OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pas si intéressants, les secrets de WikiLeaks sur l’Irak http://owni.fr/2011/04/24/pas-si-interessants-les-secrets-de-wikileaks-sur-lirak/ http://owni.fr/2011/04/24/pas-si-interessants-les-secrets-de-wikileaks-sur-lirak/#comments Sun, 24 Apr 2011 08:30:13 +0000 Anneke van Ammelrooy http://owni.fr/?p=58752

Article initialement publié sur European Journalism Centre sous le titre “The uninteresting Baghdad secret of WikiLeaks” et repéré par OWNI.eu

Tous les liens de cet article sont en anglais.

“Qu’est-ce que WikiLeaks a finalement sorti ?” demande le magazine néerlandais Villamedia dans un article en mars dernier. Deux mois après que trois médias des Pays-Bas ont obtenu les télégrammes de l’ambassade américaine à La Haye, la réponse est décevante : pas tant que ça en réalité, six scoops au total.

En Irak non plus, WikiLeaks n’est finalement pas le grand révélateur qu’il prétendait être. D’immenses attentes étaient apparues quand WikiLeaks avaient annoncé que le sujet le plus important des 250.000 télégrammes diplomatiques qui ont fuité était la guerre en Irak. Moi-même webmaster d’un journal irakien, je m’imaginais déjà croulant sous des montagnes d’informations secrètes. WikiLeaks revendiquait détenir plus de 6.600 télégrammes de l’ambassade américaine à Bagdad et prétendait que plus de 9.000 télégrammes d’autres capitales évoquaient la guerre en Irak.

Ambassade américaine à Bagdad

Les espoirs ont bientôt été anéantis quand l’accès à l’ensemble des données n’a été donné qu’à deux journaux, le New York Times et le Guardian. D’autres journaux occidentaux y ont ensuite eu accès mais ils devaient remplir une série de conditions, fournir le CV des journalistes qui traiteraient le contenu par exemple. La chaine de télévision néerlandaise RTL Nieuws et le quotidien NRC ont ainsi obtenu les télégrammes du quotidien norvégien Aftenposten qui avait reçu l’ensemble des télégrammes d’une source encore floue.

WikiLeaks n’a publié gratuitement que 24 télégrammes de Bagdad. Le nombre est maintenant, en avril 2011, de 32, ce qui reste dérisoire ! Notre journal en Irak est en difficulté parce qu’il ne peut pas acheter le reste des documents, en tout cas pas de WikiLeaks, et Aftenpost a catégoriquement refusé de partager les télégrammes avec nous.

Des pans entiers manquants

Les war logs d’Irak ont été publiés sur Internet gratuitement et en intégralité (à l’exception de certains noms supprimés). De nombreux journalistes irakiens ont pourtant été déçus, notamment parce que des pans entiers du conflits manquaient à l’instar du siège en 2004 de la ville sainte de Nadjaf.

Plus important encore, les logs contiennent des récits qui ne sont pas compréhensibles tout de suite. On peut lire :

TF %%%, during a VCP in AN %%% stopped a car and confiscated %%% x AK-%%% and %%% x possible falls %%%. One male was handed over to local IZP.

Les war logs ressemblent à la lecture à des sortes de formulaires militaires numériques qu’on aurait utilisés pour rendre compte rapidement des événements avec des dizaines d’acronymes nécessitant d’abord de les décrypter (voir la liste). Rendre intelligible des télégrammes militaires est un vrai défi.

On peut chercher dans la base de données des war logs avec des mots clé comme les noms des villes, des mots tels que “torture”, “viol”, ou FAI (forces anti-irakienne, l’ennemi) ou avec des dates. Malgré cela, après avoir essayé de chercher avec des dizaines de termes différents, je n’ai rien trouvé qui ne soit pas déjà connu des Irakiens.

Le Guardian a trouvé deux idées brillantes pour démêler l’imbroglio des logs militaires. La première était de partager les war logs avec l’Iraq Body Count, une organisation basée à Londres qui enregistre chaque mort violente en Irak depuis 2003. Ces comptables des morts ont découvert dans les war logs environ 15.000 civils qui avaient été tués et n’avaient été mentionné nulle part à ce jour. Et alors que c’est absolument énorme, la classe politique et l’opinion publique irakienne n’en ont rien fait.

