme qui réunit une large majorité de ce magma idéologique.


NB : la cartographie réalisée par Trans Europe Extrêmes et publiée sur Mediapart ne se concentre que sur 377 sites et blogs situés à la droite de la droite ou à sa périphérie.

Application réalisée par Karen Bastien à la conception, François Prosper au graphisme et Benjamin Grillet au développement.

Avec l’aide de Pierre Alonso et David Doucet.


Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :

Internet: l’immigration réussie de l’extrême droite

FN-Fdesouche: les liaisons heureuses

Les cyber-cerbères de la fachosphère

Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper

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http://owni.fr/2011/05/16/les-familles-dextreme-droite-sur-internet/feed/ 26
Duprat, l’histoire de l’extrême-droite que les médias ne racontent pas http://owni.fr/2011/05/15/duprat-lhistoire-de-lextreme-droite-que-les-medias-ne-raconte-pas/ http://owni.fr/2011/05/15/duprat-lhistoire-de-lextreme-droite-que-les-medias-ne-raconte-pas/#comments Sun, 15 May 2011 14:00:41 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=62743 C’est un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Que ceux qui n’étaient pas nés dans les années 60-70, qui n’ont pas vécu l’onde de choc de l’après-mai 68 ne comprendront sans doute pas ou regarderont d’un œil narquois. Un temps de passion politique extrême où étudiants et lycéens se divisaient en deux camps : fafs contre bolchos, nationalistes et néo-fascistes contre trotskystes et maos, Fac d’Assas contre Sorbonne et Nanterre. Où hordes rouges et noires s’affrontaient, casquées, à coup de barres de fer pour rejouer la révolution russe, la guerre d’Espagne, celle du Vietnam…ou carrément le Front de l’Est. Un temps où l’Internet n’existait pas, où les jeunes n’avaient pas la télé, où la politique se vivait avec les tripes et l’intellect, où l’information et la propagande passaient par la presse, les affiches et les tracts, où le théâtre-monde se résumait au quartier latin. L’Orient était Rouge contre « O, O, Occident ! »

Je n’ai pas connu directement cette époque sépia où les choses étaient si simples : les bons contre les méchants. Mais trop jeune pour avoir participé à ces batailles homériques (et forcément mythifiées) que nous contait nos aînés, membres de la famille ou dirigeants politiques des organisations gauchistes de l’époque, je l’ai vécu par procuration. J’ai voulu, comme tant d’autres, revivre et prolonger la geste politique des « années de rêve », ces histoires de manifs et de baston que l’on se transmettait de génération estudiantine en génération: étudiant au mitan des années 80, je me suis engagé radicalement contre la montée de l’extrême-droite…forcément à l’extrême-gauche. Là où il y avait du service d’ordre et du sport. Et j’ai moi aussi rejoué cette gué-guerre si dérisoire et pourtant incontournable quand on vivait l’engagement avec son temps : gauchos contre fachos, JCR contre rats noirs du GUD, courses poursuites, descentes musclées des Fafs à Tolbiac, embuscade à Jussieu et contre-descente à Assas, jeu de cache-cache avec les flics, casques et battes de baseball. Les manifs anti-Devaquet de 1986. La violence comme seul langage bête et primal alors que paradoxalement on verbalisait tant la politique au café-clope. Mais on ne dialogue pas avec un fasciste : en général il cogne le premier et dans nos petites têtes il fallait bien gagner la bataille de la rue au cri de « F comme Fasciste, N comme Nazi », si on ne voulait pas la perdre dans les urnes.

Duprat : l’éminence grise des fachos nouveaux

: A l’époque la bête immonde était la bête qui monte qui monte…et pour la première fois depuis « Radio-Paris ment Radio-Paris est allemand », elle s’adressait à la France entière pour cracher sa F-haine de l’autre. Le borgne avait mis un beau costume pour passer à la télé, troqué son bandeau de parachutiste tortionnaire contre un œil de verre et un costume-cravate bleu horizon. Sa bouche tordue crachait ces mots

Il y a 1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés de trop.

La Shoa ? « Un point de détail de l’histoire ». 6 millions de juifs assassinés ? « C’est un sujet sur lequel les historiens ne sont pas d’accord », etc…Si je vous raconte tout cela, c’est que ces mots écœurants mais très calculés avaient été mis dans la bouche de Le Pen par un homme de l’ombre : François Duprat. Le Mephisto-Phélès oublié qui présida à la création du Front National, « l’homme qui réinventa l’extrême-droite » en fédérant, sous une flamme tricolore bien plus présentable que la croix celtique, toutes les phalanges de l’ordre noir : nostalgiques du Maréchal Pétain et néo-facistes, anti-communistes viscéraux, nationalistes-révolutionnaires païens, catholiques intégristes, barbouzards et monarchistes de l’Action Française…ces sept familles de l’extrême-droite que tout séparait.

La légende noire de Duprat, mort le 18 mars 1978 dans un mystérieux attentat à la voiture piégé, ressurgit aujourd’hui par la grâce d’un formidable web-documentaire signé par l’historien Nicolas Lebourg et le réalisateur Joseph Beauregard et coproduit par Le Monde.fr, l’INA et 1+1 Production: François Duprat, une histoire de l’extrême-droite française.

Marine Le Pen : irrésistible icône télégénique

Ce n’est pas un hasard si ce documentaire, initialement tourné pour la télévision, a été refusé par toutes les télés. Ses auteurs ont du le réécrire au format webdocumentaire pour lui donner une audience via Lemonde.fr qui a eu l’intelligence de le mettre en ligne sans hésiter. Car cette enquête va là où les autres médias ne vont plus : derrière la lucarne aveugle du petit écran, aux racines du mal.

Tout le contraire de France 2 qui a diffusé lundi 9 mai un portrait très people et superficiel de Marine Le Pen dans Complément d’enquête. Où il était question de l’enfance de la blonde, de son amour filial pour papa, du traumatisme de l’attentat qui a visé le domicile familial, du départ de maman la vilaine qui a posé nue dans Playboy, du flambeau qu’elle a repris blablabla…La télé ne résiste pas à la fille Le Pen, une locomotive à audience, créditée de plus de 20 % des voix et que certains sondeurs voient déjà au second tour des présidentielles dans un « 21 avril à l’envers ». Pas plus qu’elle n’a résisté à son père. Au risque de l’institutionnaliser définitivement et de l’aider dans son entreprise de Lepénisation des esprits. Son discours n’est-il pas plus raisonnable ? Ne trouve-t-il pas écho aujourd’hui dans celui de la droite dite républicaine ? Ses thématiques favorites, l’immigration et la sécurité, ne sont-ils pas aujourd’hui « des sujets de société » qui seront au centre de la campagne électorale ? Des interrogations certes contrebalancées par un reportage en caméra cachée qui montre le vrai visage du FN, celui de toujours : racisme, anti-sémitisme, tentation d’un régime fort et fasciste. Mais qui reste en surface…comme toujours à la télé.

D’où vient le FN ? d’où vient l’entreprise Le Pen Père & fille ? Quel est le projet secret de leur parti depuis sa création en 1972 ? Qui était François Duprat et quel rôle politique, intellectuel et financier occulte a-t-il joué dans l’ombre du « Chef » ? Pour comprendre l’ambition actuelle de Marine Le Pen – et mieux la combattre – il faut donc savoir qui était ce Duprat mort il y a plus de trente ans, démêler le vrai du faux, la légende de la réalité. C’est à cette tâche que se sont attelés Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard. En remontant le temps, en s’aventurant derrière les apparences, par delà l’histoire officielle, dans ces zones d’ombres délaissées des projecteurs de l’actualité…

Ou comment un jeune homme, né en 1940 dans une famille « viscéralement de gauche », tombe du côté obscur de la force. Frappé d’une illumination fasciste, ces mots de Maurice Bardèche :

Il faut être intellectuel et violent.

Il s’engage du côté des proscrits du Paris de la fin des années 50 : ex-collabos, anciens miliciens, vieilles canailles anti-sémites et jeunes néo-fascistes, militants de l’Algérie française et soldats perdus des guerres coloniales, tous ralliés sous la bannière terroriste et anti-communiste de l’OAS.

Un parcours de Jeune Nation au FN en passant par Occident

On suit François Duprat de Jeune Nation à Occident dans les années 60, d’Ordre Nouveau à la création du Front National dans les années 70. Le dispositif original du Webdoc épouse la personnalité double et trouble de Duprat : l’histoire officielle et l’homme de l’ombre, que l’on visionne en parallèle en faisant tourner les facettes d’un cube-écran. En appui (indispensable pour les profanes), une belle frise chronologique interactive très didactique. Duprat jeune nationaliste exalté ? Agent des renseignements généraux dès l’origine, retourné par la police en échange de sa libération après sa participation au complot pro-OAS de Jeune Nation répond le miroir occulte. Une année de baroud au Congo aux côtés des mercenaires de Mobutu ? Grillé à Paris, Duprat est venu « se faire oublier » et produit du mythe « afin que plus personne ne puisse démêler le vrai du faux du faux du vrai ».

