Une force syrienne libérée

Le 20 février 2012

Entretien cartes sur table avec l’un des responsables de l’Armée syrienne libre, Amar Ouawi. Il détaille les complicités opérationnelles des Russes et des Iraniens qui assistent le régime de Bachar al-Assad. Nous avons rencontré cet ancien membre des forces spéciales syriennes, il y a quelques jours, sur la frontière entre la Turquie et la Syrie.

Le capitaine Amar Abdallah Ouawi en février 2011, Syrie. Cc Hédi Aouidj pour Owni

Plusieurs contacts avec les membres de l’Armée syrienne libre (Jaish al Hor en arabe) regroupés en Turquie nous ont permis de confirmer son rôle au sein du commandement du mouvement militaire. La semaine dernière, après plusieurs rendez-vous manqués, il se présente finalement en début de soirée. Une voiture s’arrête brutalement, nous sommes invités à monter. Ils sont trois, un chauffeur et un garde du corps – son neveu – les yeux aux aguets. Ils nous amènent dans un lieu sûr. Nous sentons un homme épuisé, mais d’une détermination sans faille. Tout dans son attitude et son regard indique le militaire de carrière. Il accepte de parler à visage découvert.

Qui êtes-vous ?

Je suis le capitaine parachutiste Amar Abdallah Ouawi. J’étais membre d’une unité de forces spéciales chargé des reconnaissances. J’ai passé 13 ans dans l’armée. Je viens des alentours de Hama [centre Ouest de la Syrie, NDLR].

Pourquoi avez-vous fait défection ?

Parce que l’armée tuait les gens. Quand nous rentrons dans l’armée nous faisons le serment de protéger le peuple et la patrie, pas de recourir à la violence contre elle.

Comment avez-vous fait défection ?

J’étais basé à Deraa1, pas loin de la frontière israélienne, c’est là que doit être l’armée, pour protéger les frontières. J’ai pris normalement mon service, j’ai ensuite loué une voiture, je suis passé prendre ma femme et ma fille, je me suis ensuite rendu directement dans le Djebel Zaouia. J’ai ensuite appelé ma famille pour lui dire que j’avais fait défection. J’ai une fille qui est née il y a 2 mois dans le Jebel, alors que nous étions encerclés par les Mukhabarat [Les services de sécurité syriens, NDLR]. Ils ont arrêté mes deux beaux-frères. Un est détenu par les renseignements militaires, l’autre à la mairie d’Alep.

Quelle est la situation militaire ?

Les forces armées syriennes sont à bout. Elles sont doucement en train de s‘effondrer. La plupart des soldats n’ont plus le moral. Le corps des officiers a peur. De nombreux soldats font défection, entre 50 et 100 par jour. Ils sont généralement aidés par la population.

De quel armement disposez-vous ?

Nous n’avons que des kalachnikovs et quelques RPG [Lance-roquettes, NDLR].

Quelle est votre réaction à la dernière initiative de la ligue arabe et de la communauté internationale ?

L’Algérie, l’Irak et le Soudan nous ont déçus, le Hezbollah aussi. Les pays arabes ont peur de l’Iran. Ils pensent que l’armée est capable d’écraser la révolution. Nous sommes heureux en revanche des initiatives de la France, de la Grande-Bretagne et des Européens qui veulent mettre en place un groupe des amis de la Syrie. Nous attendons de ces derniers une aide humanitaire et militaire, nous avons besoin d’armes. En revanche, je veux qu’ils sachent que les élections en France et aux États-Unis tuent des gens en Syrie, par l’inaction qu’elles entraînent. Je veux remercier la Turquie qui a été le premier pays à recevoir des réfugiés et à les aider. Nous n’avons cependant reçu qu’une aide humanitaire de sa part. Le régime syrien est directement soutenu sur le terrain par le corps des gardiens de la révolution iranienne. Ils ont des snipers entraînés qui tuent les troupes qui ne tirent pas sur la population. Il y a aussi des officiers russes dans les états-majors, notamment le colonel Blafoks, chargés des importations d’armes russes en Syrie.

