OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Frédéric Lefebvre économiste américain http://owni.fr/2012/06/02/leconomie-americaine-de-frederic-lefebvre/ http://owni.fr/2012/06/02/leconomie-americaine-de-frederic-lefebvre/#comments Sat, 02 Jun 2012 09:41:36 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=112329

Portrait de Frédéric Lefebvvre à Bercy en janvier 2011 par © Jean-Michel Sicot/Fedephoto

Une campagne financée par le secteur privé. C’est celle de Frédéric Lefebvre – qui n’a pas été en mesure de répondre à nos questions. L’ancien secrétaire d’État est candidat de l’UMP pour les législatives en Amérique du Nord. Pour cette élection inédite – pour la première fois les Français résidant à l’étranger élisent leurs députés – ce proche de Nicolas Sarkozy a joué avec le feu en matière de comptabilité. Il risque aujourd’hui de voir son compte de campagne contesté.

Au cours de ses deux mois de campagne, Frédéric Lefebvre n’aura pas tenu beaucoup de meetings ouverts au public. Chacune de ses réunions réclamait un carton d’invitation. Confronté à de multiples dissidences et à de vives critiques au sein même de l’UMP d’Amérique du Nord, le candidat a peut-être voulu éviter les débordements comme celui qui l’a poussé à exclure une militante, lors du lancement de sa campagne à Boston. Selon les informations que nous avons recueillies, le ténor de l’UMP a choisi de dépenser le moins possible pour sa campagne, en faisant appel, notamment, à la générosité des entreprises. Une pratique en principe illégale.

Encans

Lundi 2 avril, rue du Couvent à Montréal. Quelques dizaines de militants UMP se réunissent à l’Hôtel des Encans, une ancienne église reconvertie en une somptueuse salle de vente aux enchères. Ils sont venus assister au lancement de la campagne de l’unique candidat investi par l’UMP pour cette circonscription des Français de l’étranger, Frédéric Lefebvre.

L’ancienne église appartient au richissime commissaire-priseur Iegor de Saint-Hippolyte, également gérant de la société Iegor Auctions. L’homme est un proche de la section UMP du Québec – à laquelle il avait offert l’hospitalité pour une réunion, en février 2011 – et de quelques-uns de ses membres éminents. Le premier s’appelle Thibault Duval, président des Jeunes Populaires du Québec – la section 16-30 ans de l’UMP – également l’un des employés de Iegor Auctions, où il officie en tant que directeur du département “Art asiatique”.

L’autre figure locale de l’UMP proche de Iegor de Saint-Hippolyte n’est autre que Jeanine de Feydeau, la directrice de campagne de Frédéric Lefebvre pour le Canada. Elle est justement l’organisatrice de la soirée du 2 avril.

Contactée par Owni sur ces divers liens, Jeanine de Feydeau a préféré laisser répondre le directeur adjoint de la campagne au Canada, Stéphane Minson. Lequel nous a expliqué, lors d’un entretien téléphonique d’une vingtaine de minutes, comment Iegor Auctions avait offert son hospitalité à l’occasion du “meeting des Encans” :

Je peux vous garantir que la salle a été fournie à titre personnel et gratuit. Elle n’a coûté absolument rien au candidat.

De bonnes intentions qui pourraient entrer en contradiction avec les textes. Selon l’article L52-8 du Code électoral, la fourniture de services par une société comme le prêt d’une salle de meeting est prohibée :

Les personnes morales [terme juridique pour qualifier les sociétés, NDLR] (…) ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.

Relais

Avec une petite subtilité, néanmoins. En effet, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), l’organisme chargé de vérifier les dépenses de campagne des candidats, accorde une qualification “électorale” aux réunions de militants où figure un “relais d’opinion”, comme l’indique son site Internet. Si aucun relais d’opinion ne se présente, les dépenses effectuées lors d’une réunion de militants ne doivent pas, dès lors, figurer au compte de campagne du candidat.

Mais pour le “meeting des Encans”, le journaliste du bureau de Montréal de l’Agence France presse (AFP) a confirmé sa présence à Owni. La réunion revêt donc un caractère électoral, et la non-retranscription dans le compte de campagne des frais de location de la salle des Encans devrait entraîner une contestation. Le carton d’invitation évoque une réunion entre amis. Mais quand il parle du “meeting des Encans” sur son blog de campagne, dans un billet du 13 mai dernier, Frédéric Lefebvre la qualifie lui-même de réunion publique :

De la même façon, lors de ma grande réunion publique au magnifique Hôtel des Encans il y a quelques mois, avec tant de compatriotes et tant de jeunes autour de Thibault Duval. Quelle émotion dans cette salle mythique.

Tontons Flingueurs

Des réunions sur invitation comme celle de l’Hôtel des Encans, Frédéric Lefebvre en a tenu plusieurs. L’entretien avec le directeur adjoint de sa campagne pour le Canada, Stéphane Minson, en a révélé d’autres :

Notre objectif est de faire ce qu’on pourrait appeler de la ‘politique non-spectacle”. On ne se retrouve qu’entre amis. Chacun paie sa part et a plaisir à le faire. Ce qu’on souhaite, c’est obtenir un budget égal à zéro : zéro dépenses.

Encore une fois, l’absence de mention de ces dépenses sur le compte de campagne n’est contraire à la loi que si un relais d’opinion est présent parmi les militants. Owni a retrouvé la trace d’au moins deux réunions sur invitation qui se sont tenues dans des restaurants montréalais et en présence de la presse québécoise.

Le premier de ces meetings privés a lieu le 2 avril dernier, le même jour que celui de l’Hôtel des Encans, un peu plus tôt dans la journée. Une douzaine de militants UMP sont alors conviés à un repas dans la crêperie Les Tontons Flingueurs (ça ne s’invente pas), aux côtés du journaliste de Radio-Canada Franck Desoer, qui les interroge pour un reportage consacré, entre autres, aux élections législatives au Québec.

Mais ce jour-là, c’est le gérant des Tontons Flingueurs qui paie son repas ou plutôt, selon le droit électoral, la personne morale du restaurant. Comme pour Iegor Auctions, cette aide en nature est à même d’être déclarée illégale par la Commission nationale des comptes de campagne. Interrogée par Owni, l’une de ses porte-parole confirme, tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’une “décision” mais d’une “réponse a priori, que cette invitation peut être considérée comme le “concours d’une personne morale à la campagne d’un candidat”.

Parce qu’il n’y a pas de petits profits, chacun des militants est également sommé de payer sa part ce midi du 2 avril. Pour cela, cependant, “rien ne devrait être considéré comme illégal”, selon l’interlocutrice de la Commission nationale des comptes de campagne que nous avons jointe.

Très récemment, cette situation s’est répétée à l’identique dans un autre restaurant de Montréal. Le 23 mai dernier, un dîner militant est organisé au Plein-Sud, toujours en présence de la presse, comme le confirment deux images présentes sur la page Facebook officielle de Frédéric Lefebvre – la première représente une interview avec la télévision de Radio-Canada tandis que deux caméras de télévision sont visibles sur la seconde.

Le carton d’invitation pour cette soirée obtenu par Owni annonce encore une fois la couleur, en indiquant aux militants que le menu “entrée, plat, dessert” leur en coûtera 30 dollars :

Recadrage

Les mêmes doutes que précédemment subsistent. Frédéric Lefebvre a jusqu’au 14 septembre prochain – voire jusqu’au 28 septembre s’il passe le premier tour – pour déposer son compte de campagne définitif auprès de la Commission qui devra l’examiner. Il lui reste donc plus de trois mois pour demander à ces généreuses entreprises de produire les factures qu’elles ont réglées à sa place et qui manquent à son relevé de dépenses.

S’il y parvient, le ténor de l’UMP n’aura donc sans doute rien à craindre de la loi. Un recadrage de ses proches s’imposera sûrement, en revanche. Toujours convaincu de la légalité de sa démarche, Stéphane Minson termine son entretien sur ces mots :

Vous savez, c’est pas facile de trouver une salle gratuite à Montréal. Je garde la surprise, mais pour un autre grand déplacement lors du deuxième tour, on s’est arrangé pour ça ne coûte rien au candidat.