Camarade des Madelin, Longuet, Devedjian , Novelli et Robert sous la bannière d’Occident? C’est lui qui a balancé leurs noms aux flics après une descente à la Fac de Rouen en 1967 qui laissera sur le carreau un jeune gauchiste, fils de commissaire, le crâne fracturé à coups de clé à molette. L’anti-sionisme pro-palestinien ? Un vrai anti-sémitisme structurel qui en fait le principal agent du révisionnisme, le porte-voix des négationnistes.

La création d’Ordre Nouveau ? Une machine à recycler les fascistes précités dans les rangs de la droite « républicaine », pendant que les jeunes nervis du mouvement servaient de milice auxiliaire à la police pour lutter contre les gauchistes (qui eux attaquèrent par centaines un meeting fasciste à la Mutualité en mai 1973, menant à la dissolution symétrique d’Ordre de Nouveau et de la Ligue Communiste). L’argent du mouvement ? Il vient de l’internationale des dictateurs fascistes sous l’œil bienveillant de la CIA. Sa mort violente dans l’explosion de sa voiture ? On a parlé du Mossad…mais Duprat entretenait des liens étroits avec la CIA et « les services » français (à une époque où le ministre giscardien Robert Boulin « se suicidait » en se noyant dans 10 cm d’eau). Le mystère demeure entier, le secret bien gardé: les auteurs du documentaire se sont vu refuser l’accès à certaines archives du ministère de l’Intérieur plus de trente ans après les évènements comme le raconte l’excellent blog Droites Extrêmes du Monde.fr.

Pour en savoir plus sur Ordre Nouveau et ces années de plomb made in France, ce petit doc vidéo Youtube est fort instructif:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La stratégie de Marine Le Pen, fruit des théories de François Duprat

Comme antidote à cette engeance fasciste je vous recommande « Mourir à trente ans », le très beau film de Romain Goupil tourné de l’autre côté de la barricade. Ici l’attaque du meeting d’Ordre Nouveau par des centaines de jeunes de la Ligue Communiste qui se heurtent aux CRS… impressionnant:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le Pen dit lui-même de Duprat avec un sourire en coin : « c’était un personnage sulfureux ». Mais il vient saluer la mémoire du « martyr » chaque 18 mars sur sa tombe avec la vieille garde des nationalistes-révolutionnaires, qui, eux, saluent le bras tendu. Loin, bien loin de l’image respectable que tente de donner sa fille au mouvement pour tenter de conquérir le pouvoir « à l’italienne »… Le parti fasciste italien MSI, créé par des fidèles de Mussolini s’est rebaptisé Alliance Nationale dans les années 80. Il est arrivé dans les allées du pouvoir sous ce déguisement avec la clique de Berlusconi. Mettre en veilleuse les bras tendus et les cranes rasés, montrer un visage bleu-blanc-rouge plus respectable que la croix celtique sur fond noir, contaminer la droite sur le terrain des idées, la forcer à aller sur les mêmes thèmes racistes et sécuritaires, puis à nouer des alliances électorales pour gagner et gouverner ensemble…

C’est tout la stratégie de Marine Le Pen. C’était tout le projet théorisé par le marionnettiste François Duprat qui a mis ses mots et ses idées extrémistes dans le discours du Front National et dans la tête de millions de français.

Mais pour découvrir cette histoire occulte de l’extrême-droite française et voir ressurgir l’ombre de Duprat sur l’actualité politique d’aujourd’hui, il ne faut pas compter sur la télé. Heureusement, Internet ouvre aujourd’hui de nouvelles fenêtres sur cet envers de l’actualité, cette histoire underground qui fait l’Histoire et que les grands médias ignorent aveuglement. Au nom du « temps de cerveau disponible » et d’une supposée loi de l’offre et de la demande qui dicte aujourd’hui son stupide tempo marketing et publicitaire à l’information. Heureusement, il y a ce nouveau format, formidable, qu’est le web-documentaire qui permet de s’affranchir des storytellers et de toucher un public envers et contre la machine Audimat à décérébrer. Merci à Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard pour leur travail salutaire qui devrait bientôt trouver un prolongement sous la forme d’une biographie du fasciste Duprat à paraître aux Editions Denoël.

Article publié initialement sur le blog Mon écran radar, sous le titre : “François Duprat, une histoire de l’extrême-droite”: ce webdoc qui va là où la télé ne va pas.

Photo FlickR CC : L’imaGiraphe ; Cyrus Farivar ; staffpresi_esj ; Pierre-Marie Le Diberder (licence GNU).

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Hongrie: les Roms, une “bombe à retardement” http://owni.fr/2011/05/13/hongrie-les-roms-une-bombe-a-retardement/ http://owni.fr/2011/05/13/hongrie-les-roms-une-bombe-a-retardement/#comments Fri, 13 May 2011 14:23:03 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=62221 Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : Tiszavasri, laboratoire de l’extrême droiteLa Garda meurt mais ne se rend pasAu coeur du quartier rom à Gyöngyöspata et Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza.

Quand j’ai quitté Gyöngyöspata, fin mars, tout était censé être terminé. Les centaines de miliciens d’extrême droite qui s’étaient invités deux semaines durant dans le village avaient déguerpi, la vie de la communauté Rom avait repris son cours normal, les enfants allaient de nouveau à l’école… Le gouvernement avait tapé du poing sur la table et promis qu’il ne laisserait plus les milices nationalistes provoquer les Tsiganes en patrouillant dans leurs quartiers. La fête était finie. Eh bien, elle a continué de plus belle.

A la limite de l’affrontement

L’atmosphère, déjà délétère lors de ma venue, n’a cessé de se dégrader depuis. Le 6 avril, le parti d’extrême droite Jobbik a fait défiler militants et miliciens à Hejöszalonta, au Nord-Est de la Hongrie, à la suite du meurtre d’une femme par un Rom. Ce dernier ne venait d’ailleurs pas du village en question et n’avait rien à voir avec la communauté tsigane locale. Mais le Jobbik ne s’embarrasse pas de ce genre de subtilités. La police a fait évacuer le quartier rom et formé un cordon de sécurité entre manifestants d’extrême droite et Tsiganes, soutenus par des associations de défense des droits de l’homme. Par chance, aucun heurt ne s’est produit.

Six jours plus tard, le 12 avril, rebelote, cette fois-ci à Hajdúhadháza, où je m’étais rendu peu avant. Deux cent miliciens de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület se sont mis à patrouiller en rangs d’oignons dans les rues de la ville. Leur venue était annoncée de longue date et j’avais pu assister à ses préparatifs. Elle a largement été soutenue par la population locale : 5000 habitants (sur 13.000 à Hajdúhadháza, 6000 à Téglás et 2500 à Bocskaikert, les deux localités voisines) ont signé une pétition pour se féliciter de cette « opération de pacification ». Ce nouveau coup d’éclat de l’extrême droite a provoqué la colère de la commissaire européenne à la justice et aux droits fondamentaux, Viviane Reding, qui a jugé l’existence de ces milices inacceptable. Mis sous pression par Bruxelles et par un nombre croissant d’articles dans la presse internationale, le Premier Ministre hongrois et actuel président de l’Union, Viktor Orbán, n’avait plus d’autre choix que de réagir… Son ministre de l’intérieur, Sándor Pintér, a donc envoyé la police mettre fin aux festivités dès le lendemain.

Ce n’était que partie remise. Le dimanche suivant, des membres de trois milices (Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, Véderő et Betyársereg) sont retournés dans le village de Gyöngyöspata, où certains avait déjà séjourné début mars. Dirigée par Tamás Eszes, un ancien de la Magyar Gárda, la milice Véderő, qui n’avait pas fait parler d’elle jusque-là, a tout simplement installé à une centaine de mètres du quartier rom… un camp d’entraînement ! Elle comptait y faire venir tous les mois « les jeunes et adultes qui aiment leur pays et souhaitent apprendre les bases de l’armée et de l’autodéfense. » Une initiative si peu inquiétante que la Croix Rouge hongroise a fait évacuer immédiatement 277 femmes et enfants de la communauté tsigane.

Tous sont revenus quelques jours plus tard, une fois le camp démantelé par la police. Mais une partie des miliciens de Véderö se sont fondus dans la population locale et ont continué leurs provocations, qui ont logiquement fini par porter leurs fruits. Selon le site d’actualité francophone de référence sur la Hongrie, hu-lala.org, un adolescent rom aurait été agressé physiquement, une femme hongroise frappée alors qu’elle insultait une autre femme rom, et une bagarre violente aurait éclaté, faisant quatre blessés dont un grave. Des centaines de policiers ont dû être dépêchés sur place pour séparer les deux groupes.

