OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Chili: les 33 mineurs oubliés de l’Atacama http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/ http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/#comments Fri, 20 May 2011 06:31:41 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/?p=62868 L’hiver arrive au Chili. Mais au nord, le soleil ne plie pas.

Nous survolons le désert d’Atacama, grand comme un tiers de la France, dans le nord du Chili.

Les montagnes cuivrées sont, sur certains sommets, tachées de poudre blanche. De loin, elles font penser à de la neige. Ce sont en fait les traces du nitrate et du salpêtre jadis extraits de cette riche étendue, vaste réserve d’or et de cuivre. Les tapis de fleurs roses et charnues d’octobre ont disparu. L’Atacama est un des déserts les plus arides au monde, cette floraison, exceptionnelle, n’a lieu qu’une fois tous les dix ans.

En plein coeur du désert, on s’arrête à Copiapo. Une ville de 130 000 habitants, discrète et sans grand intérêt touristique, une fois qu’on a fait le tour de la Plaza Prat. La place centrale est bordée de bancs, jardins et cafés, où s’échangent des rumeurs les plus folles.

C’est dans cette ville minière qu’habitent la plupart des trente-trois mineurs qui, le 5 août 2010, avaient été pris au piège à 700 mètres au fond d’une mine d’or et de cuivre, à cinquante kilomètres de Copiapo. L’histoire des « 33 » de la mine San José, qui ont réussi à survivre dix semaines dans cette prison souterraine, avait pris des allures de télé réalité.

Depuis longtemps le Chili n’avait suscité un tel intérêt.

La libération, sous l’oeil d’un milliard de téléspectateurs

Le monde redécouvrait ce pays tout en longueur, le plus grand producteur de cuivre au monde (près de 70 millions de dollars de cuivre exportés chaque jour), dont on ne parlait guère depuis l’arrestation, à Londres, du général-dictateur Augusto Pinochet, en 1998.

Le président de centre-droit Sebastian Pinera, une sorte de Berlusconi sud-américain en moins exalté, s’était emparé du drame. Une occasion formidable, alors que sa cote de popularité baissait, de se construire une nouvelle image. Celle du bon samaritain proche du peuple.

Au mois d’octobre 2010, les hôtels de Copiapo étaient pleins à craquer. Plus de deux mille journalistes avaient été accrédités. Des dizaines de milliers d’articles, d’autres milliers de journaux télévisés réalisés dans le monde entier. Comme le relève le journaliste Jonathan Franklin :

Deux mois après l’éboulement catastrophique, le nombre de visites sur Google pour « Chiliens » et « mineurs » atteint les 21 millions.

Les abords de la mine s’étaient transformés en gigantesque salle de presse à ciel ouvert.

Le camp bariolé à la surface de la mine, où patientaient familles et journalistes, avait été rebaptisé le « camp de l’Espoir ». Drapeaux, ballons, guirlandes, ex-voto, caméras, tentes, enfants, mineurs, cheval, gardes civiles, camions, antennes, clowns, soleil, poussière, et en-dessous, les 33 mineurs dans la nuit de la terre. L’oeil du monde scrutait chaque nouvelle venue des profondeurs.

Le 12 octobre, enfin, sous les yeux de plus d’un milliard de téléspectateurs, les mineurs étaient extraits de l’enfer, un à un, à bord d’une étroite capsule, baptisée « Phénix ». Puis ce fut la gloire, les feux des projecteurs, les interviews rémunérées, les voyages organisés. Six mois ont passé, la vague médiatique est retombée. Mais que sont devenus les 33 mineurs chiliens? Et les 300 autres mineurs de San José?

La tournée mondiale d’Edison, fan d’Elvis

Lorsque nous arrivons à Copiapo, mi-avril 2011, le barnum est parti. Plus un journaliste à l’horizon. Seul un confrère chilien continue de suivre les pérégrinations des 33.

Dix heures du matin, le soleil déjà, envahit le bitume. Nous marchons vers le centre-ville. Mais sur la route, une inscription taguée sur le mur d’une maison bleue azure nous arrête.

Fuerza Edison, tu familia de espera, arriba los mineros

(« Courage Edison, ta famille t’attend, vive les mineurs »)

C’est la maison d’Edison Pena ! Edison est une des figures des 33 : fan d’Elvis Presley, il avait aussi parcouru le marathon de New-York, quelques semaines après sa sortie de terre.