Le Guardian et sa publication jumelle The Observer ont eu un second éclair de génie quand ils ont décidé de rassembler tous les logs du l’ensemble du pays pour un jour précis, le 17 octobre 2006, et ont montré aux lecteurs les dizaines d’incidents violents qui peuvent se produire en un seul jour en Irak. Cette liste montrait le vrai visage de la guerre en Irak en 2006, l’année la plus meurtrière du conflit. Rien de nouveau pour les Irakiens.

Redites

L’apport des war logs pour la connaissance et la compréhension du conflit en Irak est très limité. Wikipedia a déjà documenté minutieusement la bataille de Falloujah en 2004. Des dizaines de mémoires écrits par des soldats américains, disponibles dans le monde entier sur amazon.com, analysent en détail ce que signifie se battre en Irak. La corruption qui gangrène l’armée américaine et le Département d’État a été documentée encore et encore par des inspecteurs du gouvernement américains et des institutions comme l’American Centre for Public Integrity. Les war logs font pâle figure comparé à de tels efforts.

L’histoire du “cablegate” en Irak est courte, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’histoire. D’après les quelques télégrammes publiés, les hommes politiques irakiens n’ont pas dit grand chose de plus entre les murs de l’ambassade que ce qu’ils avaient déclaré plus tôt publiquement.

Les journalistes qui ne suivent pas l’actualité avec les médias irakiens pourraient trouver des télégrammes incroyables, comme celui sur les religieux chiites qui expriment leur totale aversion pour les partis politiques religieux. Mais en Irak, les canaux traditionnels communiquent toutes ces informations.

Pour des raisons que seul WikiLeaks connaît, les 24 télégrammes liés à la guerre donnaient surtout un aperçu peu flatteur des interférences de l’Iran dans les affaires irakiennes, y compris que les cheikhs [ndlr : dignitaire religieux] se voyaient proposer les services de prostituées pendant leurs visites en Iran. Rien de nouveau en Irak ! La raison pour laquelle WikiLeaks a choisi de se concentrer sur cet angle tout en censurant des milliers d’autres reste un mystère.

L’agence de presse AP a rapporté que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, “avait exprimé une frustration à l’égard du rythme lent de publication des télégrammes” et a affirmé que “publier des fichiers spécifiques à un pays à des médias locaux sélectionné devait les mettre en valeur plus vite”. Notre journal irakien n’a pourtant jamais été approché et nous n’avons pas reçu de réponse à nos demandes pour avoir accès aux télégrammes.

Une des dernières fuites à être publiée était un télégramme à propos du nombre croissant d’Irakiens se rendant au zoo de Bagdad… De mon point de vue, deux mémos de Bagdad sont vraiment intéressants – surtout pour les historiens d’ailleurs – : un révèle que ce qui reste du parti Baas de Saddam a demandé de l’aide aux États-Unis pour être intégré dans le nouveau système politique, et un autre révèle des détails sur les aspects pratiques de l’exécution de Saddam – on sait maintenant avec certitude que c’était une entreprise amateur.

WikiLeaks ne sert pas l’Irak. La guerre dans ce pays malheureux n’a été utilisé que pour vendre plus de journaux dans des pays en paix. Des pays dans lesquels le meurtre de 15.000 personnes ne passerait pas inaperçu dans les médias.



> Crédits Photo : US Department of Defense, cryptome, and Flickr CC mashleymorgan

> Traduction Pierre Alonso

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[MAJ] Mediapart, 20 Minutes, WikiLeaks et les conditions de la fuite http://owni.fr/2011/02/09/mediapart-20-minutes-wikileaks-et-les-conditions-de-la-fuite/ http://owni.fr/2011/02/09/mediapart-20-minutes-wikileaks-et-les-conditions-de-la-fuite/#comments Wed, 09 Feb 2011 09:00:50 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=45808

Màj du 9 février, 17h: Au moment de la sélection, Mediapart était en ballotage avec Rue89, ce que confirme Pierre Haski, son cofondateur.