Le gouvernement hongrois réagit dans l’urgence

En ouvrant un camp d’entraînement, Véderö a fait fort… Même certains députés Jobbik ont condamné cette initiative. Comme avec la Magyar Gárda avant sa dissolution, le Jobbik semble avoir du mal à contrôler les agissements de ces nouvelles milices, dont il s’empresse toujours de souligner, avec une mauvaise foi confondante, qu’elles n’ont aucun rapport avec lui.

Quant au gouvernement, après avoir longtemps tardé, il est désormais décidé à agir. Les autorités se sont jusqu’ici heurtées à un problème juridique : tant que les milices n’étaient pas armées et ne commettaient pas d’actes violents, elles restaient dans le cadre de la légalité. Elles pouvaient donc librement venir provoquer les Roms dans leurs quartiers.

Mais en multipliant ces patrouilles, les Véderö et autres Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület ont rendu la situation explosive. Le ministre de l’Intérieur Sándor Pintér a donc préparé un amendement dans l’urgence pour mettre fin à cette dangereuse escalade, qui fait passer la Hongrie pour un pays d’extrémistes où l’Etat est incapable d’assurer seul la sécurité de ses citoyens.

Début mai, le Parlement a ainsi ajouté un article au code pénal, réprimant les « provocations antisociales » susceptibles d’intimider les individus appartenant à des minorités. Elles sont désormais passibles de trois années d’emprisonnement. Reste à voir si cette nouvelle disposition sera appliquée avec la fermeté nécessaire… Le ministre de l’Intérieur a également condamné la récente création d’une « gendarmerie » à Tiszavasvári, qui était au stade de projet lors de ma venue. Cette milice citoyenne subventionnée par l’unique mairie Jobbik du pays pourrait faire les frais des nouvelles armes légales dont dispose le gouvernement.

Ces mesures répressives permettront peut-être de stopper l’engrenage inquiétant dans lequel les habitants des campagnes de Hongrie orientale sont plongés. Mais elles ne règlent rien au problème de fond : l’intégration d’une communauté rom plus marginalisée que jamais.

La question de fond : l’intégration des Roms

Les statistiques ethniques étant illégales en Hongrie, il est difficile de connaître l’ampleur exacte du chômage au sein de la communauté rom. Selon une évaluation du chercheur Gábor Kézdi, reprise par l’ONG de défense des Tsiganes ERRC, à peine 29% des Roms âgés de 15 à 49 ans auraient un emploi. Dans certains villages comme celui de Gyöngyöspata, il semble tout simplement qu’aucun Rom ou presque n’ait de travail.

Le problème est loin d’être facile à résoudre, car l’absence de gisements d’emploi dans les campagnes hongroises, désindustrialisées depuis la fin du communisme, se combine au manque de qualification des jeunes Tsiganes. Pour le député Jobbik Gyöngyösi Márton, tout un programme de ré-accompagnement sur le marché du travail serait nécessaire :

Il ne suffit pas qu’une nouvelle usine Audi s’installe pour que des gens qui n’ont absolument rien fait pendant 5 générations soient capables d’y travailler.

Un cercle vicieux s’est en effet installé: à quoi bon faire des études s’il n’y a pas de travail ? Comment trouver un emploi sans formation ?

Depuis 20 ans, les gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédés en Hongrie ont tourné le dos à ce problème délicat et laissé pourrir la situation, ce dont le Jobbik a su habilement profiter. La paupérisation des campagnes a évidemment accentué les problèmes de délinquance et de racisme, à tel point que l’extrême droite n’hésite plus à parler de risque de guerre civile… Le politologue Krisztián Szabados ne va pas jusque là, mais presque :

La misère de la communauté Rom constitue une bombe à retardement pour la Hongrie. C’est de loin le problème le plus important auquel le pays fait face.

D’autant qu’avec les mesures d’austérité prises par le gouvernement Orbán, les maigres ressources des Roms pourraient encore diminuer : le plan d’économies annoncé en mars dernier prévoit ainsi le gel pendant deux ans des allocations familiales et fait passer de 9 à 3 mois la durée des allocations chômage… Si l’on ajoute à cela la hausse du prix des denrées alimentaires, l’éventualité d’émeutes de la faim n’est plus tout à fait à exclure. C’est l’avis de Corentin Léotard, rédacteur en chef d’hu-lala.org:

On l’oublie souvent, c’est déjà arrivé dans la région en 2004, près de Košice en Slovaquie, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière hongroise.

Un défi européen

En Europe de l’Ouest, ils ont beau jeu de nous faire la leçon. Mais quand les Roms viennent chez eux, en France par exemple, eh bien la France les renvoie.

Sur ce point, le député Jobbik Szávay István n’a pas tort. Selon ERRC, l’Hexagone a expulsé 10 000 Roms en 2009 et plus de 8 000 de janvier à septembre 2010. La question rom ne figure pas parmi les priorités des gouvernements d’Europe occidentale, qui contentent de se débarrasser du problème à coup de reconduites à la frontière sporadiques.

Mais en Europe centrale et orientale, où les communautés tsiganes les plus nombreuses sont installées (à l’exception de l’Espagne), leur intégration est un enjeu de premier plan. Selon le Conseil de l’Europe, 6 millions de Roms vivent dans l’Union:

  • 1,8 million en Roumanie
  • 750.000 en Bulgarie
  • 700.000 en Hongrie
  • 500.000 en Slovaquie
  • 200.000 en République Tchèque

Ils y connaissent les mêmes problèmes qu’en Hongrie : chômage de masse, discrimination et tensions ethniques. Depuis 2008, ERRC a dénombré 19 attaques anti-Roms en République Tchèque et 10 en Slovaquie, dont certaines au cocktail molotov et à la grenade. Des «gardes nationales» similaires à la Magyar Gárda existent par ailleurs en Bulgarie et en République Tchèque depuis quelques années.

Confrontés aux mêmes problèmes, ces pays veulent trouver des solutions communes. L’actuel Premier Ministre hongrois a ainsi fait figurer l’intégration des Roms parmi ses priorités en tant que président de l’Union. « En unissant nos forces, nous pouvons nous rapprocher d’une solution », a affirmé Viktor Orbán le 8 avril dernier, lors d’un sommet européen sur la question organisé à Budapest. Selon lui:

L’intégration des Roms n’est pas le problème d’un ou de quelques états membres. C’est devenu un problème commun à tous et notre première tâche est de faire en sorte que tous les pays au sein de l’Union s’en rendent compte…

Quelques jours plus tôt, la Commission venait de présenter sa feuille de route faisant de l’intégration des Roms un des objectifs assignés aux Etats dans le cadre de la stratégie de croissance de l’UE pour 2020. Chaque pays membre devra lui soumettre un plan d’action national visant à garantir l’accès des Roms à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement, d’ici décembre 2011. Aucune sanction n’est prévue pour les pays qui ne joueraient pas le jeu. Mais en laissant la situation se dégrader encore, ils risquent bien de se punir eux-mêmes…


Photo Flickr CC BY-NC-SA par Alain Bachellier.

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Hongrie: Tiszavasvari, laboratoire de l’extrême droite http://owni.fr/2011/05/12/4-hongrie-tiszavasvari-laboratoire-de-lextreme-droite/ http://owni.fr/2011/05/12/4-hongrie-tiszavasvari-laboratoire-de-lextreme-droite/#comments Thu, 12 May 2011 15:11:30 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=62053 Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : La Garda meurt mais ne se rend pas, Au coeur du quartier rom à Gyöngyöspata et Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza

Tiszavasvári, 25 mars 2011

Vous ne le saviez sans doute pas, mais la Hongrie a deux capitales : Budapest bien sûr, splendide métropole de deux millions d’habitants, cœur économique, culturel et politique de la nation… mais aussi, perdu au milieu des champs à 300 kms de là, Tiszavasvári. C’est Gábor Vona, le leader de l’extrême droite, qui a décerné à ce bourg rural de 13.000 âmes le sobriquet de « meilleure capitale » du pays, en octobre dernier : aux municipales, les électeurs locaux venaient d’y plébisciter son parti, le « Jobbik », dont le nom signifie à la fois plus droit et meilleur.

Tiszavasvári est ainsi devenue la première et seule ville du pays à placer son destin entre les mains d’un maire d’extrême droite, le jeune Erik Fülöp. Depuis, tous les regards sont braqués sur sa commune, dont il veut faire le laboratoire des idées Jobbik. Voilà qui méritait bien une visite.