Photographie de Jean-Michel Sicot ©/Fedephoto. Portrait de Frédéric Lefebvre à Bercy en janvier 2011 pour les voeux à la presse. Edition par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Anonymous contre Bayer, Sony, LG, Samsung http://owni.fr/2012/05/11/anonymous-attaque-bayerd-sony-lg-samsun/ http://owni.fr/2012/05/11/anonymous-attaque-bayerd-sony-lg-samsun/#comments Fri, 11 May 2012 15:33:16 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=109881

L’avidité occidentale frappe le Congo dans un conflit inhumain, le pire qu’ait connu le pays depuis l’an 800. Aux seigneurs de l’industrie et aux banques : vous détruisez l’environnement, vous condamnez l’espèce humaine en la réduisant à l’esclavage. Come on Anons !!!

Le cri de ralliement est lancé. L’assaut, imminent, virtuel et pacifique. Pas de doute : une nouvelle salve d’attaques informatiques revendiquées par des Anonymous est en cours depuis moins de 24 heures.

Baptisée “Opération coltan” (du nom de ce minerai indispensable à l’industrie des téléphones mobiles ou de la chimie), la dernière manifestation du collectif d’hacktivistes s’envole cette fois pour la République démocratique du Congo (RDC). Et s’en prend à des multinationales telles Sony, LG, Samsung ou encore Bayer.

La revendication est nouvelle, cependant. Selon un communiqué publié sur un blog apparenté, Anonymous entend mettre au jour le “trafic de coltan” orchestré par lesdites multinationales en RDC. Le coltan, aussi appelé “or gris”, est l’un des quatre “minerais de conflit” désignés comme tels par le Dodd Frank Act, la réforme de Wall Street adoptée par le Congrès américain en 2010. Il appartient au nombre de ces ressources naturelles dont le contrôle est devenu un enjeu économique si grand qu’il nourrit des affrontements entre milices armées. Notamment en RDC, qui concentre à elle seule trois quarts des réserves mondiales de coltan.

Si la ruée vers l’or gris date de la fin des années 1990, le coltan est devenu indispensable ces dernières années, pour l’industrie, et pour les consommateurs de téléphones et ordinateurs portables. C’est en effet à partir du coltan qu’est extrait un métal aux propriétés uniques, le tantale, présent dans la plupart des appareils électroniques. Le tantale est par ailleurs très prisé des industries aérospatiale et chimique pour sa grande malléabilité.

Seigneurs du coltan

Fin avril 2012, le ministre des Mines de la province du Nord Kivu alerte sur un regain de violences entre les milices de l’Est de la République démocratique du Congo. La mise en garde est prise au sérieux par les États-Unis, l’Allemagne et la Chine, qui perçoivent la région comme le point névralgique de leurs intérêts stratégiques en Afrique. Lentement mais sûrement, la bataille du coltan est à nouveau médiatisée aux États-Unis. Des hacktivistes s’en emparent.

Cliquez sur l'image pour voir le grand format


Anonymous surveillés depuis huit mois

Anonymous surveillés depuis huit mois

Trois supposés Anonymous ont été arrêtés par les services de renseignement français cette semaine. OWNI a ...


Le 3 mai, “l’Opération Green Rights” connaît un nouveau souffle. Cette méga-opération rassemble des personnes se revendiquant d’Anonymous et faisant des risques environnementaux le dénominateur commun de leurs actions numériques, les fameuses attaques par déni de service consistant à bombarder un site web de requêtes pour le rendre inaccessible. C’est d’ailleurs dans le cadre de “l’Opération Green Rights” que le site Internet d’EDF avait été attaqué au printemps 2011, donnant lieu à l’arrestation de trois Anonymous présumés que nous avions décryptée sur OWNI. Au nom donc des droits verts, le collectif d’hacktivistes annonce son intention de “faire tomber” les sites des “seigneurs du coltan”.

Rapidement, un pad – document web public et collaboratif – est élaboré pour préparer l’attaque. En marge des données géographiques et démographiques de la RDC, des Anonymous décrivent sommairement les conditions de vie des mineurs et de leurs familles. Le principe : mobiliser les consciences en allant au plus simple. Mais leurs affirmations – sensationnelles – manquent parfois de preuves :

Conséquences de cette situation [l’exploitation illégale du coltan, NDLR] :
- Les jeunes filles et les jeunes garçons ne vont pas à l’école
- Chaque kilo de coltan extrait coûte la vie à deux enfants
- Les familles dorment et s’alimentent dans les forêts des montagnes alentours
- La population d’éléphants a diminué de 80%
- La population de gorilles a chuté de 90%

Et ça marche. Le 10 mai au soir, la première attaque est lancée contre le site Sony Mobile, le portail du groupe consacré à la téléphonie mobile. Sur un canal IRC – une interface de chat anonyme – dédié, les hacktivistes s’échangent des informations sur des failles découvertes sur le site de Sony. Avant de lancer leur fameux outil d’attaque, LOIC, un logiciel permettant de surcharger de requêtes un serveur hébergeant un site Internet.

Ultime raffinement, les Anonymous impliqués ont ici utilisé une version navigateur de LOIC, c’est-à-dire sans passer par un logiciel mais en créant un mini-site qui possède les mêmes fonctionnalités que LOIC. En trente lignes de code informatique, les hacktivistes créent un système tel que tout utilisateur qui se connecte sur la page Web envoie 16 requêtes à la seconde sur une cible, hier Sony, ce matin LG et Bayer. Succès :

Le Sud de l’hémisphère

Cette coordination d’attaques, qui devraient se poursuivre jusque tard dans la nuit du 12 mai, illustre en tout cas un nouveau rapport de force parmi les Anonymous sensibles aux causes écologistes. À l’origine, “l’Opération Green Rights” a été créée par des Italiens, et a donc surtout rassemblé des hacktivistes venus d’Europe, France et Allemagne en tête. Le spectaculaire coup de filet des forces de police italiennes intervenu à l’été 2011 pour arrêter une quinzaine de membres d’Anonymous a rebattu les cartes de l’hacktivisme environnemental.

Reprise par les Américains et les Canadiens dans le combat contre les sables bitumineux, la bannière “Opération Green Rights” est depuis largement utilisée par des internautes venus d’Amérique du Sud. Les industries minières sud-américaines ont ainsi été visées par plusieurs vagues d’attaques au cours du mois de février 2012, alors même qu’Anonymous Venezuela et Anonymous Columbia voyaient leurs rangs grossir. “L’Opération Coltan” semble justement avoir été déclenchée par Anonymous Columbia, comme en atteste cette vidéo, publiée pour l’occasion :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des diverses entreprises contactées par OWNI, Bayer est la seule à s’être exprimée sur ces attaques pour le moment :

Plusieurs sites Internet du Groupe Bayer (Portugal, Pays-Bas, Afrique du Sud) font actuellement l’objet d’attaques et plusieurs ont été désactivés pour des raisons de sécurité. (…)

Anonymous a revendiqué ces attaques, au nom de l’implication supposée du Groupe Bayer dans le commerce du coltan au Congo. Ces allégations datent de plus de dix ans et sont sans fondement. À la suite d’une enquête, les Nations Unies ont retiré toutes leurs accusations à l’encontre du Groupe Bayer en 2003.

Dans la foulée de cette enquête, d’ailleurs, le Groupe Bayer avait estimé opportun de préciser dans son rapport annuel sur le développement durable 2004 qu’il finançait le Dian Fossey Gorilla Fund, un “projet visant à aider les habitants de l’Est de l’Afrique centrale à pratiquer l’extraction des ressources naturelles en cohérence avec l’environnement”. Et de poursuivre dans le même rapport :

Plusieurs organisations environnementales ont appelé à un moratoire international sur les exportations de la région pour mettre fin aux activités illégales comme l’extraction minière dans les parcs nationaux. D’autres organisations, dont le Dian Fossey Gorilla Fund, considèrent de telles mesures comme inappropriées, particulièrement pour des raisons humanitaires, puisqu’elles élimineraient une importante source de revenus pour les populations locales. En cas de moratoire, les organisations craignent que ces populations soient contraintes de se nourrir dans les parcs nationaux (…), ce qui entraînerait sûrement l’extinction permanente de plusieurs espèces en danger.