MàJ du 9 février, 16h: Selon une source proche de WikiLeaks, plusieurs dizaines de médias ont été sélectionnés – a priori un par pays – pour cette nouvelle salve de mémos. “Un journaliste péruvien vient par exemple de passer récupérer un module chiffré”, explique-t-elle. Par ailleurs, la même source signale que l’organisation n’a “pas de problème” avec l’existence d’un circuit parallèle, “tant que les journaux impliqués font le nécessaire pour rayer les informations dangereuses”.

Pour la première fois depuis la fin du mois de novembre, et le début de la publication des mémos diplomatiques, WikiLeaks s’est officiellement ouvert à un deuxième pool de médias. Le Guardian, Der Spiegel, El Pais, Le Monde et le New York Times n’ont donc plus le monopole des documents (même si dans le cas du dernier cité, les télégrammes ont été obtenus par ricochet). En effet, comme l’a annoncé lundi soir Edwy Plenel sur TV5 Monde:

Nous allons devenir un des nouveaux partenaires français de Wikileaks avec l’exploitation prochaine de documents.

Le week-end du 29 janvier, le fondateur de Mediapart et son directeur éditorial François Bonnet ont battu la campagne du Suffolk, pour aller rencontrer Julian Assange dans le manoir de Vaughan Smith, le mécène qui l’héberge depuis son arrestation et son assignation à résidence à la mi-décembre. Après quelques semaines de tractations (dont François Bonnet réserve la primeur aux lecteurs de Mediapart) favorisées par un tiers, Mediapart s’annonce donc comme le pendant tricolore de la fameuse “deuxième phase” évoquée en interne par l’organisation dès le début du grand déballage, et sortie du tiroir à la fin du mois de janvier. De source interne, le site a d’ores et déjà les documents en sa possession, alors même que le formulaire de contact promis par Sunshine Press – la représentation légale de WikiLeaks – n’a jamais pu être opérationnel, assommé par le nombre de requêtes.

Interrogé par Associated Press il y a quelques jours, Assange avait de nouveau évoqué son credo, “maximiser l”impact”, et énoncé les conditions de cette nouvelle collaboration, qui devrait rassembler pas moins de 60 titres (à la fin janvier, on en recensait 12, parmi lesquels deux médias australiens, des brésiliens, des britanniques, des japonais, ainsi qu’une radio danoise):

[Il] précise que les nouveaux médias recrutés doivent souscrire aux mêmes règles que celles définies au départ avec le New York Times et les autres. Les journaux sont priés de retirer les noms de personnes qui pourrait être inquiétées par la publication des mémos, les informations susceptibles de menacer des vies, puis de soumettre les versions expurgées à WikiLeaks. Enfin, [l’organisation] s’assure de publier les documents bruts aux même moment que les articles de la presse.

Pourtant, dans un chat vidéo avec des sympathisants le 6 février, le leader de WikiLeaks a livré un point de vue sensiblement différent, s’inquiétant des risques d’une transmission directe d’informations aux rédactions:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si seulement les groupes de presse prêtaient attention à ce qu’ils font. Mais selon notre propre expérience, le Guardian et le New York Times ne se préoccupent pas de la protection des sources. En fait, pour le Cablegate, ces deux journaux ont communiqué par téléphone. Ils ont échangé des mémos par email. Le New York Times a contacté la Maison Blanche en amont de la publication de ses articles, et a fait campagne contre Bradley Manning, la source présumée de la fuite. Nous n’avons même aucune certitude qu’ils publient les informations qu’ils reçoivent. Le New York Times a escamoté une histoire sur la surveillance de la NSA, et CBS a fait l’impasse sur les tortures d’Abu Ghraib.

“Biffer, c’est préempter”

Dans ces conditions pour le moins floues, quel est l’intérêt pour Mediapart d’avoir accès à des documents qui ont déjà circulé entre les mains de plusieurs centaines de journalistes? Les esprits taquins commenceront par remarquer que les articles finiront derrière un paywall. Comme l’explique Vincent Truffy, journaliste pour le site, “il y a peu de chances qu’on trouve dans ces mémos des révélations fracassantes”, sans préciser à quelle échéance les premiers articles seront publiés. Pour l’heure, les équipes de Plenel souhaiteraient concentrer le tir sur le Proche-Orient, l’Afrique et bien sûr, la France. Les télégrammes laissés de côté par Le Monde ou une des autres rédactions de la première heure ont par exemple été réclamés.