Un instituteur lynché à mort

Mon interprète Anna et moi reprenons donc la route désolante d’ennui qui part de Budapest et traverse les plaines de l’Est pour rejoindre cette petite ville, dont le nom était familier aux Hongrois avant même l’élection. Il est en effet associé à deux faits divers emblématiques de la tension entre communauté tsigane et extrême droite, qui a fortement cru ces dernières années dans les campagnes magyares et servi de tremplin au Jobbik.

Le premier s’est déroulé il y a plus de 4 ans, mais a profondément marqué les consciences. Pour beaucoup, il incarne les difficultés de la cohabitation avec les Roms. 15 octobre 2006 : Lajos Szögi, un instituteur de Tiszavasvári qui à l’école s’occupe notamment d’élèves Roms, se balade en voiture avec sa famille à Olaszliszka, à 40 kms de chez lui. Sur la route, il renverse accidentellement une petite fille tsigane. Il s’arrête pour l’aider, sort de son véhicule et, sous les yeux de ses enfants, se fait lyncher à mort par des proches de la jeune accidentée. Le Jobbik n’a pas manqué d’utiliser cette affaire tragique pour souligner les dangers de la « criminalité rom », dont il venait de faire son principal thème de campagne.

Cette stigmatisation systématique a fait monter la tension et a fini par déboucher en 2008 et 2009 sur une série d’agressions et de crimes racistes visant les Tsiganes. Une des victimes, Jeno Koka, 53 ans, était employé à l’usine pharmaceutique de Tiszavasvári. Le 22 avril 2009, ce grand-père sans histoire sort de son domicile à Tiszalök, à 8 km de là, pour aller travailler. Il est froidement abattu sur le pas de sa porte, uniquement semble-t-il en raison de son origine rom.

Cinq assassinats du même type ont lieu à la même époque en Hongrie et sont actuellement jugés à Budapest. Les quatre coupables présumés (Zsolt P., Istvan Cs, Arpad K. et Istvan K.) risquent une peine de prison à perpétuité. Ils semblent n’avoir aucun rapport avéré avec le Jobbik. Selon la presse hongroise, deux d’entre eux auraient même été liés aux services de sécurité de l’Etat. Une information à prendre avec prudence, que le Jobbik utilise pour crier au complot à son encontre.

A l’origine de la crise, dix fois moins d’emploi

Si j’en crois l’ancien maire (sans étiquette) Attila Rozgonyi, que j’ai rencontré avant ma venue sur place, cette atmosphère délétère a beaucoup joué dans sa récente défaite contre Erik Fülöp en octobre dernier. Une majorité de la population a été séduite par les thèses simplistes de l’extrême droite. Dépité, il fulmine:

Ils ont raconté n’importe quoi pendant la campagne, ils ont promis qu’ils feraient déménager tous les gitans à Hortobágy.

Une accusation démentie par l’équipe municipale en place. La ville compte près de 3.000 Tsiganes, répartis dans deux communautés d’à peu près égale importance, installées à chaque extrémité de la commune. Celle du quartier Bud est plutôt bien intégrée : « La situation y est presque normale », selon l’ancien maire. L’autre, celle de la rue Szelec, vit dans une misère extrême : « Il n’y a pas d’électricité, peu de nourriture, de gros problèmes d’éducation et beaucoup d’usuriers », énumère Attila.

Le Jobbik a centré sa campagne sur l’insécurité. Mais pour l’ancien maire, celle-ci n’est que la conséquence de deux problèmes sous-jacents : le chômage et la surnatalité. Une situation qu’il déplore:

Auparavant, l’usine pharmaceutique à l’entrée de la ville employait 3.000 personnes et les exploitations agricoles en faisaient travailler 3.500. Aujourd’hui, 10 fois moins.

A Tiszavasvári comme dans le reste du Nord-Est hongrois, la transition du communisme vers l’économie de marché a été sanglante. Avant, tout le monde travaillait. Ou du moins avait un emploi. La transition a fait s’envoler le chômage (plus de 20 % en moyenne aujourd’hui dans la région).

Face à ce phénomène auparavant inexistant, les Hongrois ont trouvé deux solutions : «Les Roms ont choisi de faire des enfants, pour toucher les allocations. Et les non-Roms de se déclarer invalides», résume Attila. Le nombre de personnes bénéficiant du statut d’invalides est en effet étonnamment élevé en Hongrie, en particulier dans les zones déshéritées comme celle-ci. Quant à la natalité, elle bat des records chez les Tsiganes. A Tiszavasvári, d’après les estimations de la mairie actuelle, près de deux tiers des enfants nés sont roms, alors que la communauté ne représente que 20% de la population locale. Résultat : «Certaines familles vivent à 12 dans 30 mètres carrés… », m’explique Attila.

La solution? Placer les enfants roms en internat

Quand nous rencontrons le maire actuel Erik Fülöp, la description qu’il nous fait de sa ville est sensiblement la même. Lui aussi insiste sur le problème de l’éducation. Mais pour lui, les familles sont coupables: «Les enfants grandissent avec des parents qui ne connaissent même pas les tâches ménagères de base, nettoyer le sol, faire la vaisselle…» L’une des propositions phares du programme du Jobbik est précisément de couper les enfants Roms de l’influence supposée néfaste de leur milieu familial pour les placer dans des internats.

Selon Erik Fülöp, l’échec scolaire chez les Roms est presque la règle. Il regrette que les parents envoient leurs rejetons en maternelle uniquement à l’âge de 5 ans, au lieu de 3 comme la plupart des gens: «Certains gamins arrivent à l’école sans parler hongrois, ils connaissent juste leur dialecte local… » Ils entrent ainsi dans une spirale de l’échec qui se reproduit de génération en génération:

Les Roms sont si mal formés qu’ils n’ont aucune chance sur le marché du travail, ils peuvent juste faire quelques boulots saisonniers. Les enfants voient que leurs parents ne travaillent pas et survivent grâce aux allocations sociales. Et le moment venu, ils font pareil.

Evidemment, avec 28.500 Forint (106 euros) mensuels par famille de revenu minimum, plus 28.500 Ft pour une femme en congé maternité et 13.000 Ft supplémentaires par enfant (49 euros), il n’est pas facile de survivre. Il ne faut donc pas s’étonner que les cambriolages et autres vols de fer ou de bois soient fréquents dans la commune. « Il y a environ 500 délits par an, au moins un par jour», explique le maire, qui considère ces chiffres comme en deçà du niveau réel de la délinquance : «Beaucoup de méfaits ne sont même pas déclarés par les victimes. Dans l’Est de la Hongrie, les gens sont résignés. Pour les vols de valeur mineure, ils ne portent même plus plainte. »

Première mesure : créer un bordel à ciel ouvert

Lutter contre la délinquance, c’est la priorité du maire actuel. Presque toutes les mesures qu’il a prises depuis son entrée en fonction vont dans ce sens. Il commence ainsi par m’annoncer fièrement avoir créé une zone de tolérance, en dehors de la ville, «où les prostituées peuvent vendre leur beauté». A quoi ressemble-t-elle ? A rien. C’est un terrain de la mairie.

Avant, ça gênait beaucoup les locaux. Et les lois ne nous permettaient pas d’agir. Maintenant, on peut punir les femmes qui travaillent hors de la zone.

La plupart d’entre elles sont roms. Au vu des problèmes que rencontre la ville, je suis un peu étonné que le maire ait fait de ce bordel à ciel ouvert l’une des mesures emblématiques de son début de mandat…

Il évoque ensuite l’une des propositions les plus fameuses du programme du Jobbik : la création de ce que le parti nomme une «gendarmerie», en référence à la gendarmerie royale hongroise qui a existé de 1881 à 1945. En interrogeant des élus d’extrême droite, je n’ai entendu à son propos que des éloges. Tous se sont bien abstenus de souligner l’enthousiasme et l’efficacité dont elle a fait preuve dans les rafles et les déportations de juifs, en 1944. Selon une note de Yad Vashem (le mémorial de l’Holocauste), «les gendarmes étaient si cruels dans leur façon de traiter les juifs hongrois que même certains nazis en étaient choqués».

Une telle référence historique à une institution aussi décriée n’a pas l’air de gêner la nouvelle équipe municipale. Concrètement, une équipe de 10 membres permanents patrouillera dans la ville pour signaler à la police les infractions. La municipalité leur fournit deux voitures, des uniformes et des téléphones radio. Mais pas d’arme, la loi l’interdit. « Ils appellent ça une gendarmerie, mais c’est plutôt une milice citoyenne » considère quant à lui l’ancien maire Attila Rozgonyi. En effet, aucun concours ni formation ne sont nécessaires pour y entrer, au contraire de la gendarmerie française ou de nos polices municipales.