La maison d'Edison Pena, le mineur marathonien

En short et baskets, les cheveux taillés en hérisson, Edison ouvre la porte. « Entrez, c’est par là ! » Il semble surexcité. Il a toujours été un peu fou. On entre dans une cour à peine aménagée. Une table, des chaises, et un banc dans un coin. « Asseyez-vous là ! Vous voulez boire quelque chose ? Une bière ? » Edison s’en va, et réapparaît quelques secondes plus tard, une Corona à la main. Les mains et les jambes tremblantes, raconte une « histoire de dingue » : son dernier voyage, au Japon. « C’était drôle, personne ne parlait espagnol, il n’y avait pas d’interprète ! Je ne comprenais rien ! ». Ses genoux s’entrechoquent sans arrêt. Edison se lève subitement, et se lance dans un exercice de mime, en riant.

La première fois que je suis allé aux toilettes, j’ai cherché le papier pendant des heures ! Vous vous rendez compte, ils n’ont pas de papier ! Il y avait des tas de boutons partout… j’ai appuyé sur tous les boutons en même temps, et je me suis pris plein de jets d’eau sur les fesses !

A nouveau, Edison s’en va. Il réapparaît cette fois avec une paire de chaussons en tissu bleu. Il rit encore. « Ils portent ça les Japonais ! » Et il enfile ses drôles de chaussures neuves. « Allez, on y va ! » Edison veut aller en banlieue de Copiapo, dans une cabane en bois où des amis à lui jouent aux cartes et boient des bières. Il veut qu’on le filme là-bas, en train de raconter ses deux mois d’enfermement dans la mine San José. « Avec ce film, je serais riche ! »

A ce moment là, Angelica, sa femme, arrive. La jolie brune de quarante printemps, nous salue, souriante, mais aussi inquiète. « Il est hors de question que tu ailles là-bas sans moi! ». Le couple se chamaille quelques minutes, puis Angelica soupire, se sert un coca-cola, et raconte l’horreur que furent les voyages organisés. Le Japon, l’Angleterre, Israël, les Etats-unis.

J’ai accompagné Edison quasiment partout, on m’a complètement méprisée. Ce que j’ai vécu, l’enfer d’attendre dans l’incertitude si mon mari était vivant, puis les deux mois d’angoisse passés sur le « camp de l’Espoir » avec les autres familles… tout ça, à l’étranger, les journalistes s’en fichaient ! La seule chose qui les intéressait, c’était de décrocher des interviews des 33.

Courage Edison, ta famille t

Mais ces voyages n’ont-ils pas été une parenthèse de rêve, avec rémunération à la clef ? Mario Gomez, le plus âgé des 33, fait le même constat qu’Angelica:

J’ai très peu voyagé : pendant plusieurs mois, mon passeport n’était pas à jour ! Cela dit, dès que j’ai pu, je suis parti. Mais ces voyages orchestrés par le gouvernement ne nous ont pas rapporté un kopeck. Les quatre mineurs partis en Chine, en novembre, ont bien été payés : 20 000 dollars par personne. Mais c’était l’argent des entreprises minières chinoises, dont ils venaient faire la promotion ! Notre dernière virée, aux Etats-unis, était humiliante. Nous n’avions pas d’argent, mais des bons quotidiens équivalent à 20 dollars par jour. On nous servait des sandwichs qu’on mangeait recroquevillés sur des tables basses. Nous n’étions plus les héros de San José, mais des ouvriers en vacances organisées chez les yankees.

Le regard subitement vide, Mario répètera trois fois : « C’était une humiliation ».

« Il va très mal, il se drogue »

Retour chez Edison. On entend des enfants jouer dans la maison. Une petite fille s’avance doucement. Najita a quatre ans, elle s’agrippe à la robe de sa mère. Angelica lui caresse le visage, puis annonce, le regard perdu : « C’est Dieu qui a voulu qu’ils continuent à vivre ». Et Edison s’en va.

Subitement, Angelica se redresse sur son siège. « Il va très mal. Je vis un enfer depuis qu’il est sorti de la mine. Il passe son temps à boire avec copains. Le pire, c’est quand il part à Santiago, il paie des tournées générales. Regardez-moi ces factures ! » Elle déroule une série de tickets. 200 000 pesos, 400 000, encore 200 000…

Et il se drogue. Déjà en soi c’est très mauvais, mais en plus, il est sous médicaments, à cause de ses troubles psychologiques.

D’après plusieurs mineurs, Edison se droguait déjà avant l’accident.