En décidant d’ouvrir les vannes, WikiLeaks vient pourtant de changer sensiblement la donne. “Dans l’esprit de beaucoup de journalistes, biffer, c’est préempter”, précise Vincent Truffy, c’est à dire que la rédaction qui décide de mettre de côté une information confidentielle s’arroge de facto la priorité pour l’exploiter. Entre Noël et le Nouvel An, Le Monde avait du justifier une omission volontaire, celle d’un mémo qui évoquait les complaisances économiques entre le Gabon de feu Omar Bongo et la classe politique française, en particulier Chirac et Sarkozy (qui avait fini par émerger du côté d’El Pais).

Joint au téléphone par Owni, Rémy Ourdan, qui coordonne le dossier pour le quotidien du soir, avait tenu à rappeler “l’absence de source authentifée”, qui le rendait “impubliable en l’état”. En aparté, certains soutiennent que Le Monde était surtout gêné aux entournures par la démarche de WikiLeaks, préférant garder une bonne portion de mémos pour une publication ultérieure, dans le cadre d’enquêtes fouillées, qui ne seraient plus estampillées WikiLeaks. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs, voilà le cycle accéléré, sinon brisé.

La filière norvégienne

Désormais, faut-il conclure que l’embargo a été rompu par la dissémination des documents, ou qu’il a seulement été élargi dans des conditions analogues (ce que prétend Assange)? C’est à ce moment précis qu’il convient de mentionner l’apparition de 20 Minutes dans la boucle française. Propriété du groupe Schibsted, le quotidien gratuit a pu consulter les documents par le biais du journal norvégien Aftenposten, qui appartient au même groupe de presse. A ce jour, on ne sait toujours pas comment les scandinaves ont récupéré les 251.287 mémos, une information que Ole Erik Almlid, le rédacteur en chef, refuse systématiquement de commenter. Interrogé par Slate fin décembre, il restait évasif:

Il nous est impossible de commenter la manière dont nous avons eu accès aux documents. Nous ne donnons jamais nos sources, même dans ce cas de figure.

Dans ce circuit parallèle de la fuite, 20 Minutes n’est pas le premier à croquer la pomme: Die Welt en Allemagne, Svenska Dagbladet en Suède, Politiken au Danemark et Die Standaard en Belgique ont déjà profité de ce deuxième lot. Gilles Wallon, le journaliste de 20 Minutes qui s’est rendu à Oslo début janvier, nous apprend que Schibsted a également proposé les mémos à une dizaine de ses titres, parmi lesquels les exemples précités la version espagnole de 20 Minutes. Wallon en profite pour revenir sur les conditions d’obtention des documents:

Une fois dans leurs locaux, on m’a prêté un ordinateur, sur lequel l’intégralité des mémos était stockée sur un système intranet. Comme l’Aftenposten avait imposé une consultation sur place, j’ai du sélectionner les mémos qui nous intéressaient, les copier dans un document Word, puis les transférer sur une clé USB que nous avons chiffré par la suite. Les Norvégiens avaient même préparé une sorte de guide de publication, avec des règles très claires sur l’utilisation des documents.

Sur son site, 20 Minutes invoque le “droit à l’information pour ses trois millions de lecteurs”, mais que doit-on attendre d’une publication dont l’analyse de documents confidentiels relatifs à la diplomatie ne constitue pas vraiment le coeur de métier? “J’ai surtout privilégié des informations relatives à la politique économique”, explique Gilles Wallon en mentionnant “Dassault et d’autres entreprises du CAC40”. En tout, le journaliste a récupéré environ 250 documents, et il annonce qu’une partie de ceux-ci sera publié au rythme “d’un par semaine pendant quelques semaines”, sans garantie que la majorité d’entre eux soit exploitable. “Nous pensions commencer par un article sur la façon dont Sarkozy voit le monde arabe, mais nous n’avions pas assez de matière”, soupire-t-il. Si, d’après un sondage TNS-Sofres, 24% de Français seulement s’intéressent à WikiLeaks, l’effet de loupe joue à plein: tous les médias veulent y toucher.

