OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Insécurité ou sentiment d’insécurité ? http://owni.fr/2011/05/09/insecurite-ou-sentiment-d%e2%80%99insecurite/ http://owni.fr/2011/05/09/insecurite-ou-sentiment-d%e2%80%99insecurite/#comments Mon, 09 May 2011 11:07:01 +0000 Laurent Mucchielli http://owni.fr/?p=61874 Si l’on admet (au moins provisoirement) que les problèmes de sécurité que l’on croit sans cesse nouveaux sont en réalité (hélas) classiques et que rien ne prouve qu’ils soient particulièrement plus intenses aujourd’hui par rapport à il y a vingt ans, alors d’où vient que notre “ressenti” nous amène à penser l’inverse ? L’insécurité et le sentiment d’insécurité sont-ils une seule et même chose, ou pas?

Telles sont les questions qui nous ont été posées dans quelques commentaires d’un billet précédent. Dans les mois qui viennent, nous aurons l’occasion de revenir en détail sur le diagnostic des problèmes et de leur évolution dans le temps. Mais pour l’heure, nous pouvons apporter quelques éléments de réponse en cherchant à savoir ce qu’est le sentiment d’insécurité, du point de vue des recherches sociologiques.

Une confusion logique et permanente

Dans quantité de discours et de représentations de la sécurité ou de “l’insécurité”, se confondent en réalité trois choses :

1) les opinions générales sur l’importance du “problème de la sécurité” en France,

2) les peurs sur sa sécurité personnelle ou celle de sa famille,

3) l’expérience réelle de la victimation.

Or il s’agit de trois choses différentes, qui sont toutes les trois identifiées et mesurées par des enquêtes. Selon la façon dont la question est posée dans l’enquête ou le sondage, l’on peut interroger l’une ou l’autre de ces trois choses, et s’apercevoir de leurs différences.

Ainsi, l’on peut d’abord interroger les opinions sur l’état de la sécurité ou sur son évolution : “pensez-vous que la sécurité est un problème prioritaire ?”, ou bien  “diriez-vous que la sécurité se dégrade dans notre société ?”. L’on recueille alors une opinion générale, qui a deux caractéristiques importantes.

La première est qu’elle fluctue beaucoup selon les périodes : en 2002, au plus fort de la campagne électorale marquée par le thème de la sécurité, près de 60 % des personnes sondées déclaraient que la sécurité devait être une priorité du gouvernement. Lors de la campagne électorale de 2007, les personnes interrogées sur la même question étaient quatre fois moins nombreuses à faire la même réponse (environ 13 %).
La seconde caractéristique est que la majorité des personnes qui expriment cette préoccupation déclarent dans le même temps qu’elles ne se sentent pas personnellement menacées dans leur vie quotidienne. On comprend ici la différence existant entre une opinion générale à connotation politique et à forte variation selon le contexte et par ailleurs un ressenti beaucoup plus stable et personnalisé (environ 8 % des personnes interrogées dans l’enquête menée en région Ile-de-France déclarent ainsi avoir peur chez elles, au début comme à la fin des années 2000).

Mais ceci ne veut pas dire que ce ressenti est lui-même objectif au sens où il traduirait une exposition à une insécurité réelle, un risque quotidien dans sa vie personnelle. Le ressenti ou la peur personnelle sont donc à leur tour en bonne partie différents de la réalité de la victimation. Certes, les enquêtes montrent que le fait d’avoir été victime de quelque chose accroît logiquement la peur que cela recommence. Pour autant, elles montrent aussi que la majorité des personnes qui déclarent avoir parfois peur dans leur vie quotidienne déclarent également ne pas avoir été victimes de quoi que ce soit. Le sentiment d’insécurité exprime donc principalement autre chose que l’expérience de la victimation, il exprime d’abord une vulnérabilité. La peur est ainsi liée à l’âge (les personnes âgées ont davantage peur, même si il ne leur est rien arrivé), au sexe (les femmes ont davantage peur que les hommes) et au niveau social (la précarité accroît la peur). Par ailleurs, les enquêtes montrent également que, s’agissant de leur quartier, la peur d’une partie de nos concitoyens est alimentée par ce qui leur apparaît comme des signes extérieurs de désordre et d’abandon : d’abord le bruit, la saleté, les tags, les dégradations, ensuite les regroupements de jeunes et la présence de drogue. La peur est ainsi plus forte chez les habitants des quartiers populaires où sont concentrés ces signes.