Le pire, c’est qu’il est imprévisible. Parfois, Edison part sans me prévenir. Il peut se passer plusieurs jours sans que je sache où il est.

Le lendemain, on devait se revoir pour le tournage. Mais Edison est furieux. Il vient de se disputer avec Angelica. « Elle est insupportable, elle ne me fait aucune confiance ! Et en plus elle boit ! Il y a du rhum dans ses verres de Coca-cola ». Le film-fortune, ce sera pour une autre fois.

La plupart des 33 ont les mêmes troubles qu’Edison. Déprime, besoin de solitude, alcool, difficulté à trouver le sommeil.

Victor Zamora, 35 ans, le poète du groupe, a mis longtemps avant d’accepter les baisers de ses enfants et les caresses de sa femme. « J’avais un besoin énorme de solitude, je ne supportais plus qu’on me touche ». Il a du mal à occuper son temps libre : « Je m’ennuie… heureusement, il y a ma fille qui me distrait ! Elle est enceinte ».

Samedi soir, José Ojeda, 46 ans, un gaillard de petite taille, d’une gentillesse singulière, est resté chez lui avec sa nièce. Comme la moitié des 33, il est toujours sous ordonnance médicale. José regarde la télévision en buvant des bières.

Ma femme n’est pas là, elle s’est réfugiée chez ses parents pour quelque temps. Ce n’est pas facile pour elle, ça fait six mois que je dors dans le salon, sur le carrelage. Le lit, je ne peux plus ! Je ne dors que trois-quatre heures par nuit. Pour me calmer, je bouffe des tablettes entières de comprimés tous les jours, et je bois des bières. Parfois, je ne mange pas pendant trois jours.

José se met à pleurer. « Ca fait six mois, mais je n’arrive pas à m’en sortir. Pourtant, je vois un psychologue trois fois par semaine ».

Il se reprend rapidement. « Pardonnez-moi ! Un mineur, ça ne pleure pas ! ».

Photo Anaëlle Verzaux et CC Secretaria de Communicaciones.

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La nationalisation bâclée qui a tué les mines zambiennes http://owni.fr/2011/04/12/mines-zambie-archetype-mondial-d%e2%80%99une-mauvaise-gestion-cuivre/ http://owni.fr/2011/04/12/mines-zambie-archetype-mondial-d%e2%80%99une-mauvaise-gestion-cuivre/#comments Tue, 12 Apr 2011 13:48:55 +0000 David Mwanambuyu http://owni.fr/?p=56529 La Zambie est l’archétype mondial d’une mauvaise gestion des exploitations minières. L’échec du programme de nationalisation de ce pays devrait inciter les admirateurs de Julius Melama, le président de l’ANC Youth League (ANCYL) [en], à mettre en sourdine leur rhétorique virulente et à écouter ce qu’ils ne veulent pas entendre : la nationalisation des mines d’Afrique du Sud pourrait causer la faillite des entreprises publiques. La question la plus importante est la suivante : qui va gérer et sera responsable de ces mines une fois qu’elles seront passées sous le contrôle de l’Etat ? Comment l’Etat va-t-il juguler la fuite des talents et des capitaux après la nationalisation ?

Alors qu’une délégation de l’ANCYL a entrepris une visite au Vénézuela pour se faire une idée du programme de nationalisation de Chavez, il est hallucinant qu’ils n’aient pas fait un voyage moins long à travers le Limpopo pour tirer des leçons de l’expérience malheureuse de la Zambie dans la gestion de ses mines de cuivre. Les mines de Zambie ont été re-privatisées au terme d’un long processus et la mine de cuivre de Luanshya a été la première à être adjugée aux enchères en 1997.

Environ une décennie après l’indépendance de l’ancienne colonie britannique, le cuivre était devenu le poumon de la Zambie. L’auto-destruction de la Zambie était programmée en 1970 après les réformes économiques de Mulungushi qui ont fait le lit d’un plus grand interventionnisme de l’État en matière économique via la déclaration Matero. Résultat, le gouvernement du docteur Kenneth Kaounda a déclaré son intention d’acquérir une participation de 51 % ou plus dans un certain nombres d’entreprises clés dirigées par des étrangers dans ce pays d’Afrique australe.