Retrouvez l’ensemble de notre travail éditorial et technologique sur WikiLeaks à cette adresse: http://wikileaks.owni.fr

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Crédits photo: Flickr CC Poster Boy NYC, alex-s

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6 questions sur WikiLeaks, le Napster du journalisme http://owni.fr/2010/12/04/6-questions-sur-wikileaks-le-napster-du-journalisme/ http://owni.fr/2010/12/04/6-questions-sur-wikileaks-le-napster-du-journalisme/#comments Sat, 04 Dec 2010 15:18:33 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=38075 Près d’une semaine après le début de leur mise en ligne, les mémos diplomatiques révélés par WikiLeaks continuent d’agiter le landerneau politico-médiatique. Alors que les précédentes fuites orchestrées par Julian Assange étaient vite circonscrites – le bruit sourd était suivi d’un silence de mort -, cette nouvelle publication fait durer l’acouphène, et les oreilles n’ont pas fini de siffler. En choisissant d’échelonner la sortie des documents en sa possession, le site s’impose comme le Napster du journalisme, la première mouture imparfaite d’un outil voué à changer la face d’une profession, sinon deux: celle du journalisme, et celle de la diplomatie. Comme Napster, WikiLeaks a ouvert la boîte de Pandore en imposant un intermédiaire en marge du système. Comme Sean Parker, Julian Assange est un homme avec une vision. Comme lui, il a plein d’excès. Retour sur six jours de débats passionnés en six questions.

Transparence = totalitarisme, vraiment?

NON. “La transparence absolue, c’est le totalitarisme”. Nicolas Sarkozy, François Baroin, Hubert Védrine, tous ont agité la formule comme un chiffon rouge pour fustiger la nouvelle fuite coordonnée par WikiLeaks, et l’irresponsabilité qui consiste à mettre en ligne 250.000 mémos classifiés par le département d’Etat américain. A la vérité, la paternité de cet élément de langage devrait même être revendiquée par Henri Guaino. En septembre 2009, le conseiller du président de la République s’était emporté contre le web, accusé d’offrir une caisse de résonance disproportionnée à “l’affaire Hortefeux” (les arabes, les auvergnats, quelques problèmes):

La transparence, ça veut dire qu’il n’y a plus d’intimité, plus de discrétion [...]  Pour l’instant nous n’avons pas appris collectivement à nous servir de la meilleure façon des nouvelles technologies de communication. Internet ne peut être la seule zone de non-droit, de non-morale de la société, la seule zone où aucune des valeurs habituelles qui permettent de vivre ensemble ne soient acceptées. Je ne crois pas à la société de la délation généralisée, de la surveillance généralisée.

Quel rapport? Ce flash-back permet de comprendre pourquoi le débat est aujourd’hui mené à contretemps. Moins que le contenu, c’est le processus qui effraie la classe politique dans son ensemble. D’ailleurs, certains ne se sont-ils pas enflammés contre WikiLeaks, tout en précisant que le public n’apprenait rien de nouveau dans ces révélations? A tous ceux qui croiraient encore à la soi-disant “transparence absolue” de l’organisation, voici une preuve irréfutable: aujourd’hui, 4 décembre 2010, à 15h, WikiLeaks n’a pas publié 250.000 documents sur son interface dédiée (qui d’ailleurs, est inaccessible). Il y en a un peu plus de 597, comme l’atteste la capture d’écran ci-dessous, réalisée vendredi (MàJ de 15h50: selon certaines informations, il y aurait désormais 842 mémos disponibles).

Tous ces télégrammes ont été publiés après que les cinq rédactions partenaires (le Guardian, le New York Times, Der Spiegel, Le Monde et El Pais) les aient parcourus, étudiés, contextualisés, vérifiés. Comme l’écrit Sylvie Kauffmann, la directrice de la rédaction du Monde, après qu’ils en aient “soigneusement édité” le contenu. Et comme l’a confirmé Julian Assange dans un chat avec les internautes du Guardian vendredi, ce sont les rédactions qui choisissent les informations qu’elles publient. En d’autres termes, elles choisissent également celles qu’elles ne publient pas.