Dernier point clé dans la lutte contre la criminalité : le lancement d’une procédure contre 18 usuriers qui sévissent dans les quartiers roms. Erik Fülöp leur a en plus collé le fisc sur le dos. Il veut faire de cette intervention un exemple pour tout le reste du pays:

Ces types qui n’ont jamais travaillé un jour de leur vie se baladent toujours dans des voitures flambant neuves.

L’ancien maire avait également pointé ce problème, malheureusement très fréquent chez les Roms qui en sont les premières victimes.

Erik Fülöp sait que sa ville est observée. Il veut en faire une vitrine du Jobbik, pas seulement en matière de sécurité. Il affirme donc avoir baissé son salaire et celui de ses adjoints – curieusement, son prédécesseur m’a affirmé que le maire adjoint avait au contraire été augmenté. Il a aussi mis fin à la gestion « dispendieuse » de l’équipe précédente, notamment en sabrant dans les programmes d’emplois publics… Une décision aux conséquences dramatiques pour la communauté tsigane.

Résignés, les Roms attendent des jours meilleurs

Après une heure passée à écouter Erik Fülöp déblatérer sur les merveilleuses réformes qui feraient de sa ville la meilleure capitale de Hongrie, Anna et moi quittons la mairie pour voir l’envers du décor. Nous nous rendons dans le quartier Rom de Bud, où nous avons rendez-vous avec le leader de la communauté, Ferenc Poczkodi. Il nous guide à vélo jusqu’à chez lui.

L’endroit est calme : un alignement de maisons basses aux couleurs vives, déserté en cet après-midi ensoleillé. Nous entrons dans la charmante petite demeure verte de Ferenc, où il vit avec sa famille. Il y a des fleurs partout, sur chaque recoin de chaque meuble. « Ma mère aime les fleurs », se justifie-t-il… Tout est rangé, propre, impeccable : une maison modèle, bien loin des descriptions apocalyptiques faites par le maire. La situation est peut-être différente dans le quartier de la rue Szelec, mais ici, rien à redire. Ferenc nous propose un café. Il est simple, sincère, direct, un peu résigné, un peu triste aussi.

Il a des mains de travailleurs : c’est un ouvrier, il travaille depuis 25 ans à l’usine pharmaceutique. Il y est le dernier Rom encore en poste.

Avant, on était plusieurs centaines, mais maintenant, il n’y a plus de boulot.

D’autant que le programme de travaux publics, qui auparavant employait 630 personnes (dont une moitié de Roms), a presque disparu : il ne reste que 42 postes, souvent à temps partiel. Pour un Tsigane, trouver un emploi dans le coin est presque devenu mission impossible : « Quand un Rom est candidat par téléphone, on lui dit oui, il y a des places. Mais quand il se présente et qu’on le voit, bizarrement, il n’y en a plus», lance Ferenc. Beaucoup de préjugés circulent sur sa communauté, regrette-t-il : « Si un Rom fait quelque chose de mal, personne ne dit “c’est untel qui a volé”. Les gens disent “encore un coup des Roms !” »

Ce n’est pas avec l’actuelle équipe municipale que les choses risquent de s’arranger : Ferenc a tenté en vain d’obtenir un rendez-vous avec le maire, qui l’a renvoyé sur ses adjoints. « Cela se passait bien mieux avec l’ancien maire, on pouvait discuter… », soupire-t-il. L’avenir lui paraît sombre. En plus de la gendarmerie, il n’est pas exclu que l’extrême droite envoie un jour patrouiller sur place l’une de ses milices, comme la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület. « Et ça ferait encore monter la tension… » L’entretien se termine sur cette note pessimiste. On prend quelques photos sur le pas de sa porte et il me lance:

Vous pourrez m’envoyer l’article? Parce que vous savez, on a internet!

Il est fier de lui et il a bien raison.


Photos: Stéphane Loignon et Une de Loguy en CC pour OWNI

Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : La Garda meurt mais ne se rend pas, Au coeur du quartier rom à Gyöngyöspata et Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza

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Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza http://owni.fr/2011/05/11/3-hongrie-patrouille-avec-la-milice-de-hajduhadhaza/ http://owni.fr/2011/05/11/3-hongrie-patrouille-avec-la-milice-de-hajduhadhaza/#comments Wed, 11 May 2011 08:31:16 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=61831 Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : La Garda meurt mais ne se rend pas et Au coeur du quartier rom à Gyöngyöspata

Hajdúhadháza, 24 mars 2011

Facebook, c’est sympa, ça aide les Tunisiens à renverser Ben Ali, les Égyptiens à faire dégager Moubarak… Et le leader de l’extrême droite hongroise, Gábor Vona, à mobiliser des miliciens pour les envoyer patrouiller dans les quartiers roms. Il l’annonce sur sa page perso:

En avril, les habitants de Hajdúhadháza offriront le gîte et le couvert à 200 miliciens.

Pas sûr que tout le monde like, a fortiori la communauté tsigane.

Trois heures de route séparent Budapest de Hajdúhadháza. Cette petite ville d’une douzaine de milliers d’habitants est nichée à l’extrémité Est du territoire, à l’autre bout de la « Puszta » : une plaine quasi désertique et marécageuse, qui fait la fierté des Hongrois si j’en crois ce que m’a raconté János Farkas, le leader rom de Gyöngyöspata, le précédent village que j’ai visité. Sur ce point, je choisis ne pas le croire. C’est vide, laid, interminable…

On arrive sur la place avec Anna, ma merveilleuse interprète, et son fils János, âgé de 3 mois. Tous les deux m’ont déjà escorté à une manif du parti d’extrême droite Jobbik il y a quelques jours. Cette fois-ci, nous devons rencontrer la milice Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, qui organise la venue prochaine des renforts évoqués par Gábor Vona sur Facebook. Grâce à moi, le petit János aura sans doute croisé plus d’extrémistes en une semaine que dans tout le reste de son existence. Espérons que ça ne lui laisse pas trop de séquelles.

Un contrôle d’identité sous nos yeux

En apparence, l’endroit est presque charmant : des maisons proprettes, une immense église jaune poussin, une vaste place carrée encadrant un petit parc. Roms et non-Roms s’y baladent paisiblement. Trompe l’œil ? Un rapide micro-trottoir nous suffit à le vérifier. « Il y a des problèmes de vols avec les Tsiganes, tous les gens d’ici vous le diront », nous explique une veille dame. Une autre passante nous répète effectivement la même chose. Deux jeunes Roms marchent non loin de là. Ils ont 17 et 18 ans et sont au top de leur style d’ado : lunettes de soleil, t-shirt moulant, piercing à l’oreille, pento plein les cheveux…

Ils nous racontent qu’avant la création de la milice que nous allons rencontrer, ils étaient plus tranquilles. Ils craignent de ne plus pouvoir venir squatter sur cette place. Dommage, ils aiment bien l’endroit. Ils s’en vont, se posent sous l’arrêt de bus. Deux flics se garent et se dirigent vers eux. On met pas les pieds sur les bancs les enfants. Contrôle d’identité. Évidemment les petits vieux à côté n’y ont pas droit. Les policiers repartent. Ils n’ont pas le droit de parler aux journalistes, mais nous lâchent quand même quelques mots :

Ici, la situation n’est pas glorieuse, ça nous fera pas de mal d’avoir un peu de renforts…

En voiture, avec le député-milicien

A propos de renforts… Le député Jobbik local, Rubi Gergely, sort de la mairie où il vient de négocier l’autorisation de faire venir les 200 miliciens de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület dans quelques semaines. Ce jeune élu d’une trentaine d’années, très souriant et courtois, sera notre guide aujourd’hui. C’est un pro de la com’. Son objectif du jour : nous prouver que lui et ses amis ne sont pas une bande de nazis.

Au volant de sa voiture de milicien, ornée de blasons des Árpád (la première dynastie royale de Hongrie) sur les ailes et le coffre, il nous amène à la brasserie Turul, du nom du faucon mythique symbole du nationalisme hongrois. L’intérieur du café dépasse toutes mes espérances : drapeau hongrois, horloge à l’effigie d’Árpád, poster représentant la gendarmerie royale hongroise et, trônant au centre du mur, un large portrait de Miklós Horthy, régent de Hongrie de 1920 et 1944. Pour l’extrême droite et une partie de la droite, c’est un héros national ; pour les socialistes et les libéraux, c’est le Pétain magyar. Le serveur au crâne rasé nous amène un verre.

L’entretien commence, on parle déco. Horthy, vous l’aimez bien? Rubi m’explique :

C’est une figure exemplaire, il a fait énormément de choses pour la nation. Souvent, on l’associe à la déportation des juifs, mais lui n’a jamais fait de différence entre juifs, non juifs et Roms de Hongrie. Il voulait que personne ne soit déporté.