Des contrats de marketing et de management ont été proposés aux anciens propriétaires des mines – une disposition qui a duré jusqu’en 1974 date à laquelle le gouvernement a mis fin à ces accords. En remplacement, le gouvernement a désigné pour la première fois des directeurs généraux zambiens, David Phiri et Wilson Chakulya, qui ont pris respectivement la tête de Roan Consolidated Mines (RCM) et de Nchaga Consolidated Copper Mines (NCCM). L’effet de ces réformes économiques a été plus vaste et profond dans le secteur clé des mines. Le pays est le 11e plus important producteur de cuivre au monde, plus de deux milliards de tonnes de cuivre restent encore à exploiter.

En 1964, c’était le troisième plus gros producteur dans le monde. Il exportait alors plus de 700 000 tonnes par an et faisait partie des pays les plus prospères d’Afrique selon le Consultancy Africa Intelligence (CAI) [en]. L’extrême dépendance de la Zambie au cuivre est parfaitement illustrée par les statistiques : le cuivre contribue à 40 % du PIB de la Zambie et représente 95 % des exportations du pays. Environ 62 % des recettes fiscales du gouvernement proviennent du commerce du cuivre. En 30 ans, la production de cuivre a diminué régulièrement pour passer de 700 600 tonnes à 226 192 tonnes en 2000.

Le déclin était un résultat de la mauvaise gestion de la mine d’État par la Zambia Consolidated Copper Mines (ZCCM) [en] et du cruel manque d’investissements. Les autres facteurs sont la baisse du prix du cuivre sur les marchés mondiaux des matières premières et l’incapacité de la Zambie à augmenter son capital ainsi que son incompétence à gérer ces mines. La situation s’est détériorée quand le gouvernement est devenu actionnaire majoritaire des deux grandes sociétés sous contrôle étranger – l’Anglo-American et le Rhodesia Selection Trust (RST) respectivement devenus le NCCM et le RCM.

Le délabrement des mines s’est accéléré en 1982 quand le NCCM et le RCM ont fusionné pour former le ZCCM avec Francis Kaunda (aucun lien avec le président) devenu PDG. Il a occupé cette position jusqu’en 1991, quand il a été relevé de ses fonctions par le nouveau gouvernement à la suite de la défaite du Dr Kaunda à la première élection présidentielle multipartite.

Les erreurs stratégiques

Liepollo Lebohang Pheko, directrice des programmes et du plaidoyer au Trade Collective, pense que la nationalisation des mines de Zambie n’était pas mauvaise en elle-même, mais elle souligne aussi que les réformes économiques de Mulungushi qui ont fait le lit de l’intervention étatique dans l’économie, manquaient de soutien.

La nationalisation a permis à l’État de contrôler 80 % de l’économie via des structures paraétatiques engagées dans les mines, l’énergie, le transport, le tourisme, la finance, l’agriculture, le commerce, l’industrie et la construction, affirme-t-elle.

L’État est devenu le moteur de la croissance, mais le défi était d’équilibrer ce phénomène avec des impératifs au niveau mondial, avec des ambitions de développement et même avec les effets du régime de l’Apartheid qui a cherché à déstabiliser les économies des Frontline States [en], un groupe d’États d’Afrique australe – fer de lance du soutien à l’ANC – que la Zambie a présidé.

“Peut-être que ce qui a manqué aux réformes était un plan d’urgence” soutient Liepollo Pheko. Elle énumère les raisons de l’échec de la Zambie de la façon suivante : les industries d’importation de substituts se sont avérées inefficaces et non compétitives à cause de coûts de production élevés, d’un fort monopole sur les prix, de dépendance vis-à-vis des subventions du gouvernement, d’un manque de dynamisme technologique et d’une sous-utilisation de la capacité de production et de travail.

L. Pheko soutient aussi que l’Industrial Development Corporation (INDECO) [en] n’a pas réussi à réduire la dépendance à l’égard des contributions extérieures. L’INDECO a aussi échoué à créer des emplois en raisons des coûts élevés des machines de production, et du recrutement exclusivement effectué sur un petit marché urbain au mépris de la majorité pauvre des zones rurales. L. Pheko, née en Zambie, affirme qu’il faut bien noter que l’INDECO elle-même a échoué à passer de la production de biens de consommation non-durables à des biens durables et des biens d’équipement. Quatrièmement, la négligence volontaire de l’agriculture et les zones rurales entraînait une dépendance accrue envers l’industrie minière du cuivre.