Illutrations via Anonymous /-)

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Le grand (petit) emprunt (dé)chiffré http://owni.fr/2012/05/02/le-grand-petit-emprunt-dechiffre/ http://owni.fr/2012/05/02/le-grand-petit-emprunt-dechiffre/#comments Wed, 02 May 2012 16:27:39 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=108660 OWNI.]]>

L‘écart entre les deux finalistes se resserre dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude des déclarations chiffrées ou chiffrables des candidats à l’élection présidentielle. En répétant à l’envi des chiffres (corrects) sur le score de ses prédécesseurs à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy gagne deux points en une semaine et atteint 45,6% de crédibilité. Avec 56,3% de crédibilité, François Hollande mène toujours la danse.

Ces dernières 48 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 39 citations chiffrées des candidats retenus au second tour de l’élection présidentielle. Ainsi que leurs argumentaires de campagne, qui regorgent de données. A l’image du tract socialiste décrypté la semaine dernière, OWNI vous propose une analyse de l’un des nombreux chiffres qui ponctuent la Lettre aux Français de Nicolas Sarkozy, celui du montant des “investissements d’avenir”. Et des artifices de communication qui l’accompagnent.

Parlement évincé

Trois ans durant, la communication gouvernementale s’est échinée pour “le vendre”. Lancé en 2009 en pleine période de crise, le “Grand emprunt” fait partie de ces mesures que Nicolas Sarkozy a voulu marquer d’une pierre blanche. Depuis, l’emprunt géant a été rebaptisé “Investissements d’avenir”. Des investissements qui restent un thème central de la “Lettre aux Français” du président-candidat :

Investissements d’avenir 2007 – 2012 : 22 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est plus mesuré. Une plaquette de présentation de son budget pour 2012 mentionne que les investissements d’avenir représentent 20,6 milliards d’euros pour ces deux domaines. Une somme amenée à être répartie par des “opérateurs”, c’est-à-dire des établissements publics parmi lesquels l’Agence nationale de la recherche (ANR), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou encore l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

Premier constat : le Gouvernement se fait très silencieux sur la traçabilité des fonds transférés. D’après l’annexe du Projet de loi de finances (PLF) pour 2012 sur la mise en oeuvre et le suivi des investissements d’avenir :

En 2010, les 35 conventions ont été signées entre l’État et les opérateurs ce qui a permis de transférer l’intégralité de l’enveloppe des 34,64 Md€ [montant total alloué dans le cadre des Investissements d’avenir, NDLR] sur les comptes ouverts au Trésor des opérateurs au 31/12/2010.

Les opérateurs ont donc bel et bien reçu des fonds de la part du Gouvernement sur un compte bancaire, ouvert au Trésor. Mais pour savoir où ces fonds ont été transférés, la situation est plus compliquée. Un an plus tôt, le rapport sur la mise en oeuvre et le suivi des investissements d’avenir, annexé cette fois-ci au PLF 2011, précisait d’ailleurs que :

Les opérateurs (…) assureront la gestion [des crédits] dans la durée, tout au long du processus d’instruction, de sélection des projets, de leur mise en œuvre et de leur évaluation. Il n’y aura donc plus de crédits relatifs aux investissements d’avenir sur le budget de l’État à compter de l’année 2011.

Autrement dit, en votant la loi de finances pour 2011, le Parlement a accepté le versement des fonds sur le compte des opérateurs tout en renonçant à son droit de regard sur la destination de cet argent. Cet état de fait, la Cour des comptes l’a vivement dénoncé dans son dernier rapport sur la gestion budgétaire de l’Etat :

Ce programme exceptionnel [les Investissements d’avenir, NDLR] a été mis en place par l’intermédiaire d’un montage particulièrement hétérodoxe au regard des principes budgétaires. En outre, ces crédits ont été exclus du périmètre sur lequel est apprécié le respect de la norme d’évolution des dépenses de l’État. Ainsi conçu, le mécanisme des investissements d’avenir affectera durablement la lisibilité du solde budgétaire.

Au rang des problèmes induits par ce manque de transparence vient d’abord le financement de projets anciens par de nouveaux moyens. Des moyens, écrit la Cour des Comptes, qui financent parfois “des opérations antérieurement annoncées mais qui n’avaient pas obtenu de financements” et même qui remplacent “des crédits budgétaires annulés en gestion 2010 ou devant être réduits en 2011″.

L’absence de contrôle par le Parlement des crédits alloués pose également un problème d’équité territoriale. Le Programme “Investissements d’avenir” prévoit en effet de créer “5 à 10 initiatives d’excellence”. Soit 5 à 10 pôles sur le territoire métropolitain, concentrant une université, des centres de recherche et des entreprises.

Extrait de la plaquette du grand emprunt (cliquez our télécharger le PDF)

Extrait de la plaquette Grand emprunt (cliquez sur l'image pour télécharger le PDF)

Une situation décriée par le collectif “Sauvons l’université”, dans une lettre parue le 22 juin 2011 :

Est-il légitime, sans aucune consultation politique, de sélectionner une poignée de ces universités pour leur donner moyens et notoriété aux dépens des autres établissements de même nature ? (…) Telles sont les questions que la procédure du Grand Emprunt permettait soigneusement d’éviter. Des appels d’offre – à l’apparence objective et aux allures d’élitisme républicain – sont venus se substituer à une consultation nationale sur le rôle de l’Université ainsi que sur son implantation territoriale.

Des milliards pas encore dépensés

Au-delà de la traçabilité des crédits, c’est la nature même des fonds alloués qui pose question. Sur les 34,64 milliards d’euros que représentent les investissements d’avenir, une partie importante – 15,03 milliards – est en effet non consommable. En d’autres termes, l’Etat a placé cette somme sur un compte bancaire et seuls les intérêts issus de ce placement pourront être “consommés” par les opérateurs. Le tout, à un taux de 3,4 %.

Se défendant de spéculer sur les marchés financiers, le Gouvernement se montrait à l’époque très optimiste. Il tablait alors, comme l’indique le rapport du sénateur Philippe Marini daté du 9 février 2010, sur un déblocage de fonds issus du Grand emprunt de l’ordre de :

4 milliards d’euros par an de 2010 à 2014.

Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’occasion du Conseil des ministres du 25 avril dernier, François Fillon a affirmé que dans le cadre du Programme “Investissements d’avenir” :

Près de 900 projets ont été sélectionnés à ce stade, pour plus de 25 Md€ d’engagements.

25 milliards d’euros engagés. Mais pas décaissés. C’est-à-dire toujours en sommeil sur des comptes bancaires.

Selon un rapport parlementaire sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur publié en décembre dernier, seul 1,6007 milliard d’euros avait été effectivement décaissé au titre des “Investissements d’avenir” au 30 septembre 2011. Contacté par OWNI, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’a pas été en mesure de fournir de données plus récentes.

Les “22 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche” vantés dans la Lettre aux Français s’en trouvent, quoiqu’il en soit, nettement nuancés.


Illustration véritomètre par Loguy pour Owni /-) Illustration grand emprunt par Jean Carlu via la galerie Flickr de Kitchener Lord [CC-byncnd]

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Le terrorisme fantasmé de Marine Le Pen http://owni.fr/2012/04/19/le-terrorisme-fantasme-de-marine-le-pen/ http://owni.fr/2012/04/19/le-terrorisme-fantasme-de-marine-le-pen/#comments Thu, 19 Apr 2012 17:12:58 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=106951 OWNI. La candidate FN reste avant-dernière au classement OWNI-i>Télé de crédibilité des six principaux candidats à la présidentielle, devançant Nicolas Sarkozy de près d'un point.]]>

La gravité attire les six principaux candidats à la présidentielle présents dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de leurs déclarations chiffrées ou chiffrables.

Avec 43,4 % de crédibilité, Nicolas Sarkozy s’enfonce un peu plus à la dernière place, tandis que Marine Le Pen et François Bayrou jouent au coude-à-coude (44 % pour la candidate FN, 44,7 % pour celui du MoDem). Eva Joly perd quelques dixièmes de points et tombe à 58,7 %. Elle reste devant François Hollande (54,3 %) mais se détache un peu plus de la tête du classement, conservée par Jean-Luc Mélenchon avec 63,5 % de crédibilité.