Vulnérabilités individuelles et collectives

Enfin, au-delà des enquêtes statistiques, quelques études de terrain réalisées ces deux dernières années dans des petites villes de province nous ont montré que le sentiment d’insécurité est lié à des vulnérabilités encore plus profondes et plus collectives.

Il semble lié à l’évolution de nos modes de vie et aux transformations qui touchent le peuplement des territoires. Expliquons-nous. Le sentiment d’insécurité apparaît historiquement comme une composante de l’anonymat et de la solitude de la ville, par opposition à l’inter-connaissance et à la solidarité communautaire du village rural : en ville, ne pas connaître ses voisins est courant et l’anonymat est la règle dans les transports en commun. Après l’accroissement de la taille des villes, depuis le milieu des années 1970, l’urbanisation se poursuit en raison du développement de la périurbanisation (ou étalement urbain), c’est-à-dire essentiellement de l’urbanisation de zones anciennement rurales à proximité des métropoles. Ces modes de vie périurbains séparent toujours plus le lieu d’habitat familial du lieu de travail et souvent des équipements scolaires et des lieux de consommation (base de loisirs, hypermarchés, etc.).

Anonyme, la vie périurbaine ne s’accompagne d’aucune reconstruction de dynamique communautaire. Même regroupés en fonction de leurs niveaux de revenus dans des résidences de petits immeubles ou dans des quartiers pavillonnaires, les habitants ne partagent souvent guère plus que cette proximité économique et spatiale. Et, dans les petites et moyennes villes, des croissances particulièrement rapides de la population peuvent provoquer des sentiments de perte de repères et d’identité locale qui semblent renforcer encore ce sentiment d’insécurité. De même, l’étalement urbain peut amener un ancien village à devenir progressivement la banlieue d’une grande ville, ce qui génère une peur d’être comme “absorbé” par cette grande ville et rattrapé par ses problèmes, notamment sa forte délinquance ou ce que l’on croit être sa forte délinquance.

A côté de l’étude des problèmes bien réels de délinquance et des risques très concrets de victimation, il faut donc reconnaître et analyser le sentiment d’insécurité comme une question à part entière ayant ses logiques propres. Les deux choses ne doivent être ni opposées ni confondues, mais prises en compte toutes les deux, avec des outils d’analyse propres à chacune.

Pour aller plus loin

  • Hélène Heurtel, Enquête « victimation & sentiment d’insécurité en Île-de-France » en 2009, Paris, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France, 2009 (à lire ici).
  • Sophie Nevanen, Philippe Robert, Renée Zauberman, Cadre de vie et sécurité. Analyse des enquêtes pour 2005-2006 et 2006-2007, CESDIP, « Etudes et données pénales » n° 107, 2010 2ème édition (à lire ici).
  • Philippe Robert, L’insécurité en France, Paris, La Découverte, 2002.
  • Laurent Mucchielli, « Le décalage entre le sentiment d’insécurité et la victimation réelle des personnes âgées », Délinquance, justice et autres questions de société (2010).

Article initialement publié sur le Monde.fr et le blog de Laurent Mucchielli, sous le titre “Insécurité ou sentiment d’insécurité ?”

Illustrations CC FlickR: (e)Spry, Dolarz

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La com’ rituelle du ministre de l’Intérieur http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/ http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/#comments Tue, 25 Jan 2011 11:09:09 +0000 Laurent Mucchielli http://owni.fr/?p=43800 Comme chaque année, le ministre de l’Intérieur fait sa com’ en annonçant au mois de janvier les prétendus « chiffres de la délinquance » de l’année écoulée. Le quotidien pro-gouvernemental Le Figaro en a eu la primeur, l’interview du ministre étant reprise sur le site officiel du ministère.

Bien entendu, les choses sont globalement positives, il ne saurait en être autrement. Depuis 2002 tout va mieux, tandis qu’avant c’était naturellement la catastrophe. En 2010, on constate des progrès qui sont entièrement dus aux décisions prises par le ministre. Et s’il reste des problèmes, soyons rassurés : le ministre a déjà pris les décisions qui s’imposaient pour 2011. On n’est pas loin d’Alice au pays des merveilles. Les choses sont cependant un peu plus compliquées.

Les statistiques de police ne sont pas les « chiffres de la délinquance »

Il faut d’abord marteler ce rappel fondamental : les statistiques de la gendarmerie et de la police ne sont pas « les chiffres de la délinquance ». Elles sont le résultat de l’enregistrement des procès-verbaux dressés par ces fonctionnaires, ce qui ne représente qu’une petite partie de la délinquance. Tout ce que les policiers et les gendarmes n’ont pas su, ou bien ont su mais n’ont pas « procéduralisé », n’est pas compté. Si les victimes n’ont pas porté plainte ou que leur plainte n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal en bonne et due forme (on les a débouté, on a fait une simple « main courante »), la délinquance n’existe pas officiellement. En outre, les contraventions (même les plus graves, de 5ème classe) ne sont pas comptées, ni les délits routiers, ni la plupart des infractions au droit du travail, au droit de l’environnement, au droit fiscal, etc.