Le cinquième élément est le parti pris contre les exportations et les restrictions d’importation qui ont abouti à de plus hauts taux de change et ont diminué les gains des exportations. Sixièmement, le soutien de la Zambie aux mouvement de libération d’Afrique australe (notamment l’ANC) et la fermeture de la frontière à la suite de la Déclaration Unilatérale d’Indépendance de la Rhodésie, ont gravement atteint la mise en place de plans de développement, alors même que des routes alternatives d’exportation devaient être construites, notamment la voie ferrée Tanzanie-Zambie.

Il apparaît qu’il y a eu une forte corrélation entre le déclin des revenus du cuivre et l’appétit du gouvernement à emprunter à l’étranger afin de maintenir sa capacité d’importation pour la consommation et l’investissement : lorsque le cuivre et les prix à la production ont fortement chuté au début des années 1980, la dette extérieure annuelle de la Zambie a triplé (à prix constant), alors que les taux d’intérêt augmentaient dans le monde, explique L. Pheko.

Mauvaise gestion de l’ensemble de l’économie

Les politiques économiques libérales, l’assistance étrangère et la démocratisation n’ont pas incité à un assainissement de l’économie, au développement durable et à la réduction de la pauvreté. L. Pheko rappelle que le problème de la rareté des talents ne concernait pas uniquement les mines, mais était un problème structurel, affectant l’agriculture, l’industrie et d’autres secteurs. L’industrie s’est également effondrée à cause d’une part de la mauvaise gestion des privatisations et d’autre part de la concurrence des fabricants du Zimbabwe et d’Afrique du Sud.

La libéralisation s’est accompagnée de corruption qui a aussi miné les performances économiques. La corruption a pénétré toutes les institutions du gouvernement, estime L. Pheko.

La décision de reprivatiser le ZCCM est apparue comme l’un des volets du Programme de Réforme Structurelle. C’était devenu inévitable, comme l’avait lui-même reconnu le précédent gouvernement. Mais l’idée du régime de Kaunda consistait à permettre au ZCCM restructuré de continuer à opérer en tant qu’entreprise d’État, en étant associée aux entreprises privées qui devaient obtenir l’autorisation de mener des nouvelles prospections et exploitations minières.

Certains partisans appellent de leurs vœux un modèle similaire en Afrique du Sud, plutôt qu’une nationalisation générale des mines. La compagnie minière publique (l’African Exploration Mining and Finance Corporation) pourrait jouer ce rôle. Le principe est comparable au modèle chilien. L’État y dirige le géant de l’exploitation minière Codelco (Corporación Nacional del Cobre de Chile), et l’exploitation de nouvelles mines de cuivre est accordée à des investisseurs privés.

Sans une réorientation de l’exploitation minière vers une industrialisation orientée vers l’exportation, la politique de substitution de l’importation et de libéralisation de l’économie ne s’est pas avérée favorable au développement économique. Résultat, la Zambie est devenue l’un des pays les plus pauvres du monde et souffre d’un déclin économique, sans grands espoirs de rétablissement.

L. Pheko l’explique :

En Afrique, nous avons tiré de nombreuses leçons des défis de la nationalisation: les expériences de la Zambie, de l’Ouganda ou du Congo nous indiquent que l’État n’est pas toujours à la hauteur de l’industrie minière, où les mines les plus profondes et les plus complexes nécessitent le plus grand degré d’expertise en ingénierie, management, marketing et maintenance.

Myopie politique ou ignorance économique?

À son indépendance, l’économie zambienne était dépendante des mines de cuivre, qui représentaient à l’époque 90% des exportations. Les dirigeants du pays se sont dévoués à la promotion du développement économique et la restructuration de l’économie.

On peut considérer que les taux de croissance ont été convenables dans les années 60 et au début des années 70, principalement grâce à une importante production de cuivre, à des prix élevés, et à une augmentation de la production de l’industrie et du maïs, en plus d’une augmentation du nombre des équipements sociaux et sanitaires, d’après L. Pheko.

Cependant, le programme de nationalisation en général et la substitution aux importations en particulier, se sont avérés très coûteux. La Zambie n’a pas réussi à diversifier son économie, et la substitution de l’importation s’est avéré défavorable, entrainant le déclin économique.

La boîte de Pandore

Le déclin des prix du cuivre depuis 1974 a contribué à la ruine de la Zambie. Conséquence : une diminution des dépenses du gouvernement pour le développement – y compris de l’industrialisation par substitution aux exportations – une incapacité à importer des biens, des problèmes de balance des paiements, et l’impossibilité de rembourser la dette extérieure.