Pour mémoire, deux tiers des juifs hongrois ont péri durant la seconde guerre mondiale. Certes, la majorité des juifs déportés l’ont été eux après qu’Horthy a dû laisser le pouvoir aux Croix Fléchées, en octobre 1944. Mais c’est bien sous Horthy qu’a été signée l’alliance avec l’Allemagne nazie et qu’ont été votées plusieurs lois antisémites.

On passe à l’autre affiche. «Toutes les gendarmeries d’Europe ont pris pour modèle la gendarmerie royale hongroise», m’explique Rubi. Dissoute en 1945, son efficacité est restée légendaire au yeux de tous les élus d’extrême droite que j’ai rencontrés. Évidemment, aucun d’entre eux n’évoque son rôle actif dans la déportation des juifs en 1944. Sa recréation figure parmi les priorités du Jobbik et l’émergence de milices s’inscrit dans une logique palliative, tant que le parti n’est pas au pouvoir .

Rubi soupire :

Depuis l’année dernière, le gouvernement a dépensé des milliards de forints pour assurer la sécurité des diplomates européens qui viennent en Hongrie. Alors que souvent, en province, il n’y a même pas une voiture qui permette à la police de patrouiller normalement.

C’est pourquoi lui et une quinzaine d’autres habitants du coin ont créé l’été dernier l’antenne locale de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, qui compte maintenant une quarantaine de membres, tous bénévoles.

« Là-bas, un voleur de bois ! »

Si j’en crois Rubi, la ville fait course en tête dans les statistiques de criminalité. Il me raconte un fait divers récent, particulièrement sordide. « Dans une rue toute proche, la police a attrapé des kidnappeurs qui avaient enlevé une femme de 31 ans à Debrecen, à 15 kms. Ils lui ont collé un couteau sous la gorge, l’ont embarquée dans le train, descendue ici. Ils lui ont pris toutes ses fringues et l’ont mise à côté de la nationale pour qu’elle se prostitue. Là, elle a pu s’échapper… » Il enfonce le clou :

Dans le coin, c’est banal que des filles de 12 ou 13 ans soient contraintes de se prostituer. Dans une des écoles primaires, il y a eu une épidémie de syphilis. Une gamine de 13 ans a contaminé toute une classe. C’est vraiment triste.

En rajoute-t-il pour m’impressionner ? Je ne sais pas. Je lui demande si les Roms sont responsables de cette criminalité, il ne dérape pas. « Pas uniquement eux. Les gens pauvres, ils sont obligés d’aller voler. Et ça énerve ceux à qui ils volent… », m’explique-t-il, philosophe. Il regrette le temps où les « vajda » (leaders Roms) collaboraient avec les autorités pour livrer à la police les délinquants :

Depuis une vingtaine d’années, ça ne fonctionne plus. Les Roms ont cessé d’exclure les éléments criminels de leur communauté…

La « polgárőrseg » (milice) qu’il a créée ici est censée remettre de l’ordre dans tout ça. Rubi me présente l’homme qui est à sa tête, un moustachu à casquette militaire d’une quarantaine d’années. Il est ouvrier la semaine et «polgárőr» sur son temps libre. Lui et ses petits camarades patrouillent de nuit, à pieds, par groupe de 6 à 8. Ils ne sont pas armés. « C’est interdit, nous respectons la loi, insiste-t-il, nous avons juste le droit de retenir les suspects sur place jusqu’à l’arrivée de la police. Ce sont eux qui mettent les menottes ». Les vols de bois constituent la majorité des délits dont il est témoin. D’après Rubi, leur fréquence aurait baissé de 90 % depuis que les miliciens font des rondes. Une estimation sans doute exagérée.

C’est l’heure de les voir en action. Rubi nous emmène patrouiller en voiture. On traverse la ville, en direction de la forêt. Le long de la route, un vieil homme pousse une charrette remplie de branches. Rubi le remarque, mais, décidé à se montrer clément, il ne s’arrête pas :

C’est un voleur de bois. Il ne l’a pas coupé, il n’a fait que ramasser des bouts par terre, pour cuisiner et se chauffer, parce qu’il est pauvre. Donc on le laisse tranquille.

Au contraire de ceux qui scient les arbres pour les revendre. « En deux mois, on en a attrapés 400, dont 100 ont été traduits en justice », précise-t-il. On quitte Hajdúhadháza pour rejoindre la localité voisine, Bocskaikert. Rubi y a rendez-vous avec le maire pour l’avertir officiellement de la venue prochaine des 200 miliciens. Sur le chemin, on passe devant la gare, censée être un haut lieu du crime local. Évidemment, rien ne s’y passe, l’endroit est vide.

Entre nationalistes Jobbik et Fidesz, en famille

On se gare devant la mairie de Bocskaikert, joli petit édifice à l’allure vaguement baroque, au fond d’un grand jardin. Le représentant local du Jobbik nous accueille : c’est une armoire à glace moustachue au crâne rasé, vêtue d’un polo blanc moulant sur lequel est brodé un magnifique Turul sur fond de drapeau Árpád. Classe. Lui et Rubi partent voir le maire : «On en a pour cinq minutes, nous disent-il, à moins que vous ne vouliez venir ? » Bien sûr qu’on veut venir.

Le maire, Szőllős Sándor, accepte gentiment notre présence. Il est membre du parti conservateur actuellement au pouvoir, le Fidesz. Au-dessus de son bureau, j’aperçois une immense carte de la grande Hongrie, avec les frontières de 1914 (avant le traité de Trianon de 1920, qui a réduit des deux tiers le territoire magyar). Anna me souffle que la bibliothèque est remplie d’œuvres de Wass Albert, l’écrivain de référence des nationalistes hongrois. On n’est donc pas surpris de voir le maire et Rubi bien s’entendre. La réunion commence.

Rubi avertit officiellement Szőllős Sándor de la venue des 200 miliciens, le maire sourit :

Si des gens aident à garantir la sécurité publique, on ne va pas s’en offusquer…

Ils discutent ensuite des endroits qui posent problème, de quelques cambriolages récents, puis déplorent le côté trop épisodique de l’engagement des citoyens dans les patrouilles civiles. L’ambiance est bon enfant. Rubi fait des grimaces au petit János, qui ignore superbement cette tentative de connivence. Le représentant du Jobbik prévient le maire qu’il compte créer une antenne de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület à Bocskaikert. Pas de problème apparemment. Tout ce petit monde se sépare bons amis.

Les relations entre le Fidesz et le Jobbik sont ambiguës. Officiellement, le gouvernement est opposé à la venue de milices dans les villages. Mais lors de la précédente action de ce genre, à Gyöngyöspata, rien n’a été fait pour disperser les miliciens. Indifférence ? Connivence idéologique ? La politique nationaliste menée par le Fidesz depuis son arrivée au pouvoir est en tout cas parfois très proche des idées du Jobbik. Exemple parmi d’autres, la nouvelle constitution concoctée par le Fidesz accorde le droit de vote aux « Hongrois de l’extérieur » : les minorités d’origine magyare qui se sont retrouvées hors du territoire après 1920. Une date honnie par toute la droite, marquant la fin de la grande Hongrie tant regrettée par Szőllős Sándor et Rubi Gergely…

« Vous venez ici pour poser des bombes ? » Heu, non…

Nous repartons en voiture avec Rubi et décidons d’aller jeter un œil au quartier rom. En véhicule de milicien, ce n’est pas forcément l’idée du siècle, mais on veut quand voir même à quoi ça ressemble. Sur le chemin, Rubi peste contre les libéraux qui, selon lui, montent les Roms contre sa milice :

A cause d’eux, les Tsiganes nous traitent de racistes et de nazis. Pourtant, le chef de notre milice a sauvé un jeune Rom du suicide. Il lui a retiré la corde du cou.

L’anecdote me fait penser à Jean-Marie Le Pen qui tentait de prouver qu’il n’était pas raciste en expliquant avoir déjà employé des noirs.

On s’arrête à un carrefour. Devant nous, le quartier rom : un alignement de maisons jaunes ou vertes que rien ne distingue des autres. On est au milieu de l’après-midi, l’endroit est désert. Rubi m’indique une habitation toute proche et me raconte un fait divers qui s’y est déroulé :

Ici, cinq jeunes Roms sont entrés dans le jardin et ont commencé à ramasser tout ce qui avait de la valeur. Le propriétaire, un Monsieur de 61 ans, est sorti. Ils lui ont cassé le bras, les cotes et il a eu une cicatrice de 13 cm sur le crâne. Sa mère de 81 ans est venue l’aider. Elle a été battue. Depuis elle est à l’hôpital, entre la vie et la mort. Les jeunes sont partis, puis revenus au bout d’une demi heure, ils ont fouillé la maison et piqué 4000 Ft (15 euros).