Durant ces dernières 24 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 41 citations chiffrées des candidats à l’élection présidentielle. Résumé des quelques faits qui ont retenu notre attention.

Marine Le Pen islamise

Pour justifier l’amalgame entre immigration et terrorisme, rien ne vaut les chiffres. Et Marine Le Pen l’a bien compris. Dans la matinale de France Inter du 19 avril, tout en affirmant que “Mohammed Merah n’aurait pas été Français” si elle avait été aux affaires, la candidate FN a vu grand :

95 ou 97 ou 98 % des attentats qui sont commis aujourd’hui dans le monde entier sont le fait du fondamentalisme islamique !

A notre connaissance, le seul organisme officiel fournissant des données sur les attaques terroristes dans le monde vient des États-Unis. Il s’agit du Centre national du contre-terrorisme, qui classe notamment les attentats selon la nature de l’organisme revendicateur. L’équipe du Véritomètre a recensé les résultats pour l’année 2011 sur un graphique :

Et Marine Le Pen est très loin de la réalité. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011, sur les 10 309 attaques terroristes ayant eu lieu dans le monde, 56,3% ont été revendiquées par des islamistes radicaux. Soit 68,7% de moins que l’estimation avancée par la candidate FN.

A une échelle réduite, celle de la France, il en va tout autrement. L’équipe du Véritomètre avait déjà vérifié les données sur les revendications d’actes terroristes en France en 2010 à l’occasion d’une déclaration de Jean-Luc Mélenchon, dans un discours à Lille, le 27 mars. Sur les 84 actes terroristes recensés sur le sol français par l’agence Europol, aucun n’avait été revendiqué par un mouvement islamiste.

Le trop long contrat d’Eva Joly

Eva Joly place la fin de sa campagne sous le signe de la justice. Après avoir décrié – non sans un certain excès – le traitement fiscal de Liliane Bettencourt, la candidate Europe Ecologie – Les Verts s’en est prise aux Partenariats public-privé (PPP) dans les prisons à l’occasion de l’interview politique de Christophe Barbier sur i>Télé :

Il faut renouveler les bâtiments des prisons [...] mais les conditions dans lesquelles nous le faisons en France, en partenariats public-privé par exemple, qui grèvent nos budgets pour les 51 ans à venir, tout en assurant une rente à Bouygues, ne sont pas la bonne solution.

Les PPP pénitentiaires pointés du doigt par Eva Joly ont été institués par la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire. Une loi qui a permis de confier à un unique prestataire privé l’entretien et les services à la personne dans les établissements pénitentiaires, et qui fut effective à partir du début des années 1990.

La question n’est pas ici de savoir si ces PPP sont ou “ne sont pas la bonne solution”OWNI s’étant d’ailleurs souvent intéressé à la question -, mais plutôt de savoir si les contrats de délégation de service public dans les prisons peuvent effectivement durer “51 ans”.

La Cour des comptes s’est récemment intéressée aux PPP pénitentiaires, et notamment à leur durée. En lisant rapidement le rapport qu’elle a rendu en octobre 2011, on comprend que les contrats de PPP pénitentiaires déjà signés s’étendront au plus tard jusqu’en 2038. La période entre la date d’entrée en vigueur (1987) de la loi relative au service public pénitentiaire et 2038 dure bien 51 ans.

Sauf qu’aucun PPP pénitentiaire n’a été signé en 1987, les contrats venant à échéance en 2038 n’ayant débuté qu’en 2010, pour une durée donc, de 28 ans. Dans sa croisade contre les PPP, Eva Joly n’a donc pas hésité à exagérer les chiffres.

Jean-Luc Mélenchon en terrain accidenté

Pour son dernier grand discours en plein-air, en l’occurence sur la plage du Prado à Marseille, le 14 mars dernier, Jean-Luc Mélenchon s’est penché sur une donnée “dont on ne parle jamais” à son avis, les accidents du travail :

43 000 accidents du travail qui aboutissent à une invalidité totale.

Exact à 4,4% près, si l’on se base sur le rapport statistique 2011 (pages 2 et 3) de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Car, malgré une baisse par rapport à l’année 2009, 41 176 accidents du travail suivis d’une incapacité permanente sont intervenus en 2010 en France.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

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Bayrou désindustrialise à tout-va http://owni.fr/2012/04/13/bayrou-desindustrialise-a-tout-va/ http://owni.fr/2012/04/13/bayrou-desindustrialise-a-tout-va/#comments Fri, 13 Apr 2012 16:33:52 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=105917 OWNI se mobilisent. Et vous livrent un résumé du grand oral des six principaux prétendants, à retrouver sur Le Véritomètre. Morceaux choisis du passage de François Bayrou.]]>

Il en a fait le mot d’ordre de sa campagne, comme de son dernier grand rendez-vous télévisé. Dans l’émission Des paroles et des actes diffusée hier soir sur France 2, François Bayrou a une nouvelle fois brandi le slogan “produire en France”, à grand renfort d’arguments chiffrés. Et tous inexacts.

Rien de tel qu’une comparaison internationale pour convaincre du déclin de l’appareil industriel français. Habitué à l’Allemagne et à la Corée du Sud, le candidat du Mouvement Démocrate (MoDem) a cette fois-ci pris exemple sur l’Italie :

Nous avons 100 000 emplois à peine dans le textile. L’Italie en a 500 000.

En fait, le rapport entre le nombre d’emplois dans le textile en France et en Italie est de un à deux, plutôt que de un à cinq.

En 2009, comme le rapporte l’Observatoire des métiers de la mode, des textiles et des cuirs, 75 523 personnes étaient employées dans l’industrie textile française. Un chiffre à comparer aux 157 000 emplois en 2009 dans le même secteur en Italie, selon les données de l’Institut français de la mode.

S’il avait évoqué une tendance longue de désindustrialisation en France, François Bayrou aurait néanmoins été dans le juste. Car entre 2001 et 2010, le nombre d’emplois dans la branche textile a diminué de 46,1 % en France :

Nombre de salariés dans l'industrie textile en France

Perdu en forêt

Le textile n’est pas le seul secteur où la compétitivité de la France fait défaut, d’après le candidat MoDem. Exemple, assez original pour cette campagne présidentielle, sur la filière du bois :

Dans la filière bois, nous avons une forêt beaucoup plus grande que la forêt allemande, et beaucoup moins d’emplois que les Allemands : y’a 500 000 emplois qui manquent.

En parlant d’une “forêt beaucoup plus grande”, François Bayrou limite les dégâts et tient, de fait, des propos corrects. Car, dans un discours à Besançon, le 27 mars dernier, il annonçait une différence de superficie des forêts française et allemande de l’ordre de “20 %”, sous-estimant donc de 34,6 % l’étendue de la première.

Il en va différemment du nombre d’emplois dans la “filière bois”, c’est-à-dire dans les secteurs de la sylviculture et de la transformation du bois, dont la différence en Allemagne et en France s’affiche bien au-delà de 500 000.

Selon les données du ministère fédéral allemand de l’alimentation, de l’agriculture et de la protection des consommateurs, 1,2 million de personnes étaient employées dans cette filière en 2010.

Pour la France, les données officielles sont largement contradictoires, mais elles invalident dans tous les cas les propos de François Bayrou. Ainsi, selon la dernière étude intitulée “Le bois en chiffres” et publiée en 2008 par le ministère de l’Économie, les effectifs employés de la filière étaient 184 395 en 2007. Si l’on se base donc sur ces chiffres, la différence entre les effectifs employés dans la filière du bois en Allemagne et en France s’élève plutôt à 1,015 million qu’à “500 000”.

Autre donnée, issue cette fois du Comité national pour le développement du bois, un organisme soutenu par le ministère de l’Agriculture : 173 000 emplois existeraient dans la filière bois en France. Sans que l’on sache de quelle année date ce chiffrage.