D’après L. Pheko, le fait que le gouvernement n’ait pas épargné quand les prix du cuivre étaient élevés – pour amortir les chutes probables des prix – a fait empirer la situation économique. Le gouvernement a préféré augmenter ses dépenses sociales et de santé, importer des articles de luxe, aider le secteur semi-public et les entreprises privées et enfin, indemniser largement les travailleurs, en particulier les mineurs. Par ailleurs, l’importante intervention de l’État a renforcé la bureaucratie, la corruption et l’incertitude et découragé le secteur privé et les initiatives étrangères.

La faible performance économique de la Zambie depuis 1991 peut être attribuée à deux autres facteurs: d’une part, l’élite politique n’a pas su mettre en place des stratégies de développement bien définies sur le long terme. Ils n’avaient qu’une vision à court-terme en vue du renversement du gouvernement de Kaunda. D’autre part, la dépendance excessive envers le Fonds Monétaire International et les prescriptions économiques de la Banque Mondiale ont réduit la capacité de l’État à développer son économie.

Conclusion

D’après le CAI, le programme de nationalisation de la Zambie a été inopportun, compte tenu de la crise pétrolière et du déclin des prix du cuivre qui ont entrainé une grave crise de la dette. Le phénomène a été exacerbé par une centralisation de l’économie, qui a provoqué une dépendance accrue au cuivre et un grave déclin économique.

Le fait d’investir dans des secteurs non favorables, au lieu d’investir dans le secteur minier et d’ouvrir de nouvelles mines a conduit à une augmentation des coûts de production. L’exploitation des mines existantes est devenue beaucoup plus onéreuse, conduisant la Zambie à la nationalisation de son secteur minier et à un échec lamentable. Le seul moyen de rectifier la situation était de privatiser l’industrie et d’attirer des investissements étrangers.

Le CAI estime que la Zambie n’a pas beaucoup bénéficié de l’engagement international (privatisation) dans le secteur du cuivre. La plupart des bénéfices potentiels existants se sont transformés en impacts négatifs. La réduction des revenus du gouvernement liés aux taxes sur les mines de cuivre et les redevances notamment, et la précarisation du travail, compte tenu du nombre de Zambiens employés à court terme et de l’arrivée massive de travailleurs chinois dans les mines chinoises; ainsi que les problèmes de sécurité des mines qui ont mené à la mort de 49 mineurs dans une explosion en 2005.

Le CAI conclut que le gouvernement zambien devrait réévaluer sa politique minière ainsi que sa législation, afin d’engranger un maximum de bénéfices en provenance de l’industrie du cuivre et de créer un environnement favorable à la population.



Traduction : Hélène David, Pierre Alonso

Article initialement publié en anglais sur Leadership, sous le titre Bitter Lessons for South Africa

Crédits Images : carte U.S. Government Wikimedia Commons // FlickR CC mm-j / Hypocentre

Image de Une par Elsa Secco @Owni /-)

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Le prix de transfert, une arnaque légale parDavid Servenay [EN : Abuse of the transfer price, a scandal in Zambia]

Cinq ONG accusent Glencore et First Quantum de frauder le Fisc zambien par Federica Cocco [EN : NGOs report mining giants Glencore and Quantum alleging fiscal crime in Zambia]

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Cinq ONG accusent Glencore et First Quantum de frauder le fisc zambien http://owni.fr/2011/04/12/zambie-mines-ong-glencore-first-quantum/ http://owni.fr/2011/04/12/zambie-mines-ong-glencore-first-quantum/#comments Tue, 12 Apr 2011 12:28:48 +0000 Federica Cocco http://owni.fr/?p=56409 En 2009, des fonctionnaires de l’Autorité fiscale zambienne ont décidé de mandater des auditeurs de Grant Thornton et Econ Poyri pour examiner, avec le soutien du gouvernement norvégien, les impôts provenant de l’industrie minière, plus importante source de revenus du pays, indépendant depuis 1964.

Cinq ONG (la française Sherpa, la zambienne Center for Trade Policy and Development, la suisse Déclaration de Berne et les canadiennes l’Entraide Missionnaire et Mining Watch) se sont procurées ce rapport confidentiel. Sur cette base, elles ont déposé ce mardi 12 avril une procédure de circonstance spécifique devant les Points de contrôle nationaux suisse et canadien de l’OCDE. Une procédure pour violation des principes directeurs de l’OCDE, qui vise les sociétés Glencore International et First Quantum Minerals.

