OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Parias du printemps arabe http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/ http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/#comments Wed, 06 Jul 2011 06:55:02 +0000 Edgar C. Mbanza http://owni.fr/?p=72406 Ce sont des Soudanais, des Erythréens, des Ethiopiens oromo, des Somaliens, des individus et des familles bénéficiant du statut de réfugiés : ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine et sont aujourd’hui “coincés” à la frontière libyenne. Ce sont souvent ces populations qui tentent de rejoindre l’Italie espérant bénéficier de meilleures conditions d’exil…

Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, 14.000 migrants africains ont tenté de rejoindre les côtes européennes par bateau, essentiellement depuis la région de Misrata dans la partie libyenne contrôlée par les opposants au pouvoir de Tripoli. Pas plus tard que le 11 juin dernier, plus de 1500 migrants africains, dont 135 femmes et 22 enfants, sont arrivés en Italie à bord de sept bateaux.

Les naufrages en mer seraient “plus fréquents qu’on ne le dit“, d’après une chercheuse italienne bénévole auprès d’une association qui accueille régulièrement les rescapés de la mer à Lampedusa, petite île italienne. Les chiffres actualisés des disparus manquent en effet ; en mai, les associations (comme la Fédération Internationale des Droits de l’homme) estimaient à plus de 1200 le nombre d’individus avalés par la Méditerranée depuis le début du conflit en Libye.

Bousculades, évanouissements, noyades

Au début du mois de juin, environ 270 candidats à l’exil ont disparu après que leur chalutier a coulé sous le poids d’une mer déchainée, près des îles Kerkennah, un archipel tunisien. La chercheuse qui a pris en charge quelques migrants ayant survécu à ce drame et réussi à atteindre l’Italie raconte :

Pendant deux jours, le bateau surchargé a tangué en mer. Les conditions climatiques étaient difficiles. Des gens sont morts, beaucoup sont tombés à l’eau. La panique a fait des dégâts aussi, à cause de bousculades et d’évanouissements, chez les enfants et les femmes notamment.

Les 600 Africains repêchés après ce naufrage ont été renvoyés dans le camp de Choucha, situé à proximité de la frontière tuniso-libyenne, à plus de 300 km de Sfax, en Tunisie. Faut-il noter aussi que beaucoup de travailleurs migrants qui se trouvaient Libye avant la guerre ont été rapatriés dans leur pays d’origine, grâce à l’Organisation Internationale des Migrations (OMI) et à la réactivité de leurs ambassades.

Ceux qui restent bloqués dans la région sont, comme le confirment le HCR, l’OMI et les associations que nous avons interrogés, originaires des zones en guerre de la Corne de l’Afrique et du Soudan. Ils sont déjà placés, sur papier, sous protection juridique des Nations Unies, pour la plupart.

Mais la situation effective est autre : le commissariat onusien se trouve dans l’incapacité de protéger de façon effective ces populations, pour le moment…

Que se passe-t-il en réalité ? Seules l’Égypte et la Tunisie pourraient les accueillir ; or, dans ces pays, seuls les réfugiés libyens peuvent pénétrer sur le territoire de ces deux pays. Les autres “sont maintenus à la frontière, c’est-à-dire à la douane“, nous confirme Geneviève Jacques de la FIDH. Là, dans ces zones de transit, les conditions de vie sont catastrophiques : extrême précarité des abris, des soins, de la nourriture et du contexte administratif, d’après la totalité des témoignages. L’Égypte, par exemple, continuerait même de faire pression pour que les campements de fortune qui hébergent ces migrants soient évacués le plus vite possible, toujours en refusant de permettre leur réinstallation dans le pays.

Ce sont des individus “doublement réfugiés” comme l’écrit une note de la FIDH. Selon Geneviève Jacques :

Ils ne peuvent être accueillis que par les pays tiers puisque les leurs sont en guerre. Mais, regardez sur la carte de l’Afrique: aucun pays n’est un territoire de protection. Peut-être certains pays du Moyen-Orient. Et l’Europe…

Il est surtout hors de question pour ces réfugiés de retourner en Libye. Les témoignages recueillis par les associations et les journalistes sont unanimes : dans les zones rebelles, les ”Noirs“, accusés d’être de mèche avec les kadhafistes, ont été “battus, spoliés, parfois violés et tués“.