Même imprécision, enfin, dans le rapport sur la mise en valeur de la forêt française et le développement de la filière bois publié en avril 2009, qui évaluait à 450 000 le nombre d’emplois dans la filière bois, sans préciser une seule méthode de comptage ni une seule source à l’origine de ces données.

Les approximations de François Bayrou auront au moins eu le mérite de mettre en lumière l’usine à gaz que constituent les données publiques sur la filière française du bois.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
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Marine Le Pen récidive sur l’IVG http://owni.fr/2012/04/12/le-grand-oral-recidiviste-de-marine-le-pen/ http://owni.fr/2012/04/12/le-grand-oral-recidiviste-de-marine-le-pen/#comments Thu, 12 Apr 2012 16:14:56 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=105663 OWNI se mobilisent. Et vous livrent un résumé du grand oral des six principaux prétendants, à retrouver sur Le Véritomètre. Morceaux choisis du passage de Marine Le Pen.]]>

16 minutes et 34 secondes. C’était le temps alloué à chacun des candidats pour convaincre 3,4 millions de téléspectateurs. Pour sa dernière grande interview télévisée, Marine Le Pen s’est de nouveau avancée sur ses thématiques de prédilection, la politique migratoire et le retour au franc. Tout en s’aventurant sur le terrain de données inédites, à propos de la contraception en France. La candidate du Front national (FN) y est donc allée de ses petits conseils :

En 2012, il y a quand même 15 moyens de contraception en amont pour éviter cela [une grossesse] !

La page d’accueil du portail du ministère de la Santé ChoisirSaContraception.fr recense 14 moyens contraceptifs existant en France. Avec quelques nuances, notamment concernant les “moyens naturels”, comme la méthode des températures, jugées “très imprécises et peu fiables”.

Il reste qu’avec son chiffre de “15 moyens de contraception” accessibles en France en 2012, Marine Le Pen tient des propos s’éloignant de 7,1% de la réalité, et donc imprécis selon le barème du Véritomètre.

Récidive sur l’IVG

C’était l’une des polémiques lancées par Marine Le Pen dans cette campagne : les avortements de complaisance. L’expression, alors vivement décriée tant par les professionnels de la santé que le monde politique, désignait les Interruptions volontaires de grossesses (IVG) multiples au cours de la vie de certaines femmes. Une pratique que la candidate FN est allée jusqu’à assimiler à un moyen de contraception. Et qu’elle propose de punir par le déremboursement de l’IVG.

Pour appuyer ses propos, Marine Le Pen s’est appuyé sur un article de presse :

Monsieur Moutel disait deux sur dix [avortements de complaisance] (…) dans Le Figaro.

Dans un article paru sur le journal Le Figaro du 25 février 2009, Grégoire Moutel, médecin en endocrinologie et médecine légale, a effectivement évoqué le chiffre de “deux [femmes] sur dix” ayant subi “deux ou trois avortements” au cours de leur vie féconde. Avant de se rétracter, et de répondre, dans le journal Le Monde daté du 15 mars 2012, que les “IVG récurrentes [représentaient] environ 3%” du total des IVG effectuées chaque année.

L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ne s’avance pas autant que le docteur Moutel. Dans son rapport intitulé La prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse et publié en octobre 2009, le service d’inspection des politiques sociales précise (page 38) qu’aucune “donnée fiable et objective” n’existe à propos des “IVG récurrentes” en France. Et de renchérir, comme pour répondre à la candidate FN :

Cette situation où les partis-pris et les impressions subjectives, souvent forgées à partir de cas particuliers, tendent à l’emporter sur l’analyse objective des données de fait reflète, au-delà de l’imperfection des statistiques qui n’est pas propre à l’IVG, la spécificité d’un sujet qui reste ‘pas tout à fait comme les autres’ : peu de questions de santé publique mettent autant en jeu des points de vue personnels éthiques, religieux, philosophiques, moraux et politiques.

Un rapport complémentaire de la même Igas, publiée lui aussi en octobre 2009, délivre ainsi une seule donnée à ce sujet : les IVG récurrentes en Martinique. Elles auraient représenté 8,5% du total des IVG du département.

Impossible de dire, donc, si la situation outre-mer reflète celle en métropole. Il semble en tout cas bien exagéré de la part de Marine Le Pen de parler de 20% d’IVG récurrentes chaque année dans le pays.


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Marine Le Pen se plante au Maroc http://owni.fr/2012/03/28/marine-le-pen-se-plante-au-maroc/ http://owni.fr/2012/03/28/marine-le-pen-se-plante-au-maroc/#comments Wed, 28 Mar 2012 17:21:08 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=103965 OWNI-i>TÉLÉ. En tête depuis dix jours, Jean-Luc Mélenchon creuse encore un peu plus l'écart, tandis que Marine Le Pen reprend sa chute au bas du classement.]]>

Le temps est au changement dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de toutes les déclarations chiffrées ou chiffrables des six principaux candidats à l’élection présidentielle. Pendant que Jean-Luc Mélenchon renforce ses positions à la tête du classement – avec 63,4% de crédibilité, François Bayrou s’éloigne à nouveau de la troisième place occupée par François Hollande.

Ces dernières 24 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 42 citations chiffrées des candidats à la présidentielle.

C’est une chronique un peu spéciale que nous vous proposons aujourd’hui, puisqu’elle concerne les “serpents de mer du Véritomètre”, ces données introuvables dont l’équipe n’aurait réussi à se départir sans une précieuse aide, celle des internautes que nous avons interpellés sur Twitter et Facebook.

Manque de culture marocaine chez Marine Le Pen

Pour illustrer le manque de compétitivité de l’agriculture française, Marine Le Pen a choisi d’estimer le coût horaire du travail agricole au Maroc. Lors de son marathon télévisé dans l’émission Parole de candidat, le 5 mars dernier, elle déclarait ainsi :

Les Marocains, ils sont payés cinq euros de l’heure, les ouvriers agricoles marocains.

Une statistique que l’équipe du Véritomètre avait tenté de chercher sur les sites du Haut commissariat marocain au Plan, de l’ambassade de France au Maroc ou encore de la Banque mondiale. En vain. La solution s’est avérée plus simple, elle nous a été soufflée par @Brevesdetrott, qui a eu la bonne idée de fouiller le site du ministère marocain de l’Emploi et de la Formation professionnelle.

Résultat : la candidate du Front national surestime très largement le coût du travail agricole de l’autre côté de la Méditerranée. La statistique que nous avons trouvée et qui se rapproche le plus du chiffre évoqué par Marine Le Pen est celle du salaire minimum journalier dans l’agriculture, sur le site du ministère marocain de l’Emploi, donc. Il s’élevait à 60,63 dirhams en 2011, soit environ 5,5 euros de 2011, si l’on s’en tient au taux de change donné par le ministère des Affaires étrangères. Les ouvriers agricoles marocains ne sont donc pas payés près de 5 euros par heure, mais par jour.

Dans sa volonté de décrire le défaut de compétitivité de la France face au Maroc, Marine Le Pen eût été mieux avisée de ne pas surestimer le coût du travail agricole outre-Méditerranée.

Nicolas Sarkozy bride l’export

C’était l’une des premières interventions vérifiées par l’équipe du Véritomètre, l’interview sur huit chaînes de télévision du Président – encore présumé candidat – le 29 janvier 2012. Nicolas Sarkozy avait alors choisi de privilégier “l’exemple allemand”, comme OWNI le décryptait le lendemain, qui fait bien mieux que la France à l’export :

Nous avons 100 000 entreprises qui exportent en France.

Avec une précision digne des plus fervents vérificateurs de données, @Keyridan a sorti de terre pas moins de quatre statistiques différentes sur le nombre d’entreprises françaises qui travaillent à l’exportation. Celle que nous avons retenue provient d’une étude du ministère des Finances [PDF], publiée en août 2011, qui évaluait leur nombre à 125 111 en 2010 (page 4). Soit 20,1% de moins que l’estimation de Nicolas Sarkozy, qui manque décidément de confiance en l’appareil exportateur français.