7 600 mineurs sur quatre sites

La Zambie reste aujourd’hui le 25ème pays le plus pauvre du monde, avec une espérance de vie de tout juste 47 ans. Les responsables de l’Institut zambien des experts comptables (ZICA) ont relevé de nombreuses anomalies dans le comportement de la plus grosse entreprise minière du pays, les mines de cuivre de Mopani.

Mopani a été acheté par Glencore en 2000. Elle emploie 7 600 mineurs travaillant dans quatre mines souterraines: un concentrateur et une usine de cobalt dans la ville de Kitwe, une mine, un concentrateur et une raffinerie à Mufulira. Depuis sa privatisation, Mopani est devenue la seconde entreprise minière du pays.

Après un an de recherche, les auditeurs ont acquis quelques certitudes, publiées dans un rapport préliminaire en novembre 2010. Mopani, écrivent-ils, est coupable d’avoir commis de nombreuses violations des principes directeurs de l’OCDE, en particulier par la manipulation de ses balances comptables sur la productivité et les coûts de production. Des manœuvres qui passent notamment par la falsification des cours de vente du cuivre, afin d’éviter d’avoir à s’acquitter des impôts sur les bénéfices réalisés en Zambie ( en vertu du principe connu de libre concurrence).

Des ventes à 25% du cours officiel

En réalité, les auditeurs ont révélé que Mopani détournait les prix de transfert en vendant parfois à maison-mère Glencore du cuivre à 25% du prix officiel défini à la bourse des métaux de Londres, l’entreprise évitant ainsi de régler 75% d’impôts sur les ventes à terme, défini par un accord interne.

Lorsque le ministre des Finances et du développement économique, le Docteur Situmbeko Musokotwane , reçu le rapport, il ne réagit pas. En fait, ce qui aurait dû déclencher la colère du gouvernement fut accueilli par un silence intersidéral. Pas plus tard qu’en février 2011, un responsable de la ZICA affirma à l’agence Bloomberg que la « licence de Mopani pourrait être suspendue », mais aucune action ne fut entreprise, sans parler de la presse d’État qui s’abstint d’évoquer l’affaire.

De nombreux blogueurs ont reçu des menaces après avoir évoqué le sujet sur leur blog personnel. D’après Gershom Ndhlovu de Global Voices Online, un blogueur nommé Chola Mukanga « fut forcé de retirer le rapport intégral de son site, car apparemment il reçut des menaces de la part de messagers du gouvernement ».

Difficile désormais d’étouffer l’affaire. Depuis son indépendance, l’économie zambienne s’est beaucoup appuyée sur l’industrie du cuivre. D’après les chiffres de la Banque centrale, ce secteur génère 70% de ses recettes à l’export, et ce malgré le fait qu’il ne représente que 10 à 15% des rentrées fiscales du pays. Selon le rapport d’audit, la plupart de ces rentrées fiscales sont dues à la contribution des mineurs eux-mêmes. Les entreprises paient moins d’impôts que leurs salariés, atteignant tout juste 4% de l’ensemble.

Un prêt de 48 millions d’euros de la BEI

Ces révélations sont d’autant plus gênantes que Mopani a bénéficié en février 2005 d’un prêt de 48 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour développer ses activités et contribuer ainsi au développement de la région. Depuis, la générosité du gouvernement zambien n’a pas connu de limites, devenant un véritable paradis fiscal pour l’industrie extractive. Alors qu’au moment de la crise financière, le pays composa avec la chute des cours du cuivre en annulant une taxe exceptionnelle, la remontée des cours ne provoqua aucun mouvement contraire.

Compte tenu de la bienveillance du gouvernement, il est surprenant de constater que les critiques sur cette gestion viennent directement du PDG de Mopani, Emmanual Mutati. Dans ce qui ressemble à une contre-attaque aux premières informations apparues dès la publication du rapport d’audit dans la presse, Mutati a souligné l’absence de sécurité sociale et d’infrastructures publiques, sous-entendant que le gouvernement n’utilisaient pas efficacement ses ressources. Les propos suivants lui furent attribués :

Il est impératif que le gouvernement prenne à sa charge, avec les entreprises minières, l’amélioration des conditions de vie des gens.