Vous sentez-vous en sécurité en Turquie ?

Je ne me sens en sécurité que dans les camps, le régime de Damas a des yeux partout. Il y a beaucoup de ressortissants alaouites [membre de la communauté religieuse des Alaouites, à laquelle appartient le président Bachar al-Assad, NDLR] dans cette région.

Que va-t-il se passer après la révolution ?

Tous ceux qui ont du sang sur les mains, même les docteurs, seront jugés et punis selon la loi.

En Syrie, la violence continue. (CC) Ssoosay/Flickr

Que s’est-il passé à Alep le 17 février dernier ?

Je suis responsable de la cellule d’Alep, je sais très bien ce qui s’est passé. Tirant les leçons du massacre d’Homs, cette fois-ci, l’armée a pris les cartes d’identités des gens qu’elle avait tués et a mis les cadavres devant un bâtiment. La bombe a explosé à 9 heures du matin pour couvrir ce massacre. Et également servir d’excuse pour faire entrer l’armée à Alep. Le bâtiment visé est un centre de renseignement dont les effectifs sont de 2500 personnes, à cette heure il y a même sur place une réunion quotidienne. Il y aurait dû avoir au moins 300 morts. La sentinelle n’a même pas été tuée. La télévision était sur place tout de suite et 30 minutes après et toutes les preuves ont été nettoyées. Ce sont des tueurs. Ce sont eux qui ont tué Hariri, ce sont eux qui ont tué Ghazi Kahan (ancien responsable des services syriens au Liban pendant l’occupation syrienne au pays du Levant).

Qu’en est-il du général médecin Issa Al Khouli, un serviteur du régime, tué à Damas lors d’une opération menée par trois hommes – et que certains attribuent à des réseaux islamistes présents en Syrie ?

Toutes les personnes qui sont contre la révolution sont des cibles légitimes, je ne dis pas que nous sommes responsables de cette action.

Quelles sont les relations entre l’Armée libre et le Conseil national syrien ?

Nous sommes deux entités nées de la révolution. Nous ne sommes pas d’accord, il n’y a pas de support financier. Nous ne sommes pas coordonnés, nous nous voyons, c’est tout. Ceci est mon opinion personnelle et non celle de l’Armée libre syrienne. Cela divise inutilement la résistance.

Que va-t-il se passer dans les semaines à venir ?

L’armée syrienne va utiliser des avions, des hélicoptères. Ils vont faire usage d’armes chimiques qu’ils ont achetées aux Russes. Il va y avoir un massacre terrible. Ils ont attaqué le camp palestinien Al Rum, à Lattaquié avec des canons de marine, c’est un avant-goût. Nous avons réussi à en abattre (des hélicoptères) à Idlib, Rastan et dans le Djebel Zaouia, autour de Jisr Al Chourour.

Ce que vous dites est terrible…

J’espère que le support européen va arriver. Regardez ce qui s’est passé en Bosnie. Ce régime est comme les Serbes qui tuaient des Bosniaques. Maintenant ils tuent des sunnites à Homs.

Craignez-vous des infiltrations du régime ?

En décembre deux Iraniens se sont présentés à nous prétendant travailler pour Al Jazeera en anglais. Ils sont allés dans la Djebel Zaouia, ils ont été reçus par les gens. Ils ont pu tout voir. Deux jours après, c’était le massacre de Kafr Owayid.

Quels sont vos modèles dans l’histoire ?

La révolution française, j’espère que les prisons de Sednaya et de Palmyre seront nos Bastilles. Nous nous sommes appelés l’Armée syrienne libre en référence aux Forces françaises libres de la seconde guerre mondiale.


Photo de Hédi Aouidj (CC) pour Owni. Édité par Ophelia Noor. Illustration par Ssosay (CC-BY)

  1. L’un des berceaux de la contestation depuis le début de la révolte en Syrie []

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