François Hollande n’aime pas les riches

L’UMP a pour habitude de lui rappeler, François Hollande avait bel et bien déclaré en 2006 : “Je n’aime pas les riches, j’en conviens”. Six ans plus tard, et avec un peu plus de diplomatie, le candidat socialiste s’en prend d’abord aux plus aisés qui délaissent la France, les exilés fiscaux. Dont il dit, dans une interview à RTL, le 29 février dernier :

Le bouclier fiscal il avait été inventé par Nicolas Sarkozy pour faire revenir des capitaux.. Aucun n’est revenu !

Le désormais célèbre “bouclier fiscal” désigne la mesure instaurée par la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA), et limitant à 50% de ses revenus le maximum d’impôts directs payés par un contribuable, contre 60% auparavant.

Bien que supprimé depuis, les incidences du bouclier fiscal restent difficiles à estimer, notamment pour l’équipe du Véritomètre qui n’avait trouvé aucune donnée officielle à l’époque de cette vérification.

Heureusement, @arnocast nous a mis sur la piste d’un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de mai 2011 [PDF], et mentionnant le solde de départs et de retours en France de contribuables assujettis à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ses résultats (page 294) confirment ici le propos de François Hollande. Pour le début du quinquennat, du moins – des données plus récentes n’étant pas encore disponibles -, 982 contribuables qui payaient l’ISF ont quitté la France en 2007 et 2008.


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87 000 prisonniers perdus http://owni.fr/2012/03/26/87-000-prisonniers-perdus/ http://owni.fr/2012/03/26/87-000-prisonniers-perdus/#comments Mon, 26 Mar 2012 07:55:13 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=103102 OWNI est parti à la recherche de ces prisonniers, pas perdus pour tout le monde. ]]>

Maison d'arrêt de la Santé. Paris Surveillants fermant la grille d'accès à la cour de promenade © Olivier Aubert/Picture Tank

C’est l’histoire d’un chiffre à succès. Répété à l’envi, du Front national à l’UMP, pour justifier la multiplication du nombre de prisons en France. Un chiffre qui impressionne. Et qui trompe. Ce chiffre, c’est celui des peines de prisons en attente d’exécution. Le ministre de la Justice, Michel Mercier, parle de :

87 000, au 31 décembre dernier

Donc 87 000 personnes en France dont la condamnation a été prononcée par un juge mais n’est pas encore appliquée. Bien plus que le nombre de places opérationnelles dans les prisons du pays, 57 213 au 1er mars 2012, selon le ministère de la Justice.

L’argument est imparable pour qui veut convaincre de la nécessité d’agrandir le parc carcéral français, à commencer par Marine Le Pen, qui préfère parler de “peines prononcées qui n’ont jamais été exécutées” ou de “peines qui ne sont jamais appliquées” plutôt que de peines “en attente d’exécution”. Avant de lancer cette proposition :

Créer dans les plus brefs délais, 40 000 nouvelles places de prison.

Mais la réalité des peines de prison en attente d’exécution est plus complexe. Seules 4,2% d’entre elles présentaient une durée supérieure à un an et deux mois en juin 2011. Un détail qui a son importance.

Petites peines

Car depuis la loi pénitentiaire n° 2009-1436 votée le 24 novembre 2009, les peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement – contre un an auparavant – sont aménageables, c’est-à-dire exécutables sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. Si le seuil à un an reste malgré tout maintenu pour les personnes récidivistes, la loi pénitentiaire de 2009 a engagé une petite révolution en matière d’application des peines, avec pour but avoué le désengorgement des prisons.

La France carcérale

La France carcérale

Maison d'arrêt de Béthune, taux d'occupation carcérale : 216%. Faa'a Nuutania, Polynésie Française : 235%. Prison par ...

Une révolution qui n’a pas plu à tout le monde, et notamment au député Eric Ciotti. Dans son rapport sur le renforcement de l’efficacité des peines, il écrit ainsi que la possibilité d’aménager des peines inférieures à deux ans “n’est légitimement ni comprise, ni admise par la plupart de nos concitoyens”. D’où la proposition n°33 de son rapport visant à supprimer purement et simplement les avancées permises par la loi pénitentiaire de 2009.

La proposition n°33 n’a pas été retenue dans le projet de loi sur l’exécution des peines voté le 29 février dernier par l’Assemblée nationale et validé le 22 mars par le Conseil constitutionnel. L’avenir de l’aménagement des peines reste pourtant incertain.

En juin dernier, sur les 85 600 peines en attente d’exécution, plus de 82 000 étaient aménageables. Mais pas aménagées. Comme l’indique le rapport d’Eric Ciotti, seules “9 774 personnes bénéficient d’un aménagement de peine sous écrou” au 1er mai 2011.

Interrogée par OWNI sur cet écart entre les peines qui pourraient être aménagées et celles qui le sont réellement, la sénatrice Nicole Borvo, rapporteure du Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, a une explication simple :

Le passage devant le juge de l’application des peines [chargé de décider de l’aménagement d’une peine, NDLR] est beaucoup trop long en France. Des gens sont condamnés mais attendent des mois avant de savoir s’ils vont finalement aller en prison, les services d’application des peines sont débordés, bref, on manque de moyens.

Dans l’annexe du projet de loi sur l’exécution des peines figurent les mesures qui seront engagées pour “garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées”. L’augmentation des moyens accordés aux services d’application des peines arrive en dernière position, 400 postes devant être créés d’ici à 2017 dans les juridictions et les bureaux d’exécution des peines. La priorité est ailleurs dans le projet de loi : “porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places”.

45 000 condamnations de plus

Plus largement, la construction de nouvelles prisons légitimée par le nombre de peines en attente d’exécution amène à une réflexion sur le sens des courtes peines. L’étude d’impact du projet de loi relatif à l’exécution des peines avouait elle-même que “les peines d’une durée inférieure ou égale à 3 mois constituent la moitié du stock des peines en attente d’exécution”.

De quoi rendre dubitatif le sénateur Jean-René Lecerf, qui s’exprimait ainsi lors de l’examen du projet de loi au Sénat :

Mais de quoi parle-t-on ? La moitié de ces peines en attente d’exécution sont égales ou inférieures à trois mois. Quelle est la signification d’une peine de trois mois ?

Et Nicole Borvo de renchérir :

Les courtes périodes d’incarcération n’ont aucun effet en matière de réinsertion. Elles n’ont aucune valeur ‘pédagogique’.

Pour la fermeture des prisons

Pour la fermeture des prisons

La prison n'a toujours pas atteint les objectifs fixés il y a plus de deux siècles. Elle reste le lieu de l'inhumain, de ...

Le poids de ces courtes peines est à mettre en parallèle avec l’augmentation des condamnations ces dernières années : 45 129 de plus au cours de la décennie 2000, d’après les chiffres de l’Insee. Une évolution dont tient compte le projet de loi sur l’exécution des peines puisque son “scénario le plus probable” prévoit l’augmentation de “2% par an en moyenne des condamnations à des peines privatives de liberté”.

Le 6 mars dernier, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel pour juger la conformité du projet de loi sur l’exécution des peines à la Constitution. Un texte que la Haute juridiction a finalement validé en l’état, la semaine dernière, le 22 mars. Les parlementaires ne l’attaquaient que sur les partenariats avec le secteur privé envisagés par la loi pour permettre de disposer des places supplémentaires.

Une décision qui résonne comme une excellente nouvelle pour les rois du BTP carcéral, Bouygues, Eiffages et GDF-Suez en tête, dont les Partenariats public-privé (PPP) sur 24 000 places de prison supplémentaires pourront représenter de beaux profits.


Photographie par Olivier Aubert / Picture Tank © tous droits réservés

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http://owni.fr/2012/03/26/87-000-prisonniers-perdus/feed/ 5
Un nuage de protestations http://owni.fr/2012/02/20/le-nuage-de-protestations-qui-vient/ http://owni.fr/2012/02/20/le-nuage-de-protestations-qui-vient/#comments Sun, 19 Feb 2012 23:23:00 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=98746 Occupy hiberne. Loin de constater un désamour, ses partisans se préparent à mieux ressurgir au printemps. Une hypothèse très crédible pour les chercheurs en sciences sociales, qui s'expliquerait par la notion de cloud protesting. Ou nuage de protestations.]]>

Restructuration. Le terme revient sans cesse. De New York à Paris, en passant par Montréal et Londres, les activistes du mouvement Occupy contactés par OWNI l’assurent : leur détermination n’a pas faibli, mais il est temps de redéfinir les cibles de la contestation.