Depuis le siège arrière où je suis installé, je sors mon appareil et prends quelques clichés. Au loin une voiture blanche sort d’une ruelle, je n’y fais pas attention. Elle se rapproche et s’arrête à notre hauteur. Le conducteur m’engueule en hongrois, je ne comprends rien à ce qu’il me dit. Il a l’air très énervé que j’aie pris des photos. C’est un Rom d’une quarantaine d’années. Rubi nous conseille de ne rien répondre : « Vous occupez pas lui, c’est le mafieux du coin».

C’est aussi l’un des animateurs d’une contre-manifestation qui sera prochainement organisée par les opposants à la milice. Est-il vraiment un mafieux? Aucune idée. Mais sur le coup, je ne suis pas rassuré. Le type descend de voiture et se dirige vers nous en criant, Anna traduit en direct :

Vous faites des repérages et vous reviendrez le soir pour poser des bombes, c’est ça ?

Curieuse association d’idées qui donne le ton de l’ambiance sur place. Rubi reste à l’arrêt, serein. L’homme passe à ma hauteur, voit que je ne capte rien, aperçoit Anna et son fils de trois mois et commence à nous trouver bizarres pour des miliciens. Quand il se rend compte que c’est le député qui nous conduit, il se calme instantanément. Rubi est intouchable, trop haut placé. Tous deux se tutoient et plaisantent comme de vieux amis :

- Alors, tu fais tes petites patrouilles ?

- Oui, oui. Ce sont des journalistes. J’ai du mal avec les médias, tu sais…

Chacun se salue et on quitte le quartier. Rubi est content, il a eu le beau rôle, il nous a sauvés.


Photos: Stéphane Loignon et Une de Loguy en CC pour OWNI

Retrouvez la suite de la série du reportage en Hongrie : [4] Hongrie: Tiszavasvari, laboratoire de l’extrême droite

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Au coeur du quartier Rom à Gyöngyöspata http://owni.fr/2011/05/10/2-hongrie-au-coeur-du-quartier-rom-a-gyongyospata/ http://owni.fr/2011/05/10/2-hongrie-au-coeur-du-quartier-rom-a-gyongyospata/#comments Tue, 10 May 2011 09:56:22 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=61830 Retrouvez la première partie de ce grand reportage en Hongrie.

Gyöngyöspata, 18 et 20 mars 2011

Des champs, des vignobles et, entre deux collines de cette plaine vallonnée, quelques centaines de maisons amassées : le hameau d’apparence paisible que j’aperçois depuis la voiture s’appelle Gyöngyöspata et n’a jamais autant fait parler de lui qu’en ce moment. Deux semaines durant, jusqu’à la veille de mon arrivée, plusieurs centaines de miliciens de l’organisation Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület se sont installés dans ce village de 2.850 âmes, pour tenir en respect les quelques 400 Roms locaux qui, selon eux, rendent la vie infernale aux non-Roms.

Hébergés sur place par des habitants solidaires de leur action, ils ont patrouillé dans le quartier rom, monté la garde devant le supermarché, suivi les Tsiganes dans tous leurs déplacements, intimidé les enfants… Sans que la police n’intervienne. Le mouvement d’extrême droite Jobbik a publiquement soutenu cette opération et, selon toute vraisemblance, l’a même organisée. Son représentant local, Oszkár Juhász, dément et assure que c’est la population locale qui a appelé la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület à l’aide :

C’est un phénomène d’entraide entre Hongrois contre la criminalité tsigane, devant laquelle le gouvernement ferme les yeux !

A l’origine de l’affaire, un fait divers: un retraité s’est suicidé cet hiver, désespéré par les innombrables délits commis par les Roms, si l’on en croît l’extrême droite. Selon les Tsiganes, cette mort tragique n’a rien à voir avec eux. Et la venue de ceux qu’ils appellent les « gardistes » – en référence à l’ancienne Magyar Gárda - serait plutôt liée au refus de la communauté non-rom de voir s’installer dans leurs quartiers des Tsiganes relogés à la suite d’une inondation. Ici, on ne se mélange pas, comme j’ai l’occasion de le vérifier dès mon arrivée.

“Ah, vous cherchez le quartier rom ?”

Je suis accompagné d’un journaliste français installé à Budapest, Corentin Léotard, rédac’ chef d’un excellent site d’information francophone sur l’actualité hongroise, Hu-lala.org. Il possède quelques rudiments de hongrois, moi non. En l’absence d’interprète, c’est à lui qu’incombe ce rôle. « Pas gagné », me prévient-il. Nous roulons lentement dans la ville à la recherche de Bem utca, où nous avons rendez-vous avec János Farkas, le leader de la minorité rom. En suivant consciencieusement les indications qu’il nous a données par téléphone, fort logiquement, on se perd.

Une dame d’une soixantaine d’années marche le long de la rue, je m’arrête à sa hauteur. Elle porte une cocarde, s’abrite sous un parapluie blanc et rouge, aux couleurs de la dynastie d’Árpád ; les rayures des lanières de son gilet évoquent le drapeau hongrois. L’élégance nationaliste dans toute sa splendeur.

Corentin baisse la vitre et fait étalage de sa maîtrise de la langue magyare. Miracle : elle comprend ! Bem utca ? Elle ne connaît pas, mais elle va demander à l’une de ses amies. Nous rejoignons une seconde vieille dame au look plus conventionnel. Elle est charmante et nous indique patiemment notre route, jusqu’à ce qu’une intuition foudroyante la saisisse :

Ah, vous cherchez le quartier rom ?

Le ton se fait nettement moins cordial. « Vous êtes journalistes, c’est ça ? » Soudain, elle retourne sur ses pas et nous plante là, sans nous saluer.

Une cinquantaine de mètres plus loin, un carrefour: une route boueuse sur la droite, des gamins qui jouent au milieu de la rue, voilà le quartier rom. Rapidement, deux jeunes d’une vingtaine d’années nous rejoignent, posent le bras sur la voiture et commencent à parler… On ne sait pas ce qu’ils racontent, si ce n’est qu’ils aimeraient qu’on leur donne de l’argent.

Corentin stresse: « C’est quoi le nom du mec chez qui on va déjà ? » Je l’ai oublié, je sais plus, je confonds tous les noms hongrois, sans discrimination. Les petits jeunes se font plus pressants, je ne capte pas un mot, mais je sens bien qu’on n’est pas loin de se faire embrouiller. Petite montée d’adrénaline : « Tu le retrouves pas, tu le retrouves pas ? » Heu non, non, non… Si, ça y est ! Je l’ai. «János Farkas !» Sésame, ouvre-toi. Tout le monde se détend et on nous indique bien volontiers le chemin.

Chez les Farkas, leaders tsiganes

On se gare devant une grande maison, deux étages de béton beige et brique rouge, au fond d’une allée qui descend à l’extrémité basse de la ville (en zone inondable, apprendrai-je plus tard). Un petit homme en sort, la cinquantaine, brun, moustachu et ridé : c’est János Farkas, le père. Il nous fait signe de rentrer. A l’intérieur, deux hommes sont attablés avec lui dans la cuisine : son fils, János Farkas aussi, la trentaine, et Zoltán Lukács, un jeune Rom diplômé de droit dans une université de Budapest. La pièce est surchauffée et enfumée au possible, papy Farkas crie à sa petite fille : « Amène vite un café à ces messieurs ! » L’interview peut commencer.

Je m’aperçois que Zoltán parle un peu anglais: on pose des questions simples, il les traduit, on enregistre les réponses en hongrois des Farkas père et fils, que je fais traduire par une amie quelques jours plus tard. C’est parti pour une heure d’interview 100 % à l’aveugle, à fumer clope sur clope en hochant la tête pour faire semblant d’avoir compris. Le jeune Farkas, successeur de son père au poste de leader de la «collectivité locale minoritaire», commence :

Les miliciens nous provoquaient continuellement. Ils marchaient au pas dans notre rue, à 6 heures du matin, en chantant des airs nationalistes. Une femme a même accouché prématurément tant elle a eu peur.

Le père s’emporte:

Ils hurlaient: c’est la fin du tsigane ! La Hongrie n’a pas besoin du tsigane ! Ils nous traitaient de parasites et de fainéants. On a vécu dans la terreur durant 17 jours. Et pendant ce temps là, la police du comté sympathisait avec eux…

Beaucoup de parents n’osaient même plus envoyer leurs enfants à l’école. «Certains instituteurs disaient aux enfants : attention, soyez sages, sinon je vous mets dehors chez les gardistes…», reprend János fils.

La venue de la milice a durablement exacerbé les tensions dans le village. Zoltán Lukács a assisté à une réunion organisée par la mairie pour apaiser les esprits : «La majorité de la population hongroise était satisfaite du travail des miliciens. Ils disaient que la délinquance a diminué grâce à eux. Le Jobbik a essayé d’accentuer la colère de la population locale à l’encontre des Tsiganes. Et il a réussi», soupire-t-il.