Exactions contre les immigrés en Libye

Une mission de la FIDH partie en mai dernier à la frontière égypto-libyenne (Salloum) s’apprête à publier un rapport complet dont une présentation est déjà disponible en ligne (ici). Les enquêteurs de l’organisation y confirment des violences à caractère raciste, “des témoignages concordants et unanimes des exactions“, nous confirme Jacques Geneviève, alors membre de la mission. Ils écrivent que “l’amalgame noirs=mercenaires est désormais le prétexte d’insultes, de licenciements sans paiement, de passages à tabac et d’attaques de la part de groupes armés non identifiés” en Libye contrôlée par les rebelles. Des dépositions de viols ont aussi été recueillies. ”La Cour Pénale Internationale a confirmé son intention de poursuivre [les auteurs] ces exactions, dans la foulée de l’ouverture du dossier Kadhafi“, se réjouit Jacques Geneviève, tout en précisant qu’aucune enquête n’est pour le moment diligentée officiellement à la Cour internationale de La Haye sur cet aspect précis.

L’imbroglio humanitaire et sécuritaire dont sont victimes ces réfugiés africains paraît aussi comme la conséquence des politiques de gestion des flux migratoires, mises en place ces dernières années par l’Union Européenne qui a collaboré et octroyé un rôle central à la Libye de Kadhafi.

Dans le cadre de sa politique de délocalisation des camps de rétention, Bruxelles faisait de Tripoli un partenaire privilégié jusqu’à la veille du conflit. L’UE négociait même avec le dictateur libyen, l’année dernière, un fonds de plusieurs milliards, de l’argent destiné à renforcer “la lutte contre les migrations irrégulières“. Pourtant, cela faisait des années que les ONG dénonçaient les conditions d’enfermement dans ces camps de rétention en Libye, sachant que le pays n’a jamais ratifié la Convention de Genève, un pays où de surcroit aucun système local ne garantit le droit d’asile.

D’après plusieurs sources, une partie importante des migrants, aujourd’hui coincés à la frontière libyenne, vivaient déjà des conditions difficiles dans le pays, dans les exploitations champêtres ou dans les camps où il était, dans tous les cas, difficile de faire prévaloir ses droits ou d’effectuer la procédure de demande d’asile…

Un ancien sous-officier militaire libyen exilé aujourd’hui dans le Sud de la France affirme que les humanitaires n’avaient aucun droit de les suivre “une fois dedans“, dans ces prisons pour migrants, et que parmi ces derniers, ceux qui restaient longtemps dans le pays faute de pouvoir retourner chez eux, travaillaient dans les champs. “Et Kadhafi menaçait de lâcher ces noirs sur l’Europe, sous forme de chantage, c’est vrai, il en avait beaucoup“, commente l’ancien soldat.

Exploités par ici, brandis comme objets de marchandages, accusés plus tard d’être des mercenaires par-là, filtrés à la frontière et refusés de séjour dans la région, ces réfugiés subsahariens ont aujourd’hui peu de marges de manoeuvre. ”Beaucoup rêvaient d’une occasion de se jeter à la mer“, se souvient l’ex-sous-officier.


Article initialement paru sur Youphil
Crédits Photo FlickR CC by-nc-nd Guerric / CC by B.R.Q.

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“N’ajoutons pas la panique au drame en Côte d’Ivoire” http://owni.fr/2011/03/29/najoutons-pas-la-panique-au-drame-en-cote-divoire/ http://owni.fr/2011/03/29/najoutons-pas-la-panique-au-drame-en-cote-divoire/#comments Tue, 29 Mar 2011 13:46:04 +0000 Edgar C. Mbanza http://owni.fr/?p=54075 Un million de réfugiés. Alors qu’on parlait vendredi 25 mars d’environ 500.000 déplacés et réfugiés enregistrés dans le pays, à Abidjan la capitale, dans le centre et dans l’Ouest du pays, en fin de journée, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) avançait le chiffre de “près d’un million de personnes” déjà chassées de chez elles par les violences et les peurs. “Il y a une insécurité grandissante à Abidjan, et nous assistons à une augmentation brutale des déplacements“, explique Jacques Franquin, porte-parole du HCR.