Fallait-il publier ces documents?

OUI. Plutôt que de s’interroger sur le bien-fondé de l’action de WikiLeaks, il faudrait reformuler la question en ces termes: le site de Julian Assange aurait-il publié les documents sans l’assentiment des rédactions partenaires? Aurait-il massivement mis en ligne 250.000 mémos si les médias avaient refusé d’entrer dans la danse? C’est loin d’être sûr. On peut moquer l’arrogance et la mégalomanie d’Assange, mais cette fois-ci, difficile de pointer du doigt son irresponsabilité.

Mais il y a une seconde question. Est-ce aux gouvernements de protéger les secrets, ou est-ce le rôle des journalistes? Max Frankel, vétéran de la profession, lauréat du Prix Pulitzer, y répond parfaitement, en rappelant le rôle dévolu à chacun:

C’est aux gouvernements, pas à la presse, de garder les secrets tant qu’ils le peuvent, et de s’ajuster vis-à-vis de la réalité quand ceux-ci sont découverts. C’est le devoir de la presse de publier ce qu’elle apprend, et de trouver l’information où elle le peut quand on lui refuse d’y accéder.

Nous sommes là dans une zone grise. Certains considèrent que ces documents ont été volés, ce qui voudrait dire que Le Monde, mais aussi OWNI, sont coupables de recel. La situation est bien plus complexe que cela, comme en atteste la difficulté pour l’armada de juristes dépêchée par l’administration américaine à fermer WikiLeaks. Comme le résume un excellent article de The Economist, “WikiLeaks est une innovation légale, pas une innovation technique”. Je serais presque tenté d’aller plus loin: et si Julian Assange était une forme aboutie de néo-luddisme, qui privilégie la construction au bris des machines? L’utilisation du chiffrement ou le recours systématique à la technologie ne sont pas l’essence de WikiLeaks. Si tel était le cas, “le site aurait ouvert ses portes il y a dix ans”. Ce qui fait le sel de l’organisation, c’est sa volatilité, née des pare-feux légaux qu’elle a mis en place, en installant des serveurs aux quatre coins du monde par exemple.

Ces documents sont-ils utiles?

OUI. En un sens, et je l’ai déjà écrit quelques heures avant la fuite, cette nouvelle fuite ressemble à la révélation d’un “off” géant. Si les précédentes publications concernaient des rapports militaires, écrits par des appelés du contingent, les télégrammes sont inédits parce qu’ils proviennent de l’”élite”, la classe diplomatique. Non seulement WikiLeaks rompt le off, mais le site le fait dans des proportions impressionnantes. La valeur absolue impressionne autant, si ce n’est plus, que le contenu.

Dans ce nouvel écosystème des médias (où les cinq rédactions partenaires jouent le rôle de médiateur ou de tampon), Assange a très bien compris le rôle que pouvait jouer son site: celui d’un réceptacle pour tous les informateurs du monde échaudés par le manque de légitimité de la presse traditionnelle. En les regardant de près, on remarque que la plupart des articles publiés dans la presse, rédigés par des spécialistes de chaque dossier – qu’il s’agisse du nucléaire iranien ou des rouages de l’ONU – sont articulés de la sorte: “ces informations corroborent ce que l’on savait déjà”. En creux, “mais que l’on avait pas forcément publié”.

De l’avis de ses détracteurs, WikiLeaks offrirait les coulisses du monde vues à travers une meurtrière. C’est faux, précisément parce que ce grand déballage pousse, et même force, les rédactions à mettre tous les éléments de contexte sur la table. C’est la “réhabilitation du journalisme d’expertise”, comme l’écrit Patrice Flichy dans Le Monde.

Il y a même une question corollaire, structurelle: ces documents vont-ils changer quelque chose? Dans les couloirs d’une grande chaîne de télévision, Dominique Moïsi, conseiller spécial de l’IFRI et professeur à Harvard, me confiait que cette fuite marquerait peut-être “le retour de la valise diplomatique, ainsi que la fin des ambassadeurs hôteliers”. Et il s’en réjouissait.