Lancé il y a cinq mois, le mot d’ordre des “99%” fait sans aucun doute partie d’un certain imaginaire collectif aujourd’hui. Pas de porte-parole, pas de structure, pas de programme politique mais une revendication unique – celle de la lutte contre les inégalités résultant du système capitaliste. Autant de spécificités qui font d’Occupy un mouvement social à part. Un mouvement en apparence uni, “pour le peuple et par le peuple”. Naomi, une activiste d’Occupy the London Stock Exchange - la bourse londonienne -, résume :

Jamais je n’aurais imaginé qu’une idée politique puisse entraîner un tel enthousiasme collectif.

Mais l’unité d’Occupy s’arrête là. Derrière l’enthousiasme et l’espoir, c’est une crise existentielle qui est en train de se vivre chez ses militants. Car, un peu à la manière des Anonymous, la bannière “Occupy” est utilisée pour des motifs variés, parfois trop.

Même si, globalement, l’étiquette “Occupy” accompagne des actions de plus en plus ciblées. En témoigne la dernière campagne lancée sur le site de Occupy Wall Street - le site historique du mouvement – appelant à occuper le siège du géant américain de la téléphonie AT&T, après l’annonce de la suppression de centaines d’emplois.

C’est d’abord sur Facebook et Twitter que la variété du mouvement s’exprime. Des pages aussi farfelues qu’Occupy Bacon (Occupons le bacon) ou Occupy Your Mom (Occupons ta maman) ont ainsi vu le jour et sont parvenues à intéresser des centaines d’internautes. Dans un registre plus sérieux, la marque Occupy a été mise au service de causes écologiques comme le barrage du Belo Monte au Brésil, ou – plus près de chez nous -, avec Occupy Tricastin, du nom du fameux site nucléaire du Sud-Est de la France.

Si cette diversité n’écorne pas nécessairement la réputation du mouvement, elle révèle toutefois à quel point il est simple de revendiquer son appartenance à Occupy à l’heure d’Internet. Une ouverture que Stefania Milan, chercheur au Citizen Lab de l’Université de Toronto, analyse en posant la notion de “cloud-protesting”, c’est-à-dire “nuage de protestations”, comme elle l’a fait le 10 février dernier lors d’une présentation de ses travaux :

Dans l’univers numérique, le nuage désigne un ensemble de services accessibles depuis Internet [par exemple des capacités de stockage, NDLR]. De la même manière, les mobilisations contemporaines comme Occupy peuvent être perçues comme le résultat d’un nuage de protestations, donc un ensemble de pratiques, de narrations, de signes identitaires (…) Ils peuvent être repris et adaptés par n’importe quel individu (…) Les médias sociaux, les plateformes et les diverses applications confèrent à cette réalité un nouveau dynamisme.

Cette démultiplication d’occurrences en lien avec Occupy pourrait indiquer un soutien massif du public à l’égard du mouvement. Mais sur Internet, et plus généralement dans les campements, c’est un public déjà très politisé, souvent issu de réseaux activistes pré-existants, et très à l’aise avec les réseaux sociaux qui s’exprime.

Occupy est donc bel et bien un mouvement sans leader, sans “entrepreneur de mobilisation” comme le disent les sociologues. Les profils sociologiques qui s’y croisent sont pourtant moins hétérogènes qu’il n’y paraît : les plus fidèles membres d’Occupy sont très souvent issus de mouvements politiques préexistants. Et derrière le bazar apparent de l’écosystème Occupy, nombreuses sont les tentatives de recadrage de la contestation, car, comme l’indique Stefania Milan :

Internet est devenu un moteur dans la production de règles pour Occupy.

Méthode

Les internautes qui se nichent derrière les plus célèbres sites Internet du mouvement n’ont jamais établi un corpus de lois contraignantes pour autant. La seule règle qui vaille est celle de “l’échange de bons procédés”.

Ainsi est née la plate-forme HowToOccupy.org et son slogan : “Techniques de base pour un changement mondial”. Comment démarrer une révolution pacifique ? Que faire en cas d’arrestation et d’interrogatoire par la police ?  Comment entretenir un jardin communautaire ? Autant de questions auxquelles des anonymes répondent de manière pédagogique, en s’appuyant sur les exemples des révolutions dans le monde arabe ou des assemblées de rue du printemps dernier en Espagne.

Des conseils techniques très spécialisés ont également vu le jour. On peut par exemple apprendre à sécuriser ses données informatiques pour éviter la cybersurveillance ou encore développer des stratégies pour “filmer une révolution” avec cette vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Parfois, un seul extrait vidéo peut suffire à alerter le public sur le degré de tyrannie de nos régimes. Qui le filme ? Pas les médias, trop gros et trop lents, mais vous, citoyens, avec votre propre caméra (…) Big Brother, nous te regardons.

Occupy a d’ailleurs très vite compris l’intérêt du visuel. Occupy Design, par exemple,  a vu le jour pour doter la contestation d’un “langage visuel”. Il rassemble une large variété de contributions de designers professionnels ou amateurs, qui vont des visualisations de données sur l’inégale répartition des richesse aux embèmes du mouvement  comme le poing fermé ou le taureau de Wall Street. Dans un registre plus artistique, Occuprint s’est proposé de rassembler des centaines de posters sur la contestation.

Plus largement, c’est le dialogue entre les campements qui est nettement mis en avant sur Internet. Interoccupy, par exemple, se propose d’organiser une conversation téléphonique géante tous les lundis soirs pouvant réunir“plus de 500 personnes”. De son côté, Occupy Together répertorie les centaines d’occupations existantes dans le monde et propose de créer des “actions de solidarité locales près de chez vous”.

Pas de “bureau politique” international des occupations, donc. Mais de multiples efforts d’identification commune, de dialogue, voire de centralisation. Reste que les administrateurs de toutes ces plates-formes le précisent tous : ils ne sont pas les porte-paroles ou les représentants du mouvement. D’ailleurs, les adresses mail destinées aux contacts avec la presse renvoient toujours vers un occupant qui signe en son nom et donc pas au nom du collectif.

Le défi majeur qui se pose désormais devant Occupy est justement d’enfin réunir le collectif. Comme le note Catherine Sauviat, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales :

Occupy Wall Street a marqué une étape dans l’histoire de la contestation sociale aux États-Unis. Mais il n’a pas encore mordu sur le monde du travail, les syndicats, et les populations noires défavorisées.

Quand on les interroge sur l’avenir du mouvement, les occupants new-yorkais comme parisiens se disent confiants. Pour Mark, d’Occupy Wall Street, “beaucoup de gens cherchent une échappatoire à leur frustration envers ce système injuste, c’est pourquoi on continue à gagner des soutiens de jour en jour”. Nico, qui gère les contacts avec la presse pour Occupy France, ajoute :

Ce n’est même pas une question de confiance, c’est là, c’est tout. Je ne pense pas que le mouvement s’éteigne de lui-même, tant que les problèmes soulevés par Occupy perdureront, l’esprit d’Occupy perdurera. Et puis, il ne faut pas oublier que le sentiment de liberté qu’on ressent dans les occupations est hautement addictif, on continue aussi parce qu’on aime ça.

À l’occasion des cinq mois du mouvement, une vidéo compilant des dizaines de photos des slogans d’Occupy a été publiée sur Facebook. L’un d’entre eux, reprenant les mots d’Alexandre Dubcek, sonne comme un avertissement :

Vous pouvez écraser les fleurs, mais vous n’arrêterez pas le printemps.


Illustrations [CC BY-NC-SA] de Nathan M et de McMillian-Furlow pour OccupyTogether.org

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Déchiffrer l’insécurité http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/ http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/#comments Thu, 09 Feb 2012 23:02:59 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=97918

De l’UMP au Front national, le chiffre circule depuis près de deux ans dans les discours. Et il a la dent dure. Le crime et la délinquance coûteraient chaque année 115 milliards d’euros. Soit 5,3% du PIB, la somme des valeurs produites par la France en un an. Au point que Marine Le Pen intègre ce coût dans le chiffrage de son programme présidentiel :

Le rapport Bichot avait chiffré en 2009 le coût de l’insécurité à 115 milliards d’euros par an.