Pendant ce temps, les fonds d’aide et les mandats d’action tardent à arriver dans le pays. Sur le plan politique et sécuritaire, la mission onusienne sur place se dit de plus en plus harcelée par les forces fidèles à Laurent Gbagbo, un président vaincu par les urnes mais qui s’accroche encore au pouvoir. Au niveau des secours humanitaires, les acteurs sur le terrain manquent de moyens.

Allocation d’urgence. Tout au long de la semaine, les services onusiens ont multiplié les appels à l’aide internationale et n’ont pas caché les nombreuses difficultés qu’ils éprouvaient à mobiliser les donateurs. Le soulagement était perceptible jeudi 24 avec l’annonce d’une allocation spéciale de 10,4 millions de dollars accordée par le CERF [en], le fonds humanitaire d’urgence de l’ONU.

Un dépannage qui arrive à point nommé, directement donné aux agences présentes sur le terrain, et qui doit leur servir à parer aux besoins les plus pressants. Car “on ne peut plus attendre” s’alarme le Programme alimentaire mondiale (PAM) en Côte d’Ivoire. “Il faut vite parer au manque d’eau, de nourriture, de soins de santé, auprès des déplacés-réfugiés d’Abidjan et de l’ouest du pays“, atteste le HCR.

Inacceptable“.  Sur les 32 millions de dollars que l’ONU avait récemment demandés aux bailleurs, 7 millions seulement étaient disponibles au début de la semaine. Une agence onusienne opérant en Côte d’Ivoire a jugé “incompréhensible” le peu d’intérêt accordé par la communauté internationale aux populations ivoiriennes victimes de la crise politique.

Le manque de fonds est inacceptable“, a déclaré quant à elle Elisabeth Byrs, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

Mobilisation continue. Le programme d’aide alimentaire déclarait lundi dernier n’avoir reçu “aucun fonds pour la Côte d’Ivoire malgré des besoins d’urgence clairement exprimés“. Le patron du HCR est même descendu sur place “pour voir lui-même“. Au Libéria, mardi dernier, après une visite dans les centres d’accueil des réfugiés ivoiriens – à Sanniquelle, Bahn et Butuo, Antonio Guterres a confirmé l’ampleur de la situation: “Aujourd’hui même [mardi], il y a 3.000 Ivoiriens qui ont traversé la frontière pour rentrer au Liberia à cause des combats. (…) Cette situation engendre une crise humanitaire dramatique“. Et de plaider pour une action urgente de la part de la communauté internationale.

Que vivent les populations ? En attendant le déploiement d’une aide renforcée, c’est une forte tension qui règne sur Abidjan, comme dans le centre et l’ouest du pays.

Un million d’Ivoiriens auraient déjà quitté leur domicile à cause de la crainte des violences, “des familles entières” déplacées dans des camps de fortune ou éparpillées chez des connaissances (parents et amis) en dehors des zones les plus tendues ; 94.000 Ivoiriens, ceux de l’ouest du pays, se seraient réfugiés au Libéria. “Tout manque : l’accès à l’eau, à l’hygiène, aux soins, témoigne un médecin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les ménages n’en peuvent plus aussi…” (Voir aussi l’alerte de Médecins sans frontières).

Les violences de ces derniers jours expliquent cette situation de peur généralisée que décrivent nos contacts dans les quartiers d’Abidjan. Une infirmière franco-ivoirienne raconte :  “Les meurtres d’Abobo (quartier populaire d’Abidjan où des tirs à l’arme lourde ont été entendus depuis plusieurs jours) ont traumatisé les populations. Ils sont d’une violence inouïe, aveugle, quand des militaires tirent sur des femmes par exemple.  Sans parler des agissements de ces fameux commandos invisibles (milices qui soutiendraient le président élu Ouattara) dans l’autre camp“.

Tous les soirs, depuis Dakar au Sénégal, B.B., lui, téléphone à sa famille vivant dans la capitale ivoirienne pour s’enquérir de la situation. “Tout le monde a peur maintenant, dans les quartiers fidèles à Gbagbo comme chez les populations soutenant Ouattara“.

Rumeurs et virulences des discours. G.H.,  un ancien étudiant en France, habite un quartier totalement acquis à la cause du président sortant mais affirme n’appartenir à aucun camp.