Le processus est-il réversible?

NON. N’en déplaise aux plus sceptiques, cette fuite n’est pas un épiphénomène. Depuis quelques heures, le vocable “guerre de l’information” fait son grand retour, alors même qu’il avait disparu des radars. Pourtant, chez les futurologues de la trempe de Toffler comme chez les chercheurs les plus sérieux, l’infoguerre existe depuis près de quinze ans. Et WikiLeaks en est sa nouvelle caractérisation. De la même manière que les services de peer-to-peer ont changé la face de l’industrie de la musique en introduisant le téléchargement illégal, le site bouleverse la chaîne alimentaire des médias en y injectant sa culture pirate.

Sans souscrire les yeux fermés au discours de WikiLeaks, il faut essayer de porter le regard plus loin : peut-être s’agit-il d’une évolution structurelle du journalisme d’investigation, en même temps qu’un nouveau stade de la société de l’information chère à Castells. En leur temps, les révélations de Woodward et Bernstein sur le Watergate, comme les “Papiers du Pentagone” de Daniel Ellsberg (qui révélaient les mensonges des administrations Kennedy et Johnson au Vietnam) n’ont pas été accueillis favorablement. Le second fut même jugé pour cela. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se demandent si WikiLeaks peut vivre au-delà de Julian Assange. Il l’a suffisamment répété, son organisation est “un concept”.

Pourrait-il arriver la même chose en France?

PEUT-ETRE. On pourrait l’imaginer, bien sûr, même si un obstacle majeur se dresserait sur la route: le secret défense est beaucoup plus verrouillé en France qu’aux États-Unis. Avec l’affaire de Karachi, le gouvernement a répété sa volonté de faciliter le processus de déclassification des documents, en rappelant aux magistrats qu’ils étaient tout à fait libres d’envoyer leurs requêtes à la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), l’organisme indépendant chargé de statuer sur le sujet. Mais, en 2009, le Parlement a voté la classification de 19 lieux dans sa loi de programmation militaire. Seul le Premier ministre peut donner son accord pour qu’un juge d’instruction y accède. Par conséquent, force est de constater que la perméabilité du système est moindre.

Par ailleurs, on accuse souvent Julian Assange de s’en prendre exclusivement à l’administration américaine, certains observateurs n’hésitant plus à parler de “manipulation”. Pourtant, la systématisation des attaques contre les Etats-Unis est à chercher du côté d’un particularisme: l’administration américaine dispose de 16 agences de renseignement, qui regroupe près de 2.000 entreprises. Selon le Washington Post, “854.000 personnes disposent d’un accès à des informations top secret” au sein de cette vaste communauté, qu’on nomme l’Intelligence Community (IC). En outre, cette technostructure a mis en place en 2006 une plateforme de partage d’informations, Intellipedia. Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour constater la porosité du système.

Mais avant de songer à un WikiLeaks à la française, il faudrait résoudre une vraie carence, démocratique celle-là: l’absence d’une procédure de type FOIA (pour Freedom of Information Act): un texte issu de la Constitution américaine que n’importe quel citoyen peut invoquer pour demander – et souvent, obtenir – la déclassification des documents. Des sites comme Cryptome ou Secrecy News, antérieurs à WikilLeaks, en ont même fait leur spécialité. Dans l’Hexagone, il faut encore attendre 50 ans pour accéder aux archives. Et certains documents nominatifs ne tomberont dans le domaine public que 100 ans après la mort de la personne qui y est citée.

Peut-on fermer WikiLeaks?

NON. La sortie médiatique d’Eric Besson, revenu à son poste de secrétaire d’Etat à l’économie numérique, symbolise assez bien les enjeux du débat, mais aussi ses limites. Dans une lettre, il demande au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) de “bien vouloir lui indiquer dans les meilleurs délais possibles quelles actions peuvent être entreprises afin que [WikiLeaks] ne soit plus hébergé en France”, quelques heures après avoir appris que les serveurs d’OVH étaient utilisés par l’organisation pour stocker une partie de ses données. De toutes parts, on insiste sur le fait qu’il “aura du mal à expulser” l’organisation, en se demandant s’il a vraiment “le droit de [le] faire”. Dans un communiqué, OVH annonce avoir “saisi un juge en référé” pour qu’il statue.