Non, décidément, il ne s’agit pas d’un baromètre fiable et représentatif de l’évolution de la délinquance. D’autant que les policiers et les gendarmes subissent depuis 2002 une pression inédite pour produire les « bons chiffres », et qu’il existe toute une série de techniques pour y parvenir. Face à des plaintes concernant des problèmes parfois réellement bénins (dispute familiale, bagarre de cour de récréation, échauffourée entre automobilistes, vol de pot de fleurs, carreau cassé, etc.), ils peuvent décider d’agir de façon informelle ou bien verbaliser et donc faire monter la statistique. Face à des plaintes en série concernant le même auteur, ils peuvent parfois faire autant de dossiers qu’il y a de plaignants ou bien les regrouper.

C’est par exemple ce qui s’est produit cette année concernant des infractions économiques et financières. La baisse des escroqueries et abus de confiance est liée au fait que ce sont de moins en moins les particuliers qui portent plainte et de plus en plus les banques, ce qui permet de regrouper une multitude de victimes dans une même affaire.

Bref : il n’est pas sérieux de continuer à croire ou faire semblant de croire que cette statistique nous informe sur l’état et l’évolution réels de la délinquance. Pour aller plus loin en ce sens, il faut en réalité se tourner vers les enquêtes (scientifiques) en population générale.

Au vu de cette statistique, il n’y a pas vraiment de quoi se vanter

Mais pour en rester ici à cette statistique de police et de gendarmerie sur l’année 2010, un examen attentif des chiffres devrait imposer un commentaire bien plus modeste au ministre. Certes, le total appelé « la délinquance » baisse d’environ 2 %. Mais quel sens a un tel chiffre ? On a mis dans le même sac les meurtres, les viols, les vols de scooters et de nains de jardin, les escroqueries, les « usages de stupéfiants » (joints fumés), les « infractions à la législation sur les étrangers », les pensions alimentaires non versées, les défauts de permis de chasse ou de pêche… (il y a 107 genres d’infraction dans la statistique de police, le 107ème étant « autres » !), on a secoué le tout et il en est ressorti « le chiffre de la délinquance ». Cela n’a strictement aucun sens.

En réalité, ce total dénué de sens baisse parce que ce qui l’a fait principalement augmenter pendant des décennies recule au contraire depuis le milieu des années 1990 : ce sont les vols de ou dans les voitures et les vols de deux roues. Et les ministres de l’Intérieur successifs n’y sont pour rien, ce sont davantage les systèmes antivols qui en sont responsables. La baisse est du reste confirmée par les enquêtes. Ensuite, cette baisse globale est due aux destructions-dégradations, ce qui n’est pas confirmé par les enquêtes et résulte sans doute en partie de quelques « ruses » dans le comptage, notamment celui des voitures brûlées comme on l’a récemment discuté à propos des incendies de la nuit du 31 décembre.

Mais ces deux baisses masquent des augmentations bien plus gênantes pour le ministre, en particulier celle des cambriolages et celle des vols commis sur la voie publique avec ou sans violence. Des délinquances qui touchent également la vie quotidienne des Français.

Quant aux violences interpersonnelles, elles continuent leur hausse apparente, mais il faut appliquer la même rigueur de raisonnement et dire que le ministre n’en est pas davantage responsable. Cette hausse est régulière depuis maintenant plusieurs décennies. Et les recherches montrent qu’elle résulte principalement non pas d’une transformation des comportements mais d’une plus forte dénonciation de comportements classiques tels que les violences conjugales et les bagarres entre jeunes.

Enfin, il n’y n’a pas non plus de quoi se réjouir de la baisse continue des délinquances économiques et financières ces dernières années. Elle ne signifie sans doute pas que ces infractions sont en voie de disparition dans la société française, mais bien plutôt que les services de police et de gendarmerie ont de moins en moins de temps à consacrer à ces délits plus compliqués et impliquant souvent des délinquants appartenant à des milieux plus aisés.

Non, décidément, le monde merveilleux d’Alice demeure une fiction.

Article initialement publié sur Mediapart

Illustrations CC Flickr: not françois, sjsharktank

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