À Chemk’Africa, il a confié la difficulté de parler de paix dans les quartiers. “Au quotidien, dans les rues, les gens sont très virulents. Les jeunes disent vouloir en découdre avec ceux qui sont avec Ouattara. La rue est entièrement occupée par les va-t-en-guerre. Les pacifistes n’osent plus s’exprimer dans mon quartier. Je suis très inquiet pour tout le monde, c’est tout“.

Une jeune stagiaire dans une association catholique à Marseille, arrivée la semaine dernière d’Abidjan, raconte pour sa part comment le langage guerrier est omniprésent, y compris dans les conversations les plus ordinaires, entre voisins : “la radicalité est devenue la règle sociale dans les quartiers. Plus on est virulent, plus on veut aller faire la guerre aux autres, plus on est apprécié par les pairs.

Ne pas ajouter la panique au drame.La guerre civile n’a pas encore commencé: n’ajoutons pas la panique au drame !“. J.O. couvre la Côte d’Ivoire comme journaliste indépendant. Il a vu des conflits armés, des Grands Lacs africains au Soudan.

Quand Chemk’Africa l’a contacté jeudi dernier, ses premiers mots étaient très durs envers ceux qui disent à la télévision que la guerre civile a commencé en Côté d’Ivoire. “Je comprends : c’est efficace pour la mobilisation internationale, mais c’est une catastrophe pour les populations locales. Les gens quittent les maisons. Et la peur pousse aussi à la violence. On ne joue pas avec les mots en période de crise comme celle-ci“.

Il ne s’agit pas pour autant, pour notre confrère, de sous-estimer la configuration meurtrière de la crise ivoirienne. “Les morts, l’agressivité des belligérants, les mercenaires, une population traumatisée et une opinion excitée: c’est un cocktail explosif“, précise-t-il.

Cependant, comme le reconnaît aussi une autre source proche du représentant spécial des Nations unies dans le pays, “il ne faut pas paniquer davantage la population. Ce n’est pas encore sauve-qui-peut, s’il vous plaît  (…) C’est vrai, tous les ingrédients d’une guerre civile sont là ; mais nous pouvons toujours arrêter l’engrenage si nous agissons vite. Évitons de surenchérir sur les mots.

Comment intervenir pour arrêter la catastrophe ? Les déplacés et les réfugiés ont évidemment besoin d’aide. Mais l’enjeu le plus important pour la communauté internationale reste la normalisation politique et sécuritaire du pays.

Pour le moment, elle peine à trouver une stratégie d’action commune et rapide. Au niveau de la région ouest-africaine, certains pays comme le Nigeria souhaitent “aller rapidement” dans le sens d’”une intervention armée rapide pour déloger Laurent Gbagbo“.

Mais d’autres privilégient la voie de la pression diplomatique. Le nouveau président guinéen Alpha Condé l’a déclaré et répété à Paris : “Ma position est celle de l`Union africaine. Il faut respecter le verdict démocratique. Mais l’intervention militaire n`est pas la bonne solution“.

Très attendue, la dernière réunion de la Cedeao (organisation regroupant les pays ouest-africains) n’a fait que demander aux forces de l’ONUCI  “de faire pression” par tous les moyens sur le président non élu Laurent Gbagbo.

Dans l’ensemble, les yeux sont désormais tournés, tous, vers le dispositif militaire et politique onusien présent sur place (Onuci). Ban Ki-Moon a d’ailleurs appelé vendredi le Conseil de Sécurité à renforcer le mandat des Casques bleus présents sur place afin de garantir la protection des populations.

Concernant les nombreuses violations des droits de l’Homme, que documentent déjà les organisations internationales – à noter par exemple que Human Rights Watch accuse les deux parties belligérantes d’être responsables des violences, tout en insistant sur les “crimes contre l’humanité” commis par les forces de Gbagbo, le Conseil des droits de l’homme de l’Onu vient de décider de l’envoi en Côte d’Ivoire d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur les violences. Le bilan provisoire est de 470 morts.

Retrouvez notre dossier complet sur la Côte d’Ivoire : Le “bank run” de la Côte d’Ivoire, pari tragique ? et Milices ou armées, quelle guerre en Côté d’Ivoire ?

Image de Une CC : Marion Boucharlat, Rémiforall

Billet initialement publié sur Youphil

Photo FlickR CC : Sunset ParkerpixUnited Nations Photo ; anw.fr

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