Malgré le rapport, M. Mutati affirma que la société n’avait pas débloqué de dividende pour ses actionnaires parce qu’elle voulait réinvestir ses profits afin d’améliorer sa production de métal dans plusieurs unités en Zambie. Il précisa que ces investissements lourds avaient pour objectif d’assurer l’avenir de l’entreprise pour les 25 prochaines années, une stratégie plus pertinente selon lui que de débloquer des dividendes.

Il se défendit également contre les conclusions du rapport, arguant que ces opérations de recapitalisation avaient aussi pour but d’assurer de nouvelles créations d’emploi. De là, la nécessité que le gouvernement assure en retour que « la collecte des impôts se fasse au profit de l’amélioration des conditions de vie des gens, de façon à profiter de la présence des entreprises minières ».

Violations des principes de l’OCDE

Un argumentaire qui ne pèse pas lourd au vue des infractions dont Glencore s’est rendu coupable vis-à-vis des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales [PDF].

Politiques générales (II)

Les entreprises devraient tenir pleinement compte des politiques établies dans le pays dans lequel elles opèrent, et de tenir compte des opinions des autres parties prenantes. À cet égard, les entreprises devraient:

1. Contribuer aux progrès économiques, sociaux et environnementaux en vue de la réalisation du développement durable. [...]

5. S’abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non prévues dans le cadre législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, incitations à la sécurité, le travail, la fiscalité ou d’autres questions.

6. Appuyer et faire observer des principes de bonne gouvernance d’entreprise et de développer et appliquer de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise.

Fiscalité (X)

Il est important que les entreprises contribuent aux finances publiques de l’hôte pays en effectuant un paiement en temps voulu de leurs obligations fiscales. En particulier, les entreprises devraient se conformer aux lois et règlements fiscaux dans tous les pays où elles opèrent et déployer tous leurs efforts pour agir en conformité avec à la fois la lettre et l’esprit de ces lois et règlements. Il s’agirait notamment des mesures telles que la fourniture aux autorités compétentes des informations nécessaires à la détermination correcte des impôts, qui doit être appréciée dans le cadre de leurs activités et avec des pratiques conformes aux prix de transfert reposant sur le principe de libre concurrence.

En d’autres termes, Mopani a utilisé des produits dérivés pour rapatrier ses profits de Zambie. Le résultat, suggère le rapport, fut de diminuer de plusieurs centaines de millions de dollars ses revenus sur la période 2003-2008.

La coalition des ONG réclame maintenant que les Points nationaux de contact suisse et canadien qualifient ces agissements de violations des principes de l’OCDE, afin de contraindre les deux géants miniers à rembourser les impôts dus à l’Autorité fiscale zambienne.

Les traces de Glencore dans l’Irak de Saddam Hussein et en Angola

En tant que l’un des plus gros traders de matières premières au monde, Glencore est peut-être habitué à opérer dans un climat de complète impunité. Le groupe a été impliqué dans nombre de scandales, du trafic d’armes avec l’Iran au scandale Pétrole contre nourriture de l’Irak de Saddam Hussein, en passant par l’URSS, le régime de l’Apartheid sud-africain et celui de la guerre civile en Angola. L’entreprise a aussi été couronnée du Public Eye Award de la société la plus irresponsable, à égalité avec Areva.

La société fut d’abord dirigé par le trader Marc Rich, un homme familier des procédures d’évasion fiscale, poursuivi dans son propre pays, les USA. Il a figuré sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par le FBI, jusqu’à ce que le président Clinton lui accorde sa grâce, le jour de son départ de la Maison Blanche, en 2000.

Le gouvernement zambien est habitué à ce genre de comportement, sachant pertinemment le poids que la société représente dans une économie fragile. Il y a deux ans, Glencore a menacé le gouvernement d’arrêter l’exploitation de deux mines de cuivre si les prix d’achat n’étaient pas relevé au prix de 5 500$ la tonne.

Ces dernières années, il apparaît clairement que l’évasion fiscale -et non la corruption ou la criminalité- est bien à l’origine du sous-développement, en alourdissant la dette des pays soi-disant sous-développés.

Global Financial Integrity a estimé que le phénomène pourraient représenter, ces dernières décennies, une perte nette de 400 à 440 milliards pour les économies du Sud.


Crédit photo : FlickR CC BreadBreaker ; Tommy Miles ; mm-j.

Image de Une par Elsa Secco @Owni /-)

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Le prix de transfert, une arnaque légale par David Servenay [EN : Abuse of the transfer price, a scandal in Zambia]

La nationalisation bâclée des mines zambiennes par David Mwanambuyu

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