C’est donc d’un obscur “rapport Bichot” que Marine Le Pen tire le principal argument chiffré pour sa politique sécuritaire. Du nom de Jacques Bichot, que Le Figaro présente comme un professeur émérite de l’université Lyon III, et dont ledit rapport a été publié par l’Institut pour la justice (IPJ), un think tank sécuritaire dont l’UMP ne renie pas les idées.

Préjudice diffus

Publié en avril 2010, le rapport de Jacques Bichot intitulé Le coût du crime et de la délinquance” [PDF] prend en fait un peu plus de précautions que Marine Le Pen – mais dans les formes seulement. Dès l’introduction, l’auteur précise qu’il s’est livré à “une évaluation prudente” du coût de la délinquance, mesuré entre juillet 2008 et juin 2009. Sans concéder cependant que ses calculs agrègent les données les plus fantaisistes, avec des données se rapportant à des crimes et à des délits bien réels.

Ainsi, l’auteur entreprend (p.24) de quantifier financièrement le sentiment d’insécurité créé par les crimes et les délits chez les 50 millions d’adultes Français.

Il faut enfin évaluer les externalités – notamment le sentiment d’insécurité engendré par les homicides. Celui-ci peut varier selon les périodes, et selon la médiatisation des faits. S’il se produit des attentats terroristes meurtriers, la crainte peut augmenter sensiblement. Dans la situation actuelle, l’estimation sera modeste : on peut faire l’hypothèse qu’en moyenne chacun des 50 millions d’adultes donnerait bien dix euros par an si cela permettait de réduire fortement le nombre des homicides. Soit 500 millions d’euros pour le préjudice diffus d’insécurité.

Et un tel sentiment d’insécurité engendre de menues dépenses. Dans les fameux 115 milliards d’euros sont ainsi compris les frais privés de sécurité. Qui atteignent tout de même les 2 milliards d’euros. Une estimation qui comprend par exemple l’achat d’un chien (ou d’un système d’alarme) car “beaucoup de ménages comptent en partie sur leur chien pour les protéger contre les visites importunes”. Ami des bêtes, Jacques Bichot explore toutes les pistes et cherche à se montrer pondéré. Exemple dans les dépenses liées aux atteintes à l’environnement, plutôt gonflées, il soustrait une “infraction d’utilité publique” constituée par le braconnage des sangliers :

“S’agissant du sanglier, cet animal inflige de graves nuisances aux humains sur les jardins desquels il jette son dévolu : lorsque cette espèce prolifique se multiplie sans que l’administration relève les quotas de prises comme cela serait son devoir, ceux qui expédient, fut-ce illégalement, quelques sangliers dans nos assiettes, protègent en fait l’environnement”

La délinquance informatique n’échappe pas non plus à son expertise. D’après lui, les ménages dépenseraient ainsi 4,1 milliards d’euros par an pour se prémunir de “messages spams non infectés”. Qu’il intègre au coût de l’insécurité en France. La démonstration est sans appel :

“Le spam non infecté (…) se traduit par un grand gaspillage de temps – et la perte de messages utiles confondus avec les indésirables. Une demi-heure perdue par semaine, 50 semaines par an, cela fait 25 heures par internaute, soit environ 250 euros de préjudice direct.”

En y ajoutant pêle-mêle une estimation de la production marchande et non-marchande qui aurait pu être réalisée par la victime d’un meurtre, si elle n’avait été trucidée, et l’addition atteint vite des sommets.

Cependant, l’ensemble du travail profite d’un vernis de crédibilité, déposé lorsque l’auteur évalue les conséquences financières de crimes bien réels. Jacques Bichot consacre ainsi de longs développements au coût des viols perpétrés chaque année en France (p.25). Il affirme :

Mettre un équivalent monétaire sur un viol est évidemment une gageure. Basons-nous sur le « tarif » appliqué aux blessés hospitalisés des accidents de la route : les séquelles ne sont certainement pas moindres dans le cas d’un viol, blessure dont la cicatrisation est particulièrement difficile, sinon impossible, et qui s’accompagne dans certains cas de la peur de représailles exercées par le criminel dénoncé à la Justice. Sur cette base on obtient :
134 000 euros x 15 000 = 2 010 millions d’euros

Deux milliards d’euros par an pour ”une estimation prudente de 15 000 viols”, puisque Jacques Bichot additionne les viols sur mineurs, les viols sur majeurs. Mais surtout les viols pour lesquels les victimes n’ont pas porté plainte – et qui ne sont donc pas estimables puisqu’ils ne figurent dans aucune base de données ministérielle (bien que leur réalité ne soit pas contestable, il semble difficile de les inclure dans un tel exercice statistique). S’agissant des conséquences, il propose de chiffrer le coût du “sentiment d’insécurité sexuelle” :

“Le sentiment d’insécurité est évidemment très différent selon que l’on est homme ou femme, jeune ou vieux – encore que les viols de personnes âgées ne soient pas tellement rares ; selon que l’on habite à tel ou tel endroit et que l’on effectue tel ou tel trajet pour se rendre à l’école ou au travail ; selon que l’on a tel ou tel entourage à l’école, au travail, à la maison de repos ou de retraite. (…) Les Français donneraient probablement plus pour éradiquer la menace sexuelle que la menace vitale – disons deux fois plus, ce qui fait monter à 1 milliard d’euros le coût de l’insécurité sexuelle.”

Lobbying de la peur

Le rapport Bichot a donc été diffusé par l’IPJ, une “association fondée par des citoyens soucieux de lutter contre les dysfonctionnements de la justice pénale”, comme l’indique sa page de présentation. Comme le remarquait le site Slate.fr en novembre dernier, l’IPJ a usé d’un lobbying intensif en matière de “durcissement des peines de prison et de lutte contre la récidive”, au point d’être reçu par le ministre de la Justice suite à “l’affaire Laetitia”, à Pornic, en mai 2011.

Plus largement, l’IPJ a acquis une “légitimité auprès des élus de droite”. Parmi lesquels Nicolas Dupont-Aignant, candidat à l’élection présidentielle du parti Debout la république, Eric Ciotti, conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, ou encore des membres du Front national.

Jacques Bichot, lui, dans un livre intitulé Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l’anti-crise (éd. AFSP/L’Harmattan), à paraître le 11 février prochain, publie une défense en bonne et due forme du parti d’extrême droite :

“Cette formation politique [le Front national, NDLR], dont le Président a recueilli entre 10 % et 17 % des voix aux quatre dernières élections présidentielles, fait l’objet d’un fort ostracisme de la part de ceux qui se disent « républicains ». (…) Si d’aventure, sur un sujet particulier, quelqu’un a des positions assez voisines de celles du Front national, il doit au minimum, pour rester « politiquement correct », expliquer que cela ne signifie en aucune manière qu’il soit sympathisant de cette organisation, et en dénoncer le caractère fascisant.”

Ancien Président de Familles de France, Jacques Bichot est également une “personnalité amie” de l’Association pour la fondation de service politique, qui vise à défendre la “parole des chrétiens dans les grands débats de société”. Il y côtoie notamment des députés du Mouvement pour la France, le parti souverainiste dirigé par Philippe de Villiers. Loin de cacher ses amitiés pour les thèses monarchistes, Jacques Bichot accorda d’ailleurs une interview au journal de l’Action française le 13 juillet 1993.

Lors d’un discours sur l’insécurité aux dernières Journées d’été du Front national, Marine Le Pen louait la “récente étude de Jacques Bichot, économiste et professeur émérite à Lyon III”. L’aura des 115 milliards d’euros n’aura pas fait mouche qu’au parti frontiste cependant. Son coût de la délinquance a servi d’amorce à la mission parlementaire sur la prévention de la délinquance publiée en décembre 2010. Et rédigée par Jacques-Alain Bénisti, député UMP du Val-de-Marne, à la demande du Premier ministre François Fillon.


Illustration et couverture par Loguy pour OWNI

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