En attendant sa réponse, la mesure aura montré sa contre-productivité: en quelques dizaines de minutes, des dizaines de sites miroir permettaient d’accéder à WikiLeaks (selon la bonne vieille recette de l’effet Streisand), et les défenseurs du web libre pointaient les menaces de “censure politique”. Si les gouvernements veulent détruire l’idée de WikiLeaks, ils devront faire du site et de son fondateur des martyrs, une condition qui remonte aussi loin que les premiers écrits catholiques. Les voilà prévenus.

Retrouvez tous nos articles taggués WikiLeaks, notre live-blogging de la fuite ainsi que notre application dédiée à l’exploration des mémos diplomatiques

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Crédits photo: CC Geoffrey Dorne

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http://owni.fr/2010/12/04/6-questions-sur-wikileaks-le-napster-du-journalisme/feed/ 32
Augmentons nos démocraties de quelques lignes de code http://owni.fr/2010/12/04/wikileaks-augmentons-nos-democraties-de-quelques-lignes-de-code/ http://owni.fr/2010/12/04/wikileaks-augmentons-nos-democraties-de-quelques-lignes-de-code/#comments Sat, 04 Dec 2010 15:17:47 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=38024

Permettez-moi de douter, peut-être, de l’impact des révélations de WikiLeaks sur la diplomatie internationale ou l’art de la guerre, mais en rien des conséquences pour l’écosystème de l’information et l’économie des médias.

Olivier Tesquet compare l’impact de WikiLeaks pour la presse à celui qu’a eu Napster pour l’industrie de la musique . “Après, rien ne fut plus pareil” caricature, mais sans réellement s’y tromper, son fondateur dans The Social Network. Nous qui défendons l’idée d’un journalisme augmenté du travail en réseau et de l’apport des technologies, notamment pour l’investigation et l’analyse de documents, n’allons pas nous en plaindre.

Ce n’est pas une démarche de transparence qu’initie Julian Assange et ses proches mais un chemin vers plus de profondeur et de granularité, vers une information démontrée, davantage étayée, vers un journalisme d’expertise et de médiation.


Il faudra sans doute bien du temps et du recul pour saisir comment et pourquoi les instances internationales et les penseurs et diplomates, (dont certains nous avaient habitué à plus de clairvoyance), claironnent depuis bientôt une semaine que la démarche de Wikileaks serait pétrie d’anarchisme, quand elle tend à renforcer par la correction le modèle capitaliste. On parle même de totalitarisme, alors qu’à chaque instant l’organisation démontre sa volonté d’associer le plus grand nombre, professionnels comme citoyens, à son travail de libération des faits.

Car Wikileaks n’est pas plus l’incarnation d’un projet politique (c’est tout au contraire une promesse de réalisme) que le rêve d’opendata et de libération de “données” de geeks ayant pour religion l’open source et pour écriture sacrée la ligne de code. Assange, avec qui Nicolas Kayser-Bril et Pierre Romera ont passé du temps, n’est ni un fou ni un prophète : c’est un risque-tout effectivement visionnaire mais bien plus raisonné et raisonnable que la quasi-totalité de nos confrères a bien voulu le dire.

Dans ce moment d’emballement de l’agenda médiatique et de poussées contre-réactionnaires où les démocraties appellent à la censure (la France en tête !) il n’est qu’une chose qui tiennent de l’urgence : se poser, se taire peut-être. Et réfléchir ensemble à ce qui se joue réellement devant nos yeux. Et cela fait sens :

Nous ne vivons pas seulement une crise mais une opportunité sans précédent, celle d’augmenter nos démocraties des valeurs et outils apportées par l’ère des réseaux technologiques. En toute logique, l’information est la première touchée.

C’est toute une tectonique des plaques qui se met en mouvement. En impactant durablement l’écosystème médiatique et la circulation de l’information, WikiLeaks pourrait bien enrichir nos démocraties, par rebond, de quelques lignes de codes. Il serait temps.

> Image de clef (Marianne) retouchée d’après CC Alain Bachelier / StateLogs by Loguy.

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