Le secret des sources percées

Le 26 octobre 2011

En février 2010, le procureur de Marseille a demandé les fadettes de deux journalistes enquêtant sur les dossiers corses. Rien à voir selon lui avec la mise en cause de Bernard Squarcini. Contestable.

Jacques Dallest, procureur de Marseille, a exclu lundi 24 octobre avoir reçu des pressions de sa hiérarchie afin d’obtenir les factures détaillées (fadettes) de deux journalistes du Monde, Jacques Follorou et Yves Bordenave.

Il n’y pas eu d’interventions de quiconque sur ces dossiers, il n’y a pas eu de pression de la chancellerie.

Samedi 22 octobre, Le Monde et Le Parisien avaient révélé que des factures téléphoniques détaillées (“fadettes”) de ces deux journalistes spécialistes des dossiers corses avaient été demandées par le procureur Jacques Dallest.

Le 24 mai 2009, les deux journalistes publient un article intitulé “Des aveux font le lien entre l’affaire Alain Orsoni et la guerre dans le milieu corse”. Les deux auteurs y détaillent l’audition par les enquêteurs d’une personne entendue dans l’affaire de la tentative d’assassinat, fin août 2008, de l’ancien leader indépendantiste Alain Orsoni.

En le citant nommément, les journalistes indiquent que ce mis en examen a reconnu lors de son audition avoir participé au complot contre Alain Orsoni. “Le magistrat instructeur en charge du dossier [m'a saisi] le 27 mai 2009 de cette violation manifeste du secret de l’instruction“, se rappelle le procureur. Le 3 juin, il demande donc à la direction inter-régionale de la PJ de Marseille d’enquêter sur les faits. L’enquête est classée sans suite le 29 janvier 2010.

Entre temps, le 14 janvier 2010, les deux journalistes du Monde publient un nouvel article faisant état de la guerre fratricide que se livrent alors les membres du gang de la Brise de Mer. Là encore, il évoque un homme entendu par la justice, qui cette fois désigne l’identité de l’assassin de Richard Casanova, l’un des piliers de cette organisation criminelle.

Le 19 janvier suivant, son avocat dépose une plainte auprès du parquet de Marseille. “Devant l’émotion renforcée des enquêteurs et des magistrats concernés“, Jacques Dallest autorise alors, le 4 février 2010, “la Direction centrale de la PJ à requérir la facturation détaillée des signataires de l’article incriminé“. Il demande alors les fadettes sur une période “d’une semaine avant, une semaine après” les dates de publication des deux articles. Les journalistes sont auditionnés par la PJ, se retranchent derrière le secret des sources, et l’affaire est classée le 10 décembre 2010.

Il ne s’agit pas de placer sous surveillance les journalistes ad vitam aeternam“, explique aujourd’hui le procureur Dallest, mais “dans une région où l’on parle beaucoup de porosité“, il convient “de garantir l’étanchéité des enquêtes judiciaires“. Le procureur, qui “cherchait surtout à trouver la taupe” qui a renseigné les journalistes, met en avant le danger encouru par ceux qui ont été cités dans les articles et les entraves provoquées selon lui par Le Monde dans “des enquêtes sur des choses très actuelles”. Jacques Dallest évoque la loi du 4 janvier 2010 :

il ne peut être porté atteinte au secret des journalistes qui si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie.

En l’occurrence, pour le procureur, le fait que ces articles portent sur des affaires de grand banditisme justifierait le procédé. Le procureur Dallest prétend que c’est la première fois qu’il demande les fadettes de ces deux journalistes. Mais pourquoi seulement en 2009 et 2010, à la suite de ces seuls articles là, alors que Jacques Follorou, auteur de l’ouvrage de référence “Les parrains Corses” (sorti en 2004, réédité en 2009), n’en est pas à sa première révélation ?

Pourquoi, dans d’autres affaires, comme celle qui concerne les frères Guérini (également du ressort du même procureur) n’a t-il pas, comme il l’a assuré, demandé les fadettes d’autres journalistes ? Beaucoup de documents de l’instruction sont sortis dans la presse sur cette affaire, et certains personnages qui y sont décrits comme parties prenantes sont eux aussi fichés au grand banditisme. Le procureur le reconnaît :

C’est le vaste débat du secret des sources…

Jacques Dallest exclut tout rapprochement entre sa décision et le cas de Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), mis en examen par la juge Sylvia Zimmermann pour atteinte au secret des correspondances, collecte illicite de données et recel du secret professionnel pour avoir commandé, à l’été 2010, des surveillances téléphoniques illégales de deux autres journalistes du Monde qui enquêtaient sur l’affaire Bettencourt.

Pourtant, c’est en demandant à Orange, opérateur de la rédaction du Monde, la liste des administrations ayant réclamé des fadettes de journalistes, que la juge Zimmermann est tombé sur les surveillances demandées, le 4 février 2010, par le procureur de Marseille. À quelques mois d’intervalle de celles voulues par la DCRI.


Illustrations et photos via Flickr par D.C.Atty [cc-by]

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