Est-il exact que des délits sont commis par des membres de la communauté rom ? «Il y a des problèmes avec deux ou trois familles, admettent-ils, mais ce n’est pas une raison pour condamner tous les Roms.» Quels types de délits? «Des petits vols de bois, pour faire cuire de la nourriture.» On me donnera plus tard une version assez différente.

Ça tient presque du miracle, mais durant les deux semaines où les miliciens étaient là, il n’y a pas eu de violence. Ces derniers n’étaient pas armés et les Roms n’ont pas cédé aux provocations, grâce au travail des Farkas. «Nous avons fait des efforts jour et nuit pour qu’il n’y ait pas d’affrontement», raconte le père. La milice est partie hier, mais les Roms restent sur leur garde : «Nous ne savons pas à quoi ressemblera notre futur. Peut-être que nous demanderons l’asile politique chez vous», me lance-t-il. Sous le gouvernement actuel, peu de chances que leur requête soit couronnée de succès. Tandis qu’on se salue chaleureusement, Papy Farkas me gratifie d’une dernière déclaration solennelle :

J’aimerais remercier mes lecteurs sur internet. Je leur souhaite force et santé, au nom de tous les Tsiganes de Gyöngyöspata.

Message transmis.

La ségrégation, jusque dans les toilettes

Deux jours plus tard, je retourne à Gyöngyöspata en compagnie d’un groupe d’activistes des droits de l’homme. Ils y organisent une distribution de nourriture pour les Roms et comptent cuisiner sur place un goulash au paprika pour la famille Farkas. Quand nous arrivons en ville, nous apercevons sept miliciens en uniforme plantés devant le supermarché : la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület est bien partie il y a quelques jours, mais elle a monté une antenne locale.

Nous poursuivons notre chemin, croisons une patrouille de policiers en station à l’entrée du quartier du Rom, et rejoignons la demeure des Farkas. Quasiment toute la communauté est rassemblée devant la maison. Des dizaines et des dizaines et de gamins, d’ados et de mères de famille font le pied de grue en attendant que les Farkas répartissent les provisions apportés par les bobos de Budapest.

A l’intérieur, je retrouve papy Farkas, toujours très avenant. Avec l’aide d’un activiste qui accepte de jouer l’interprète, il m’explique comment lui et sa famille survivent. Ils sont 15 à vivre dans cette maison, trois générations. Personne n’a de travail. «Moi j’avais l’habitude d’aller à l’usine à Budapest.» Quand ? «En 91, 92.» Depuis, rien, à part de temps à autres des boulots saisonniers ou des travaux publics. Son histoire est typique de celle des Roms de l’Est hongrois, si j’en crois ce que m’a expliqué plus tard le politologue Krisztián Szabados, du Political Capital Institute [en hongrois] :

Les Tsiganes ont été sédentarisés par le régime communiste, dans un but d’assimilation. Des quartiers ont été créés pour les Roms, notamment dans l’Est du pays, et ces derniers pouvaient travailler dans les usines d’Etat. Au début des années 90, elles ont fermé. Les Roms se sont retrouvés sans qualification, installés dans des zones sans emploi. Ils ont été les grands perdants de la transition.

D’après Gábor Kézdi, chercheur à la Central European University de Budapest, en 1989, chez les Roms, 85 % des hommes et 53 % des femmes âgés de 15 à 49 ans travaillaient. Quatre ans plus tard, en 1993, ces taux ont été divisés par deux (respectivement 39 % et 23 %). Ils sont restés depuis à ce niveau. «Depuis 21 ans, toute une génération a grandi sans pouvoir travailler. C’est ce qui a créé des tensions. Tant qu’il y avait du travail, il n’y avait aucun problème», soupire János Farkas. Comme beaucoup de foyers roms ruraux, sa famille doit survivre avec les minimas sociaux et les allocations familiales : 28 500 Forint (106 euros) par famille de revenu minimum, plus 28 500 Ft mensuels pour une femme en congé maternité et 13.000 Ft supplémentaires par enfant (49 euros).

Dans la cuisine, je discute avec Beatrix, 15 ans, la petite fille de papy Farkas, et deux de ses amies (dont une a 20 ans, est enceinte de son quatrième enfant et fume, pour l’anecdote). A l’école, Roms et non-Roms sont mélangés, m’expliquent-elles. Ce n’est pas le cas partout en Hongrie : les jeunes Roms sont souvent regroupés dans des classes spéciales pour enfants défavorisés. Ils ont 15 fois plus de chances d’y être affecté que les non-Roms, d’après ERRC, une ONG qui défend leur droits. Ici, la ségrégation existe tout de même… aux toilettes, me raconte Beatrix :

Figurez-vous qu’on a pas le droit d’aller à celles du haut ! Il y a un grand panneau : pas de tsiganes. Celles du bas ne fonctionnent pas. Du coup, je préfère me retenir et aller chez moi.

Elle et ses copines n’ont pas beaucoup de relations avec les non-Roms, même si elles ne seraient pas contre. «Une fois, sur le terrain de foot, on a invité les Hongrois à venir avec nous. Ils ont ri et ils nous ont dit : non, parce que vous êtes des Tsiganes qui puent!», se souvient l’amie de Beatrix.

Ils crient “Suce ma bite” aux vieilles dames

En repartant en fin d’après-midi, j’aperçois à nouveau le groupe des sept  miliciens, qui patrouille dans la rue frontière entre quartiers rom et non-rom. Je vais à leur rencontre, accompagné d’un activiste qui fait l’interprète. Ils sont en uniforme: rangers et pantalon noirs, blouson assorti et gilet sans manche orné du blason rouge et blanc de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület. Ils ont entre 20 et 40 ans ; tous habitent le village.

Parmi eux, une femme blonde, 1m80, des yeux bleus, assez belle: Ludànyi Miléna, 39 ans. Elle s’avance vers moi. Je lui dis que je suis journaliste et lui demande ce qu’ils font, elle m’envoie balader : «Adressez-vous à notre service de presse.» Je lui réponds «Oui oui, bien sûr» et lui repose la même question, en montrant que je n’enregistre pas. Elle me dit qu’ils n’ont rien contre les Roms, mais qu’ils luttent contre la criminalité.

Elle me parle de sa grand-mère, qui a 81 ans. Elle habite à côté, à 50 mètres du quartier rom, et s’est fait cambrioler trois fois ces dernières années. Elle sonne à une porte, fait sortir son aïeule de la maison, une très vieille dame, qui marche avec difficulté. Milena a les larmes aux yeux, comme ces mères Roms qui tout à l’heure me racontaient leur angoisse des semaines passées. Malheureusement, elle doit partir.

Je poursuis l’interview le lendemain, par téléphone : «Les Roms volent tout ce qu’il y a dans le jardin de ma grand-mère. Elle est faible, désarmée. Elle a peur pour sa vie. Que va-t-il se passer si des cambrioleurs la poussent ?» Elle poursuit : « Ils piquent tout, les fils électriques, les tuiles, les poutres… » Gyöngyöspata est entouré de vignobles. «Avant, il y avait 60 caves», m’explique-t-elle. «Maintenant il n’en reste plus que 4, à cause des vols.» Milena va voir la sienne toutes les semaines pour réparer ce qui a été endommagé, par principe. Elle est excédée :

Les Roms sont jour et nuit dans la rue, car ils ne travaillent pas. Au lieu de dire bonjour, ils crient « Suce ma bite », même aux vieilles dames.

Alors, comme 30 autres habitants du village, Milena s’est portée volontaire pour patrouiller dans l’antenne locale de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület. Chez les non-Roms, la milice est massivement soutenue. Plus de 1 000 habitants ont signé une pétition en sa faveur. Elle est venue combler un manque évident de moyens de la part de l’Etat.

Oszkár Juhász, représentant local du Jobbik et candidat malheureux aux dernières municipales, se félicite de l’opération qui vient de s’achever : «Avant l’arrivée des miliciens, il n’y avait qu’un policier dans la ville. Désormais, il y en a deux en permanence. » Pour lui comme pour son mouvement, le coup est réussi. Le Jobbik passe pour le sauveur des Hongrois ruraux harcelés par les Roms et négligés par les grands partis de Budapest. A leurs yeux, l’action est un modèle à reproduire ailleurs, quitte à embraser les campagnes. Leur leader, Gábor Vona, a prévenu :

Gyöngyöspata est un exemple pour le futur.

Prochaine cible pour eux, prochaine destination pour moi : Hajdúhadháza.


Photos: Stéphane Loignon et Une de Loguy en CC pour OWNI

Retrouvez la suite de la série du reportage en Hongrie : [3]Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza et [4] Hongrie: Tiszavasvari, laboratoire de l’extrême droite

Illustrations Flickr CC Dumplife

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